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Nathalie Convert, une locavore polynésienne


Nathalie Convert, une locavore polynésienne
PAPEETE, le 13 juin 2017 - À 36 ans, Nathalie Convert a une ambition : structurer la filière agricole polynésienne, redynamiser fa'a'apu des îles Sous-le-Vent et promouvoir le "manger local". Sa société, la Compagnie agricole polynésienne, se veut un relais entre agriculteurs, professionnels et consommateurs. Portrait d'une femme au parcours atypique.

Nathalie Convert est une femme comme on en rencontre peu. Elle est assise sur une table haute d'un nouveau restaurant branché de Papeete. Coupe structurée, tenue branchée, quand on la voit, il est difficile de deviner qu'elle travaille avec le monde agricole. "En ce moment, je mange, je fais du sport et je travaille. Je travaille non-stop, sept jours sur sept : le matin, la journée, la nuit…" lâche-t-elle dans un éclat de rire.

Dynamique et pétillante, elle s'impose des challenges tous plus fous les uns que les autres. À 36 ans, elle a décidé de s'attaquer à un "mammouth", comme elle aime l'appeler : elle s'est donné pour mission de structurer la filière agricole en Polynésie et promouvoir le manger local.

Rien ne destinait Nathalie à se lancer dans l'agriculture. Après une licence de droit fiscal et immobilier, elle décide, en 2001, de rejoindre ses parents pour s'installer en Polynésie. "Même si j'ai grandi à Toulon, j'ai toujours vécu dans les deux cultures. Quand je suis rentrée en Polynésie, j'ai commencé par devenir professeure de français, puis j'ai passé le concours et je suis devenue institutrice aux Raromatai. Et j'en ai eu assez. J'ai passé le concours pour devenir directrice. J'ai été directrice de Taputapuatea, dans la baie de Faaroa, qui est une zone agricole riche. Au bout de cinq ans, j'en ai eu assez et je suis devenue formatrice au CFPA. Cela m'a permis de voir au quotidien les difficultés que rencontrent les agriculteurs à écouler leurs stocks. J'ai vu la disponibilité en terre, j'ai vu les ressources possibles et surtout les problèmes d'écoulement entre les professionnels et les agriculteurs. C'est de là qu'est née la CAP." Nathalie voit quotidiennement les agriculteurs de Raiatea peiner à écouler leurs stocks. Elle constate également que les professionnels de la restauration et de la distribution de Tahiti et Bora Bora rencontrent des difficultés d'approvisionnement. "Au début, ça me faisait sourire, mais au bout d'un moment, ça a commencé à m'agacer. Alors, plutôt que de rester les bras croisés à ne rien faire, j'ai commencé à élaborer mon projet de la Compagnie Agricole Polynésienne (CAP)."

Selon elle, la filière agricole du Pays a trop longtemps été délaissée. Elle raconte, avec une pointe d'agacement : "Les Raromatai sont le garde-manger de la Polynésie. Il faut réactiver tout ça. Nous avons des richesses extraordinaires. Le pire, c'est qu'en plus de ne pas les exploiter, nous importons exactement les mêmes produits ! Les fruits séchés qui viennent de l'étranger (mangue, papaye, banane, les chips de tarot et de patate douce) que l'on paye une fortune alors que le tarot est à la base de l'alimentation ici…"

Elle met cinq ans avant de mettre son projet à exécution, entre le démarchage des agriculteurs, la récolte des fonds pour les payer en cash et la recherche-développement, Nathalie lance enfin la CAP en juillet 2016. "Nous avons fait les essais jusqu'au mois d'octobre et à partir de là, nous avons commencé la commercialisation. Le but est de centraliser la production agricole des îles Sous-le-Vent et de proposer nos ressources agricoles sous de nouveaux formats. L'objectif étant de faciliter l'accès, l'écoulement et, in fine, organiser un petit peu la filière agricole de l'archipel."

Aujourd'hui, La CAP se place comme un relais pour des fruits et des légumes en vrac, mais aussi dans la filière de produits transformés et surgelés. Nathalie tient à faire redécouvrir les légumes locaux aux Polynésiens : chips, frites, purées... Elle se lance même dans les pâtes de légumes et ça marche… Un an après sa création, la CAP traite au minimum quatre tonnes de légumes et de fruits par semaine. Parfois, quand elle a beaucoup de commandes des collectivités, elle peut atteindre jusqu'à huit tonnes hebdomadaires. Son objectif, dans les mois à venir, serait d'atteindre les dix tonnes hebdomadaires.

Pour en arriver là, Nathalie a dû travailler dur. Pour lancer son entreprise, elle n'a eu recours qu'à des fonds propres. Elle a obtenu de l'aide du SDR (aujourd'hui direction de l'Agriculture) qui a mis à sa disposition un bâtiment avec des laboratoires. L'entrepreneure a aussi remporté des concours pour les jeunes entreprises. "J'ai refusé de prendre un prêt. Se lancer dans la filière agricole avec un crédit sur le dos, c'est suicidaire…" Son plus gros chantier a été de gagner la confiance des agriculteurs et de faire jouer ses connaissances pour toucher les professionnels. "Les agriculteurs me connaissaient et ils savaient bien que je n'étais pas du milieu. J'ai dû leur faire comprendre ce que je voulais. Beaucoup étaient désabusés. Ils ont vu plusieurs projets de coopératives et d'entreprises se monter et plier bagage rapidement. J'ai dû faire mes preuves. Je n'ai pas la main verte et je ne sais pas cultiver. En revanche, j'ai des contacts, je connais l'administration, j'ai l'imagination et je suis bonne pour créer, trouver des idées et réinventer la transformation des produits locaux. Je connais nos légumes, je les aime et je veux les partager."

En plus de racheter, Nathalie structure, oriente. Elle essaie de projeter. "Je me rends compte qu'il faut du matériel pour les agriculteurs donc, là, je vais en acheter pour les mettre à disposition, sous contrat. Je vais aussi mettre les agriculteurs sous contrats de production pour pouvoir essayer d'organiser la filière et de lisser les revenus." Ainsi, les agriculteurs qui travaillent régulièrement avec elle peuvent gagner entre 70 000 et 90 000 francs par semaine. Elle tient à privilégier les agriculteurs fiables. Elle les suit tous les jours et voit avec eux comment diversifier leur production en fonction des besoins de la CAP. "À chaque saison, j'essaie de trouver de nouvelles transformations pour pouvoir acheter les produits. Là, pendant un an, je vais continuer à suivre les agriculteurs, à vivre à leur rythme. Petit à petit, j'essaie de proposer pas mal de choses et de structurer la filière. J'essaie de structurer le ramassage, les plantations, tout simplement la production."

Les perspectives immédiates de la CAP sont l'extension sur l'ensemble des Raromatai. D'ici la fin de l'année, elle aimerait commencer à travailler avec les agriculteurs de Tahiti et sur le long terme organiser la filière avec les autres archipels, notamment les Marquises, les Australes et les Tuamotu.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Mardi 13 Juin 2017 à 17:42 | Lu 15159 fois