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Une canne à pêche, un hameçon et un appât



Une canne à pêche, un hameçon et un appât. C’est tout ce qu’il avait pour faire vivre sa famille. Seul héritage de son père parti trop tôt, il s’en était servi pour prendre la relève, du moins essayer.

Son rêve de devenir mūto'i était un luxe qu’il ne pouvait plus s’offrir. La faim était là. 

Alors, à seize ans, il quitta l’école. Protéger sa famille de la famine était devenu son devoir. 

Seul sur le quai, face à la mer, sans personne pour le guider, il reprenait mécaniquement les gestes de son père, le plus grand pêcheur de l’île, en se remémorant ses conseils : « Apprends à connaître la mer, à la comprendre et alors elle te nourrira », disait-il. 

Mais que voulait-il dire ? À l’époque, il ne s’en souciait pas, il pensait qu’il avait le temps de comprendre, grave erreur.

Trop tard et pas le temps de pleurer, il devait pêcher et c’est ce qu’il fit machinalement. Ces paroles resteraient une énigme qu’il oublia peu à peu.

Deux années passèrent, sa pêche ne rapporta que de maigres prises, pas suffisantes pour calmer la faim. La famine rôdait, tapie dans l’ombre, prête à attaquer. Elle avait bien failli gagner quelques fois.

Désormais marié, il devait redoubler d’efforts, son épouse était enceinte. Mais comment ? Jour après jour, face à la mer, sans son père qui le manquait tant, il répétait ces gestes mécaniques mais rien.

Puis tout bascula, un matin de septembre, sa femme lui remit pour la première fois leur bébé dans les bras. Il se sentit transformé. Cette petite fille avait ravivé, réchauffé et agrandi son cœur. Il était père et se souvint de son propre père et de ses paroles.

Le lendemain, il retourna à la pêche. Seul face à la mer, il se mit à lui parler, à la considérer et à l’écouter. D’un œil nouveau, il prêta une plus grande attention aux courants, aux vagues, aux oiseaux, au vent et aux nuages. De nuit comme de jour, sous le soleil comme sous la pluie, il continua en repensant au conseil de son père. 

Et un jour, il en comprit le sens et son grand pouvoir. Son acolyte de toujours, c’était la mer. Elle avait toujours été là pour lui et il ne l’avait pas vue. Il sentit alors son pouvoir l’envahir et tout fut limpide. D’un regard vers elle, il sut quel poisson allait mordre et comment l’attraper. Il comprit le pouvoir présent en lui depuis toujours et qui allait protéger sa famille, tel un mūto'i veillant sur les habitants de son île. Avec sa canne à pêche, son hameçon et son appât comme armes, tels des super-héros sans cape, ni masque, ils allaient réussir tous les deux, ils allaient se battre pour sa famille… leur famille.  
***
- C’est une belle histoire, maman.
- C’est celle de ta famille. Le bébé, c’était moi. Tu descends d’une grande lignée de pêcheurs qui, grâce à la mer, ont réussi à protéger notre famille de la famine.
- Comme toi maman.
- Oui, et bientôt ce sera toi. Tu recevras ma canne à pêche, mon hameçon et mes appâts. Ce sera le plus précieux des héritages qui soit. En attendant, viens allons pêcher !


Sarah Teata TANG