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L'histoire de la banane dans le Pacifique à travers la génétique


1-Distribution géographique des accessions de bananiers échantillonnés (Plos One mars 2016).
1-Distribution géographique des accessions de bananiers échantillonnés (Plos One mars 2016).
PAPEETE, le 10 juin 2016. Grâce à la génétique, des chercheurs ont retracé le parcours de la banane dans le Pacifique Sud.

Une fois n'est pas coutume, c'est au cœur de l'ADN des bananiers qu'une histoire méconnue des peuples d'Océanie vient d'être retracée, celle de la diffusion de la banane à travers tout le Pacifique Sud et du rôle clé des traditions culturelles dans le maintien de leur diversité. Une étude publiée dans la revue scientifique PlosOne en mars et menée par Valérie Kagy de l'Institut agronomique néo-calédonien (IAC) (1) s'appuie sur la comparaison génétique d'une centaine de variétés de bananiers d'Océanie pour apporter un nouvel éclairage sur le parcours millénaire de cette herbe voyageuse et l'urgence de conserver un patrimoine régional unique.

Des menaces
La famille des bananiers comprend un millier de variétés dites « à dessert » ou « à cuire » mais le commerce mondial, qui pèse aujourd'hui 14 millions de tonnes et près de 5 milliards de dollars, est dominé par la culture quasi exclusive d'une seule variété « à dessert », la banane Cavendish, dont le système de culture, intensif, se trouve fragilisé par des fléaux de plus en plus difficiles à contenir (maladies, ravageurs, impacts anthropiques, changements climatique). Dans ce contexte, la Nouvelle-Calédonie n'est pas épargnée et plusieurs virus, dont celui du Bunchy top (ou BBTV), menacent depuis une dizaine d'années la pérennité des cultures. « Il devenait urgent de mettre en place une stratégie efficace de conservation et de sécurisation de nos bananiers plantains (« bananes à cuire »). Nous avions à faire à une grande diversité morphologique et donc, besoin de connaître les profils génétiques en présence pour établir les priorités de conservation » explique Valérie Kagy, chercheuse en physiologie des plantes tropicales à l'IAC.

2- Les bananiers plantain du Pacifique sud présentent une grande variété de formes.
2- Les bananiers plantain du Pacifique sud présentent une grande variété de formes.
Migrations
Cent cinq variétés de bananiers originaires des îles du Pacifique (Papouasie Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Calédonie, îles Cook, Polynésie française, Micronésie, Iles Salomon, Samoa, Fidji, Hawaii et Vanuatu) ont ainsi été examinées à la loupe. Résultat, si les chercheurs confirment une origine géographique de cette plante en Nouvelle-Guinée, ils découvrent que l'agriculture a modelé, au gré des migrations humaines et des sélections variétales successives, le visage actuel de la banane Plantain du Pacifique autour de trois groupes majeurs : Maoli (ou bananes chef), Popoulu (ou bananes poingo) et Iholena. Les Austronésiens, qui ont peuplé par vagues successives les îles du Pacifique depuis l'Asie du Sud-est, ont progressivement domestiqué des variétés stériles pour manger des fruits sans graines et sélectionné, pour des raisons esthétiques, gustatives ou agronomiques, une vaste palette de variétés. Les variétés actuelles sont triploïdes, diffusées par reproduction clonale et leur diversité résulte de mutations génétiques spontanées (somaclonale ou épigénétiques), conservées d'années en années par l'homme.


3-Prospection de terrain en Nouvelle-Calédonie.
3-Prospection de terrain en Nouvelle-Calédonie.
Erosion
« Dans la plupart des îles du Pacifique, l'homme a sélectionné les variétés les plus productives, ce qui a conduit à une perte de diversité génétique. Or, les bananiers de Nouvelle-Calédonie constituent, au sein des Maoli, un groupe encore foisonnant, génétiquement à part, alors que partout ailleurs en Océanie, l'agriculture a entrainé une érosion génétique. Cette richesse patrimoniale est liée au maintien localement de fortes traditions socio-culturelles autour de la banane», confie la chercheuse.
En effet, au sein des populations kanak, certains bananiers ont un rôle socio-culturel fort, ils symbolisent l'identité d'un clan, incarnent des fonctions protectrices et sont transmis lors d'offrandes prestigieuses de générations en générations. « Dans les régions où la banane ne présente pas de sens culturel, il y a une érosion génétique. Diversité génétique et culturelle vont de pair. Cela nous amène à considérer que dans les stratégies de sécurisation et de conservation durables et efficaces de l'agrobiodiversité, il faut prendre en compte la dimension culturelle et collecter le matériel biologique original dans les lieux où la banane occupe encore d'importantes fonctions socio-culturelles » précise Valérie Kagy. « D'autant que certaines variétés anciennes présentent des caractéristiques nutritionnelles très intéressantes, des morphologies ainsi que des goûts inédits, des qualités de résistance à certaines maladies ou d'adaptation à l'environnement, qui peuvent constituer, pour aujourd'hui et pour demain, des atouts dans les enjeux de sécurité alimentaire, de changement climatique et d'agriculture durable» ajoute Xavier Perrier, mathématicien au département « Systèmes biologiques » du Cirad et également auteur de l'étude.

La prise de conscience de la richesse des bananiers et de leur fragilité par les différents pays du Pacifique a entrainé la mise en place d'une collection génétique commune établie en vitro-culture à la CPS de Fidji et en champs en Polynésie française et prochainement en Nouvelle-Calédonie.


(1) Cette étude a été menée en collaboration avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), le Service du développement rural de Polynésie française, la CPS (Communauté du Pacifique Sud), Biodiversity International et l'Institute of Experimental Botany.


Rédigé par D'APRES UN COMMUNIQUE DE L'INSTITUT AGRONOMIQUE NEO-CALEDONIEN le Vendredi 10 Juin 2016 à 15:01 | Lu 3323 fois