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Teanavai et Libellule



À première vue, Teanavai ressemblait à toutes les petites filles. Mais à chaque fois qu’elle rentrait de l’école, à peine faisait-elle un pas dans sa servitude, que Libellule survolait son épaule et agitait ses ailes tout près de son oreille :

- Alors, c’est quoi le plan aujourd'hui ? 

Teanavai haussa les yeux au ciel, histoire de se faire prier, et sortit de son sac des mystérieuses baies. 

- Qu’est-ce que c’est encore que ce truc ? 
- Ça, ma petite Libellule, c’est l’ingrédient secret que nous cherchons depuis des mois ! 
- Ben voyons…

La petite fille ignora le sarcasme de l’insecte qui virevoltait joyeusement, hâta le pas et rejoignit son jardin. Elle envoya valser son cartable contre le manguier sans entendre les protestations de sa mère. Après s’être assurée que personne ne la suivait, elle s’introduisit dans sa cabane et tira les rideaux. 

Devant elle se trouvait son laboratoire top secret. Elle inspecta ses étagères pour s’assurer qu’aucune fiole ni babiole ne manquaient à l’appel, poussant d’un revers de main les feuilles qui grimpaient au plafond. Teanavai chérissait en particulier sa collection de racines et ses tas de petites pierres lustrées vermeil, qui pourraient, paraît-il, lui révéler ses pouvoirs magiques. 

Chaque jour, elle se mettait à l’ouvrage : les potions fumaient, sifflaient et bouillonnaient, et la petite fille échouait tout près du but. Mais aujourd’hui, c’était différent. Teanavai broya des baies rougeâtres, entonna un chant en reo mā'ohi pour amadouer les tupuna et versa la poudre dans un élixir douteux dont elle s'enduisit en prenant un air mystique.

- Tu sens le tāmanu, lui fit remarquer Libellule. 
 
Mais Teanavai ne l’écoutait pas, elle avait déjà filé dans la servitude, levant le poing au ciel, la mine résolue et prête à en découdre. 

Son attention fut rapidement captée par un vieux chien désorienté qui tremblotait au milieu de la route. Teanavai accourut, s’arrêta net au niveau de la chaussée et réfléchit aussi vite qu’elle le pouvait. Impossible de rester insensible à la détresse de l’animal que les voitures évitaient de justesse, mais pas question pour autant de se mettre en danger. Elle décida de faire appel à la mamie qui vendait des fruits au tapeara bus pour arrêter le ballet des voitures qui frôlaient l’animal effrayé et l’aider à le porter.

Craintif, le vieux chien se laissa finalement secourir, la queue entre les jambes. La mamie retourna à son étal et Teanavai s’occupa d’une partie moins gratifiante que ce qu’elle avait espéré, attendre les maîtres du chien pendant une éternité, alors que celui-ci, éprouvé par sa mésaventure, ne daignait même pas jouer avec elle. Pas de cotillons ni d’acclamations tonitruantes pour cette fois. Teanavai soupira, elle n’avait pas pu terminer son expérience.

- C’est pas aujourd’hui que je serai une super héroïne, se désola-t-elle.
- Bien au contraire, murmura Libellule.

Et ça tombait bien, parce que pour demain, Teanavai avait un plan. 

Sandra Forlini