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Derrière les ruines hôtelières : le rêve brisé du tourisme de luxe


De nombreux hôtels prestigieux sont laissés à l'abandon en Polynésie, comme l’InterContinental ou le Club Med de Moorea, le Tahara’a (ici en photo) ou le Ia Ora Beach Resort à Tahiti, le Hyatt à Bora Bora ou encore le Sofitel de Huahine. Crédit photo : Archives TI.
De nombreux hôtels prestigieux sont laissés à l'abandon en Polynésie, comme l’InterContinental ou le Club Med de Moorea, le Tahara’a (ici en photo) ou le Ia Ora Beach Resort à Tahiti, le Hyatt à Bora Bora ou encore le Sofitel de Huahine. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 19 décembre 2024 - Près d’une trentaine d’hôtels abandonnés parsèment la Polynésie. Une problématique à laquelle le média hexagonal Brut s'est intéressé dans une vidéo sur YouTube. Entre visions irréalistes, crises mondiales et problématiques foncières, ces lieux désertés incarnent les échecs d’une stratégie touristique tournée vers le luxe, mais déconnectée des réalités locales.
 
Derrière les paysages de carte postale, la Polynésie cache un paradoxe intrigant : des hôtels abandonnés, laissés en friche et livrés, pour certains, à la voracité de la végétation tropicale et à l'emprise du temps. Ces vestiges témoignent d’une époque où le tourisme semblait être la clé de la prospérité économique. Aujourd’hui, ils symbolisent les échecs d’une ambition mal calibrée face aux réalités locales.
 
C’est ce phénomène que le média hexagonal Brut a choisi d’explorer dans une vidéo publiée sur YouTube. Dans cette enquête, l’accent est mis sur des établissements prestigieux aujourd’hui en ruines : l’InterContinental ou le Club Med de Moorea, le Tahara’a ou le Ia Ora Beach Resort (ex-Méridien) à Tahiti, le Hyatt à Bora Bora ou encore le Sofitel de Huahine. Qualifié de “phénomène de grande ampleur” par Brut, ce constat est frappant : plus d’une trentaine d’hôtels sont aujourd’hui laissés à l’abandon, passant ainsi du “rêve à la ruine”.
 
Des projets démesurés pour un marché restreint
 
Dans les années 1980 et 1990, le boom touristique mondial a suscité une véritable frénésie de constructions hôtelières en Polynésie. Des investisseurs, souvent étrangers, ont misé sur le potentiel de destinations à forte attractivité comme Bora Bora, Tahiti et Moorea. Le résultat : des complexes somptueux pensés pour une clientèle internationale fortunée. Cependant, ces projets ont été conçus sans une analyse réaliste du marché local. Trente ans plus tard, beaucoup de ces établissements, jugés pas assez rentables, ont été abandonnés. En cause : des coûts de séjour prohibitifs et une concurrence accrue d’autres paradis tropicaux tels que les Maldives ou les Seychelles. À cela s’ajoute la dépendance du territoire à des marchés touristiques volatils comme celui des États-Unis, sensible aux crises économiques et aux fluctuations des devises.
 
Une autre problématique, mise en lumière par Brut, réside dans les indivisions foncières. Nombre de ces hôtels ont été érigés sur des terrains loués à des propriétaires multiples. Or, au moment de renouveler les baux, certains ont refusé, menant à la fermeture forcée de ces structures. Enfin, les crises économiques et environnementales – la récession de 2008 ou, plus récemment, la pandémie de Covid-19 – ont fragilisé un secteur déjà sous tension.
 

Le Sofitel de Bora Bora est abandonné depuis 2023. Crédit photo : Archives TI.
Le Sofitel de Bora Bora est abandonné depuis 2023. Crédit photo : Archives TI.
Des conséquences visibles et invisibles
 
L’impact de ces hôtels abandonnés est à la fois écologique, économique et sociétal. Certains sites, comme l’hôtel Hana Iti à Huahine, sont aujourd’hui engloutis par la nature. Mais pour beaucoup d’autres, les bâtiments délabrés, aux fenêtres brisées et aux piscines vides, détonnent dans le paysage. Ces lieux, parfois squattés, deviennent des foyers de maladies à cause des moustiques qui prolifèrent dans les bassins délaissés. L’incendie de l’ancien Méridien, l'an dernier, illustre par ailleurs la vulnérabilité de ces structures.
 
L’environnement paie également un lourd tribut. Anthony Tchékémian, maître de conférences en géographie et urbanisme à l’Université de la Polynésie française, souligne pour Brut les risques de fuites chimiques et de contaminations par des matériaux anciens comme l’amiante.
 
Sur le plan économique, chaque fermeture représente des dizaines, voire des centaines d’emplois perdus dans l’hébergement, la restauration et les activités touristiques. Enfin, l’image de la destination en souffre : ces établissements délaissés renvoient un signal de gestion défaillante aux visiteurs.
 
Reconversion : un chemin semé d’embûches
 
Face à ce constat, des voix s’élèvent pour réhabiliter ces structures abandonnées. Certains projets ont vu le jour, à l’image de l’hôtel Cook’s Bay à Moorea, rouvert en 2021 après plus de 20 ans d’abandon, ou encore le Maitai Express qui a rouvert il y a quelques semaines à la place de l'ancien Prince Hinoi à Papeete. De même, le Sofitel Maeva Beach de Tahiti a été démantelé pour en faire le parc Vairai à Punaauia.
 
Cependant, les obstacles restent nombreux : lourdeurs administratives, financement insuffisant et complexités foncières freinent les initiatives. La Chambre territoriale des comptes (CTC) souligne, dans un récent rapport, que réhabiliter un hôtel coûte souvent plus cher que d’en construire un neuf. Par ailleurs, les incitations fiscales actuelles (défiscalisations), axées sur la construction de nouvelles structures, n’encouragent guère les promoteurs à maintenir ou restaurer les hôtels après les dix ans d’exploitation minimum requis.
 
Malgré tout, ces reconversions pourraient incarner un nouveau modèle touristique, plus durable et résilient. Elles appellent à une réflexion globale sur les limites d’un développement fondé uniquement sur le tourisme de luxe. La vidéo de Brut est disponible sur YouTube : “Que cachent ces immenses ruines dans ce pays d'outre-mer ?”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 19 Décembre 2024 à 13:33 | Lu 5876 fois