PAPEETE, le 13 juillet 2016 - La petite fourmi de feu est sous le feu des projecteurs en Polynésie. Elle dérange. Mais elle n’est pas la seule. D’autres (elles sont six) peuvent potentiellement avoir un impact sur la biodiversité, l’agriculture et la santé. S’il est trop tard pour s’en débarrasser, il est toujours temps de les contenir.
Cinquante et une espèces de fourmis peuplent les îles polynésiennes1. La très grande majorité d’entre elles ont été introduites, que ce soit par les Austronésiens/Polynésiens ou plus récemment depuis la découverte des îles par les européens. "Mais introduite ne veut pas forcément dire qu'elle peut provoquer un ou plusieurs impacts importants", insiste l’entomologiste Thibault Ramage.
Les espèces introduites qui peuvent potentiellement avoir un impact sont : la fourmi folle jaune (Anoplolepis gracilipes, Smith), la fourmi folle noire (Paratrechina longicornis (Latreille)), la fourmi de feu (Solenopsis geminata (Fabricius)), la petite fourmi de feu (Wasmannia auropunctata (Roger)), la fourmi de Singapour (Trichomyrmex destructor (Jerdon)) et la fourmi à grosse tête (Pheidole megacephala (Fabricius)). "Potentiellement, car ces espèces qui sont connues pour avoir un impact ailleurs n’ont fait l’objet d’aucune étude sur le territoire. Leur impact est donc supposé, il n’a pas été prouvé", précise l’entomologiste. Il n’a pas encore été prouvé.
Quatre impacts
Les fourmis peuvent avoir des impacts sur la biodiversité, sur l’agriculture, sur la santé et enfin sur l’économie d’un pays/territoire. Ce qui fait quatre types d’impact. "Les espèces exotiques envahissantes modifient les habitats et/ou s'attaquent aux espèces locales voire endémiques", explique Thibault Ramage. "Ce qui mène à la disparition d'habitats/espèces uniques. Les six espèces citées précédemment peuvent être responsables de cela."
Pour ce qui est de l’agriculture, les espèces exotiques envahissantes élèvent des pucerons, cochenilles ou autres insectes piqueurs/suceurs sur les récoltes, ce qui réduit voire anéantit la production. Pour exemple, la petite fourmi de feu. Les six espèces mentionnées peuvent avoir un impact sur l'agriculture.
Par ailleurs, les espèces exotiques envahissantes piquent hommes et animaux. Des piqûres qui peuvent provoquer des chocs anaphylactiques ou la kératite de Floride, pour la petite fourmi de feu. Certaines d’entre elles peuvent s'installer dans les bâtiments. Il faut aussi penser à "la gêne provoquée par la très forte abondance de fourmis chez soi et l'impact que cela peut avoir sur le corps et le psychologique de se faire piquer tout le temps, de tout le temps devoir faire attention car elles sont partout dans la maison, dans les vêtements, etc".
La petite fourmi de feu est connue pour cela sur Tahiti (zone de Mahinarama par exemple). En ce moment, la fourmi folle jaune est tellement abondante dans certaines îles des Marquises qu'elle va même "jusqu'à venir lécher les larmes des bébés, riches en sel et protéines". La fourmi de feu, la petite fourmi de feu et la fourmi de Singapour sont les trois espèces qui peuvent vraiment gêner avec leurs piqûres. Tandis que la fourmi pharaon (Monomorium pharaonis (Linnaeus)) ou la fourmi folle noire sont connues pour s’installer dans les hôpitaux et transporter des pathogènes.
Dernier secteur concerné, l’économie. La fourmi de Singapour s'attaque par exemple à l'isolant des câbles électriques. Ce qui provoque des court-circuits et peut endommager aussi bien le réseau électrique, l'électroménager, les voitures, etc. C'est cette fourmi qui pourrait avoir le plus d'impact sur l’économie en Polynésie. "À moins que la petite fourmi de feu ou une autre espèce de ce style ne s'installe dans les îles et zones les plus touristiques." Si les grands hôtels de Bora bora se retrouvaient infestés de petite fourmi de feu, pas sûr que les clients apprécient.
Introduction des espèces : les étapes
L'arrivée d’une nouvelle espèce sur un territoire se fait via les réseaux de transport (aérien, maritime). "C'est ce moment qui est le plus charnière et le plus "i[facile" à maitriser. Si l'on détecte une nouvelle arrivante dans les containers via un contrôle des phytosanitaires, on peut tout de suite l'éliminer et l'empêcher d'essayer de s'installer.]i" Ce type de contrôle, pas assez présent en Polynésie, est déjà bien installé à Hawaii, en Nouvelle-Zélande ou en Australie, et en cours de développement en Nouvelle-Calédonie. C'est finalement l'étape la plus réalisable et la moins chère à long terme.
Deuxième étape : l'espèce sort du container et commence à s'installer sur le territoire. Les colonies existantes sont rares, localisées et de petite taille. Selon l'espèce et le degré d'installation, c'est potentiellement encore possible de l'éradiquer si les moyens sont mis en œuvre.
Enfin, l'espèce s'est bien installée sur le territoire (en Polynésie sur une ou plusieurs îles). Il est alors impossible de l'éradiquer. "On ne peut que l'empêcher de proliférer et de contaminer d'autres îles."
La très grande majorité des fourmis introduites en Polynésie sont bien installées, "il est trop tard pour une éradication maintenant". Pour autant, il ne faut pas baisser les bras et empêcher la prolifération et la colonisation d’autres îles. La Direction de l’environnement (DIREN), avec le réseau Espèces exotiques envahissantes qu'elle a mis en place depuis un peu moins de 3 ans, essaie de contenir la petite fourmi de feu.
1 Les fourmis de Polynésie française (Hymenoptera, Formicidae), paru dans le bulletin de la Société entomologique de France en 2014.
Delphine Barrais et Thibault Ramage
Cinquante et une espèces de fourmis peuplent les îles polynésiennes1. La très grande majorité d’entre elles ont été introduites, que ce soit par les Austronésiens/Polynésiens ou plus récemment depuis la découverte des îles par les européens. "Mais introduite ne veut pas forcément dire qu'elle peut provoquer un ou plusieurs impacts importants", insiste l’entomologiste Thibault Ramage.
Les espèces introduites qui peuvent potentiellement avoir un impact sont : la fourmi folle jaune (Anoplolepis gracilipes, Smith), la fourmi folle noire (Paratrechina longicornis (Latreille)), la fourmi de feu (Solenopsis geminata (Fabricius)), la petite fourmi de feu (Wasmannia auropunctata (Roger)), la fourmi de Singapour (Trichomyrmex destructor (Jerdon)) et la fourmi à grosse tête (Pheidole megacephala (Fabricius)). "Potentiellement, car ces espèces qui sont connues pour avoir un impact ailleurs n’ont fait l’objet d’aucune étude sur le territoire. Leur impact est donc supposé, il n’a pas été prouvé", précise l’entomologiste. Il n’a pas encore été prouvé.
Quatre impacts
Les fourmis peuvent avoir des impacts sur la biodiversité, sur l’agriculture, sur la santé et enfin sur l’économie d’un pays/territoire. Ce qui fait quatre types d’impact. "Les espèces exotiques envahissantes modifient les habitats et/ou s'attaquent aux espèces locales voire endémiques", explique Thibault Ramage. "Ce qui mène à la disparition d'habitats/espèces uniques. Les six espèces citées précédemment peuvent être responsables de cela."
Pour ce qui est de l’agriculture, les espèces exotiques envahissantes élèvent des pucerons, cochenilles ou autres insectes piqueurs/suceurs sur les récoltes, ce qui réduit voire anéantit la production. Pour exemple, la petite fourmi de feu. Les six espèces mentionnées peuvent avoir un impact sur l'agriculture.
Par ailleurs, les espèces exotiques envahissantes piquent hommes et animaux. Des piqûres qui peuvent provoquer des chocs anaphylactiques ou la kératite de Floride, pour la petite fourmi de feu. Certaines d’entre elles peuvent s'installer dans les bâtiments. Il faut aussi penser à "la gêne provoquée par la très forte abondance de fourmis chez soi et l'impact que cela peut avoir sur le corps et le psychologique de se faire piquer tout le temps, de tout le temps devoir faire attention car elles sont partout dans la maison, dans les vêtements, etc".
La petite fourmi de feu est connue pour cela sur Tahiti (zone de Mahinarama par exemple). En ce moment, la fourmi folle jaune est tellement abondante dans certaines îles des Marquises qu'elle va même "jusqu'à venir lécher les larmes des bébés, riches en sel et protéines". La fourmi de feu, la petite fourmi de feu et la fourmi de Singapour sont les trois espèces qui peuvent vraiment gêner avec leurs piqûres. Tandis que la fourmi pharaon (Monomorium pharaonis (Linnaeus)) ou la fourmi folle noire sont connues pour s’installer dans les hôpitaux et transporter des pathogènes.
Dernier secteur concerné, l’économie. La fourmi de Singapour s'attaque par exemple à l'isolant des câbles électriques. Ce qui provoque des court-circuits et peut endommager aussi bien le réseau électrique, l'électroménager, les voitures, etc. C'est cette fourmi qui pourrait avoir le plus d'impact sur l’économie en Polynésie. "À moins que la petite fourmi de feu ou une autre espèce de ce style ne s'installe dans les îles et zones les plus touristiques." Si les grands hôtels de Bora bora se retrouvaient infestés de petite fourmi de feu, pas sûr que les clients apprécient.
Introduction des espèces : les étapes
L'arrivée d’une nouvelle espèce sur un territoire se fait via les réseaux de transport (aérien, maritime). "C'est ce moment qui est le plus charnière et le plus "i[facile" à maitriser. Si l'on détecte une nouvelle arrivante dans les containers via un contrôle des phytosanitaires, on peut tout de suite l'éliminer et l'empêcher d'essayer de s'installer.]i" Ce type de contrôle, pas assez présent en Polynésie, est déjà bien installé à Hawaii, en Nouvelle-Zélande ou en Australie, et en cours de développement en Nouvelle-Calédonie. C'est finalement l'étape la plus réalisable et la moins chère à long terme.
Deuxième étape : l'espèce sort du container et commence à s'installer sur le territoire. Les colonies existantes sont rares, localisées et de petite taille. Selon l'espèce et le degré d'installation, c'est potentiellement encore possible de l'éradiquer si les moyens sont mis en œuvre.
Enfin, l'espèce s'est bien installée sur le territoire (en Polynésie sur une ou plusieurs îles). Il est alors impossible de l'éradiquer. "On ne peut que l'empêcher de proliférer et de contaminer d'autres îles."
La très grande majorité des fourmis introduites en Polynésie sont bien installées, "il est trop tard pour une éradication maintenant". Pour autant, il ne faut pas baisser les bras et empêcher la prolifération et la colonisation d’autres îles. La Direction de l’environnement (DIREN), avec le réseau Espèces exotiques envahissantes qu'elle a mis en place depuis un peu moins de 3 ans, essaie de contenir la petite fourmi de feu.
1 Les fourmis de Polynésie française (Hymenoptera, Formicidae), paru dans le bulletin de la Société entomologique de France en 2014.
Delphine Barrais et Thibault Ramage
"On peut craindre n’importe quelle espèce de n’importe où"
La pire fourmi qui pourrait arriver en Polynésie c'est la grande fourmi de feu ou RIFA pour Red Imported Fire Ant (Solenopsis invicta Buren). "Elle n'est pas directement aux portes du fenua", assure Thibault Ramage "mais quand on voit que la guêpe Sceliphron curvatum (Smith) a fait un bon de la métropole à Tahiti par container et que maintenant elle se répand dans l'archipel de la Société, on peut craindre n'importe quelle espèce de n'importe où".
D'autres insectes introduits peuvent avoir un fort impact, sur la biodiversité notamment. C'est le cas de la guêpe Vespula vulgaris, détectée à la fin des années 1990. Elle est cantonnée aux sommets de Tahiti (au-dessus de 900 mètres d'altitude) pour l'instant, "pile poil dans la zone d’habitats d’espèces endémiques. Elle pourrait, et peut même déjà avoir un fort impact sur la flore et la faune endémique".
D’autres espèces d’insectes introduites pourraient causer des dégâts. "C'est pourquoi de bons contrôles phytosanitaires sont indispensables si à long terme on ne veut pas que l'économie soit impactée. Les contrôles peuvent coûter cher maintenant, mais il a été montré que le coût pour éliminer ou lutter contre une espèce installée sont, à long terme, beaucoup plus élevés que les contrôles." Mais il n’y a pas véritablement de vision à long terme de la problématique.
La pire fourmi qui pourrait arriver en Polynésie c'est la grande fourmi de feu ou RIFA pour Red Imported Fire Ant (Solenopsis invicta Buren). "Elle n'est pas directement aux portes du fenua", assure Thibault Ramage "mais quand on voit que la guêpe Sceliphron curvatum (Smith) a fait un bon de la métropole à Tahiti par container et que maintenant elle se répand dans l'archipel de la Société, on peut craindre n'importe quelle espèce de n'importe où".
D'autres insectes introduits peuvent avoir un fort impact, sur la biodiversité notamment. C'est le cas de la guêpe Vespula vulgaris, détectée à la fin des années 1990. Elle est cantonnée aux sommets de Tahiti (au-dessus de 900 mètres d'altitude) pour l'instant, "pile poil dans la zone d’habitats d’espèces endémiques. Elle pourrait, et peut même déjà avoir un fort impact sur la flore et la faune endémique".
D’autres espèces d’insectes introduites pourraient causer des dégâts. "C'est pourquoi de bons contrôles phytosanitaires sont indispensables si à long terme on ne veut pas que l'économie soit impactée. Les contrôles peuvent coûter cher maintenant, mais il a été montré que le coût pour éliminer ou lutter contre une espèce installée sont, à long terme, beaucoup plus élevés que les contrôles." Mais il n’y a pas véritablement de vision à long terme de la problématique.
"Je prends sur mon temps libre"
Thibaut Ramage est un entomologiste indépendant, il travaille majoritairement sur les insectes des territoires ultramarins français. Il a vécu et travaillé sur la petite fourmi de feu à Tahiti en 2009. Depuis il entretient une passion pour les insectes polynésiens. Il étudie les abeilles, guêpes et fourmis (Hyménoptères) et les charançons, coccinelles, scarabées… (les Coléoptères). De manière générale, il s'intéresse à toute l'entomofaune (les insectes) de Polynésie. "Je prends sur mon temps libre pour effectuer des recherches sur les insectes de Polynésie française, il n'y a pas de financements pour un indépendant comme moi pour travailler sur ce sujet". En 2012, il est revenu sur le territoire pour une mission d'un mois d'étude des insectes de la Société. "Je suis toujours en train de travailler sur les récoltes de 2012, il y a tellement à faire, nous sommes très peu d'entomologistes à travailler sur la faunistique et la taxonomie de l'entomofaune de Polynésie". Il espère revenir au fenua. En attendant, des amis/collègues collectent des insectes pour lui. "Ce qui fait que régulièrement je reçois des spécimens et que j'ai toujours de quoi faire sur l'entomofaune de Polynésie".
Thibaut Ramage est un entomologiste indépendant, il travaille majoritairement sur les insectes des territoires ultramarins français. Il a vécu et travaillé sur la petite fourmi de feu à Tahiti en 2009. Depuis il entretient une passion pour les insectes polynésiens. Il étudie les abeilles, guêpes et fourmis (Hyménoptères) et les charançons, coccinelles, scarabées… (les Coléoptères). De manière générale, il s'intéresse à toute l'entomofaune (les insectes) de Polynésie. "Je prends sur mon temps libre pour effectuer des recherches sur les insectes de Polynésie française, il n'y a pas de financements pour un indépendant comme moi pour travailler sur ce sujet". En 2012, il est revenu sur le territoire pour une mission d'un mois d'étude des insectes de la Société. "Je suis toujours en train de travailler sur les récoltes de 2012, il y a tellement à faire, nous sommes très peu d'entomologistes à travailler sur la faunistique et la taxonomie de l'entomofaune de Polynésie". Il espère revenir au fenua. En attendant, des amis/collègues collectent des insectes pour lui. "Ce qui fait que régulièrement je reçois des spécimens et que j'ai toujours de quoi faire sur l'entomofaune de Polynésie".