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Le Chat, le manguier et le coq



On avait souvent entendu dire des autres que, dans sa jeunesse, c’était un homme d’une rare élégance, un félin dans l’âme. Il se mouvait avec l’assurance tranquille d’un chat, sûr de sa beauté et de son charme. Coquet et soigneusement apprêté, il attirait les regards avec la nonchalance gracieuse d’un chat. Les fêtes n’avaient aucun secret pour lui : il aimait rire, danser et courtiser. Parmi les nombreuses femmes que ses yeux malicieux avaient croisées, il avait jeté son dévolu sur celle qui allait devenir ma mère, un trésor bien gardé d’une famille stricte et protectrice. 

Leur rencontre fut marquée par le jeu de la séduction, un peu comme un chat jouant avec sa proie, mais non sans élégance. Bien que ma mère fût entourée de barrières familiales rigides, mon père, avec l’habileté d’un félin patient, s’introduisit dans sa vie. Ses démarches étaient délicates mais déterminées, et peu à peu, il conquit ma mère. Leur union, bien que difficile, fut solide et passionnée. Ensemble, ils construisirent une vie et élevèrent cinq enfants, dont moi. Bien sûr, tout ne fut pas simple. La vie de famille a ses défis, et notre foyer n’échappait pas aux tensions et aux sacrifices. Pourtant, comme un chat qui retombe toujours sur ses pattes, mon père trouvait le moyen de traverser les épreuves.

Avec ma mère, ils ont fait de leur mieux pour nous offrir une vie simple, mais remplie d'amour. Ils ont travaillé dur, sacrifiant leurs plaisirs pour nous voir grandir. Nous n’avions pas tout, mais nous ne manquions de rien. Leur force tranquille me rappelait celle d’un manguier généreux. Mon père était cet arbre robuste et nourricier, veillant sur nous. Il donnait sans compter, prêt à sacrifier son bien-être pour notre avenir. Au fil des ans, il avait pris du poids, devenu tel un manguier opulent, gorgé des joies simples de la terre. Ma mère et lui formaient un duo solide, deux arbres offrant leur ombre et leur sève à leurs fruits, nous portant toujours plus haut.

Désormais, mon père est vieux et affaibli. Ses gestes sont plus lents, mais ses yeux brillent toujours avec la même intensité, celle d’un héros qui a tout donné pour sa famille. La retraite lui a offert du repos, mais sa fierté n’a jamais diminué. Son chant, devenu plus frêle, rend hommage à la vie qu’il a su construire. Aujourd’hui, lui qui, comme le coq chantant à heure décalée, jours et nuits, aimait conter sans cesse la fierté de voir ses enfants adultes et épanouis, a cédé la place à l’aube silencieuse. À ses côtés, des larmes, comme des œufs fraîchement pondus se nichant dans le coin de mes yeux, je pris le téléphone en main : « Maman… »


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