Tahiti Infos

Yvan Colin : "Nous devons faire en sorte que la prison ait sa place dans la cité "


Yvan Colin, directeur par intérim du SPIP
Yvan Colin, directeur par intérim du SPIP
PAPEETE, le 20-10-2015- Depuis plus de vingt ans, Yvan Colin travaille au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Papeete. Il en est aujourd'hui le directeur par intérim. Plus communément appelé le SPIP, cette institution officie en milieu carcéral (milieu fermé) et en milieu ouvert. Souvent méconnue du grand public, le SPIP est pourtant l'un des piliers du milieu carcéral. Parmi ses nombreuses missions son objectif principal reste la prévention de la récidive des personnes détenues et le suivi de celles-ci en milieu ouvert. Explications.

Quelles sont les missions essentielles du SPIP ?

"Dans le milieu carcéral, il y a d'un côté les agents en uniforme qui assurent la garde et la sécurité sous la responsabilité du chef d’établissement et d'un autre côté le service pénitentiaire d'insertion et de probation (le SPIP), qui a sa propre direction. Notre mission première reste la prévention de la récidive ainsi que l'aide à la décision judiciaire et à l'individualisation de la peine. Par ailleurs des actions sont menées par le service pour éviter la désocialisation des personnes et favoriser la réinsertion de celles-ci.

En milieu ouvert c'est un peu différent : Nous recevons des gens condamnés à du travail d’intérêt général, à du sursis mise à l’épreuve, au port du bracelet électronique ou bénéficiant d’aménagements de peine octroyés par le juge de l’application des peines. Nous veillons à la mise en place et au suivi de ces mesures tout en faisant prendre conscience aux intéressés qu'ils ont « franchi la ligne blanche ». Ces derniers doivent bien souvent respecter des obligations prononcées par jugements (rembourser les victimes, mettre en place des soins au regard de leur problématique). Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation s’attachent à faire prendre conscience à ces personnes de la nécessité de respecter ces obligations.

Nous travaillons avec beaucoup de partenaires publics : la ville, les services déconcentrés de l'Etat, etc. ainsi que des associations. Notre action prend pleinement sa mesure qu'à partir du moment où nous arrivons à nouer des partenariats et à impliquer la société civile dans nos missions.

Les conseillers d'insertion et de probation ont également pour mission d'aider à la prise de décision et à la mise à exécution les décisions pénales qu'elles soient restreintes ou privatives de liberté."

Expliquez-nous ce qu'est l'individualisation de peine ?

"Que ça soit en milieu fermé ou en milieu ouvert, nous assurons une prise en charge individuelle des personnes. Ce qui est valable pour une personne n’est pas forcément transposable à une autre et nous contribuons à la mise en place d’un parcours d’exécution de la peine.

Nous aidons à la décision du magistrat pour les aménagements de peine des personnes détenues à Faa'a, de Raiatea ou des Marquises (les trois prisons de Polynésie Ndlr) par des rapports assortis d’avis et nous aidons à la préparation de la sortie du détenu.
Nous incitons les personnes incarcérées à être "actrices" de leur détention et ne restent pas inactives. Il est nécessaire aussi qu’elles fassent un travail personnel sur les raisons qui les ont amenées à être incarcérées, de faire en sorte que les choses avancent et que la prison leur serve.

Sur un plan purement matériel, nous les aidons pour faire une carte d'identité, une couverture sociale, etc. Avec ce processus, nous essayons que le retour à la vie extérieure ne soit pas entravé par des questions administratives."

Une de vos missions premières concerne la réinsertion des détenus, expliquez-nous comment cela fonctionne ?

"Parmi les axes de travail, le SPIP en partenariat avec la direction du centre pénitentiaire et le Service de l'emploi de la formation et de l'insertion professionnelle (SEFI), met en place des formations .Au dernier trimestre 2014, nous avons organisé une formation agricole. Plus tôt dans l’année, c’est une formation cuisine qui a été dispensée à l'intérieur des murs de la prison. Nous voulons que les formations en prison soient en tous points identiques à celles proposées à l’extérieur. Cela les rend crédibles. Elles sont destinées en priorité aux personnes qui vont sortir de l'établissement ou qui sont à même de bénéficier d'un aménagement de peine. Nous proposons également des bilans de compétence et des ateliers de recherche d’emploi avec l’association pu avei’a.

Autre axe de travail : l'accès à la culture, nous avons par exemple signé un partenariat avec la Maison de la culture de Papeete et le service des archives territoriales. Des projections entrant dans le cadre de « Cinematamua », sont proposées. Elles sont destinées, entre autres, aux plus jeunes en quête d’identité. Pour la plupart ils découvrent la Polynésie de leurs parents et grands-parents avec lesquels il convient de recréer du lien.
D’autres activités sont mises en place (arts plastiques, échecs, yoga). Au-delà de l’intérêt qu’elles peuvent avoir pour les participants, elles nous permettent aussi de voir l’évolution de ceux-ci au sein d’un groupe.
Certaines permettent à des personnes détenues - hommes ou femmes - bénéficiant de permissions de sortir, de participer à des compétitions sportives ou actions, encadrées à l’extérieur (vaa’a, course la Tahitienne, opération clean up day, etc...)
Nous conduisons aussi des groupes de paroles sur des problématiques communes aux personnes qui y participent.

"TOUT CE QUI EST MIS EN PLACE PROCEDE DE L’IDEE QUE TOT OU TARD, LA PERSONNE RESSORTIRA DE LA PRISON UN JOUR."

La nouvelle prison de Papeari ouvrira ses portes début 2017. Comment le SPIP va travailler avec elle ?

Nous travaillerons dans le même esprit et avec les mêmes objectifs. Nous espérons que du travail pourra être donné aux personnes incarcérées car cela leur permettra d’avoir un pécule au moment de leur sortie. Vous savez, c'est très difficile de sortir sans argent. Tout ce qui est mis en place procède de l’idée que tôt ou tard, la personne ressortira de la prison un jour. Cela se prépare. Nous devons faire en sorte que la prison ait sa place dans la cité.

Paradoxalement, la prison n'est pas fermée et n’occulte pas la vie qui se déroule à l’extérieur. Nous espérons ainsi limiter les effets désocialisant de l'enfermement. Nous facilitons avec l’accord de la direction de la prison, la venue d’intervenants extérieurs. Il est important de créer du lien, ou recréer du lien, en sachant par ailleurs que bien souvent les personnes ont un problème affectif."

Travaillez-vous avec les familles des détenus ?

"Si le détenu ne s'y oppose pas, on assure le lien avec la famille. Nous sommes attentifs aux problèmes d'indigence, aux problèmes d'illettrisme, de toxicomanie. Nous travaillons beaucoup avec les psychologues des établissements. Chaque semaine, nous avons une commission pluridisciplinaire à laquelle participent des représentants de tous les services et où il y a un véritable échange. Les situations critiques y sont étudiées avec un soin particulier pour les nouveaux entrants à l’établissement."

La prison de Nuutania est la plus peuplée de métropole, comment gérez-vous cela ?

"C'est vrai, tout le monde a entendu parler de Nuutania, c'est un peu une institution ici. Toutefois, en Polynésie, il n'y a pas forcément un regard réprobateur sur les personnes détenues lors de leur retour à la vie de femme ou d’homme libre. Par contre, à la sortie de prison, il est vrai qu'il n'est pas facile pour une personne détenue de retrouver sa place dans la société surtout si la situation économique est difficile et qu’il n’a pas d’hébergement."

Dans cette prison il y a aussi des personnes qui ont commis des crimes graves, comment gérez-vous cela ?

"C'est vrai qu'il y a une dimension humaine qui ne confère pas à la légèreté. Quand quelqu'un a commis un acte grave, il y a une prise en charge psychologique, médicale, on est conscient que nous ne sommes pas là pour juger. Nous aidons à la prise de conscience du fait qu'ils ont commis un acte grave. Il convient que l’intéressé en prenne conscience, se responsabilise et ne se remette pas dans les mêmes conditions que celles qui l’ont amené à passer aux actes."

Donnez-nous un exemple de réinsertion réussi.

"Aux Australes, une personne a été condamnée à 2 fois 140 heures de travail d'intérêt général. Cette personne était considérée comme "un trublion". La mairie se demandait comment faire respecter cette obligation. Et bien ce garçon a fait ses 280 heures de travail général, bénévolement, et aujourd'hui il a repris sa place dans la société. Ça lui a permis d'avoir une première expérience professionnelle, tout en étant encadré."

Les compétences du service d'insertion et de probation (SPIP)

Les SPIP interviennent dans la cadre d’un mandat judiciaire :

En milieu ouvert

Ils apportent à l'autorité judiciaire tous les éléments d'évaluation utiles à la préparation et à la mise en œuvre des condamnations
Ils aident les personnes condamnées à comprendre la peine et impulsent avec elles une dynamique de réinsertion, notamment par la mise en place de programmes de prévention de la récidive
Ils s'assurent du respect des obligations imposées aux personnes condamnées à des peines restrictives ou privatives de liberté (semi-liberté, travaux d'intérêt général, liberté conditionnelle, placement sous surveillance électronique...)
Dans le cadre des politiques publiques, ils favorisent l’accès des personnes aux dispositifs d’insertion sociale et professionnelle

En milieu fermé

La mission des SPIP est d'accompagner les personnes détenues dans le cadre d’un parcours d’exécution des peines. A cette fin, les personnels d'insertion et de probation agissent en tant que :

- Aide à la décision judiciaire, en proposant des aménagements de peine au juge d'application des peines en fonction du parcours de vie du condamné, de l'acte de délinquance qu'il a commis, et de sa situation économique et financière.

- Aide à la préparation à la sortie de prison par le développement et la coordination d'un réseau de partenaires institutionnels et associatifs. Il s'agit alors de faciliter l'accès des personnes incarcérées aux dispositifs d’insertion de droit commun (logement, soin, formation, travail….)

- Aide au maintien des liens familiaux

- Aide à l'accès à la culture. Les SPIP programment des activités adaptées au milieu carcéral, telles que la diffusion d'œuvres, ou l'organisation d'ateliers de pratiques artistiques.

(Source : justice.gouv.fr)

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Mardi 20 Octobre 2015 à 08:59 | Lu 2586 fois