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Quand la Codim et le Pays ont du mal à dialoguer sur le développement des Marquises


© Greg Boissy
© Greg Boissy
Tahiti, le 27 février 2023 – La Chambre territoriale des comptes vient de publier son rapport sur le contrôle des comptes et la gestion de la communauté de communes des îles Marquises. Elle met notamment en lumière le “blocage de dialogue institutionnel” entre la Codim et le Pays sur la question de répartition des compétences, illustré par le projet d'aire marine protégée.
 
Après un premier contrôle effectué en 2017, la Chambre territoriale des comptes (CTC) vient de publier un nouveau rapport sur le contrôle des comptes et la gestion de la communauté de communes des îles Marquises (Codim). Créée en 2010, cette dernière regroupe l'ensemble des îles de l'archipel, soit 12 îles dont six habitées.
 
La chambre note en premier lieu que la Codim “intervient dans un cadre contraint” compte tenu de “la double insularité, de statuts obsolètes et de l'échec depuis 2017 des rapprochements avec le Pays pour déterminer un nouveau périmètre d'activité et de nouveaux financements”. Dans ce contexte, la CTC souligne que la Codim n'est jusqu'à présent intervenue que dans le cadre des compétences optionnelles, à savoir celles exercées à la place des communes. Il s'agit du soutien aux actions culturelles et sportives par le biais de subventions et l'assistance à maîtrise d'ouvrage, en l'occurrence dans le domaine de l'énergie. Les compétences optionnelles “eau potable” et “assainissement” n’ont jamais été initiées, tout comme aucune action n’a été menée pour “la promotion d'une agriculture durable, de qualité, de labellisation des produits et respectueuse de l'environnement”, alors que “la protection et la mise en valeur de l’environnement” figurent dans les statuts de la communauté de communes. Quant au traitement des déchets, il semble que les communes membres souhaitent “assumer individuellement” cette compétence compte tenu du particularisme de chaque île, précise la CTC. Les compétences complémentaires (acquisition, gestion et maintenance des parcs de matériel informatique des communes et des écoles ou encore conseil juridique et appui administratif aux communes) n'ont guère été sollicitées non plus par les communes membres, indique la CTC.
 
La CTC rappelle qu'au moment de la création de la Codim, l’intercommunalité avait vocation à gérer des compétences économiques sous réserve des compétences du Pays et dans le respect de la loi organique. Or, la Codim a élaboré un plan de développement économique dès 2012, mais aucun projet de loi du Pays n'est venu concrétiser la mise en œuvre d'actions de développement. La CTC souligne que les actions de développement économique ou d'aménagement de l'espace n'ont pu être réalisées, faute d'avancée avec le Pays sur les modalités de délégation. Selon la chambre, le Pays privilégierait désormais un principe de partage de compétence et non plus de transfert définitif, avec un fonctionnement sous forme de convention pour encadrer l’objet et la durée. Et pour la CTC, le projet d'aire marine protégée est l'illustration même des limites de la répartition des compétences entre la Codim et le Pays.

D'une aire marine protégée à gérée

En effet, la Codim a initié dès 2012 un projet d'aire marine protégée, l’AMP Te Tai Nui a Hau. Un projet souhaité à la fois par les élus et la population des îles Marquises et finalisé en 2018, bien que cela ne soit “pas prévu expressément dans les actions susceptibles d’être menées dans le cadre de la compétence ‘aménagement de l’espace’ (compétence obligatoire) ou ‘préservation de l’environnement’ (compétence optionnelle)”, souligne toutefois la CTC. Or, alors que cette AMP de 430 000 km2 “avait vocation à devenir officiellement la plus grande zone de protection de Polynésie française et se positionner parmi les 10 plus grandes AMP du monde”, tout en ménageant à la fois “les revendications environnementalistes des associations et le développement de la pêche hauturière”. Mais la CTC souligne que le projet n'a jamais vu le jour, car “jamais reconnu par le Pays”, qui a préféré créer une aire marine gérée : l’AMG Tai Nui Atea. L’adaptation polynésienne du concept d'AMP, pourtant reconnu sur le plan national et international, avec une gestion centralisée. Au demeurant, dans un autre rapport publié en 2022, la CTC soulignait que trois ans après sa création, l'AMG était “toujours en construction, sans action concrète mise en œuvre ni de plan stratégique défini”. Par ailleurs, malgré sa “demande expresse”, la Codim ne fait pas partie en 2022 de l'instance de consultation de la société civile dans le cadre de la gestion de l'AMG.
 
Parallèlement à son projet d'aire marine protégée, la Codim a initié le concept “innovant” d'aire marine éducative. Une première à l'échelle de la Polynésie, mais aussi à l'échelle de la France, qui a depuis été reprise en métropole et même à l'étranger (Hawaii, île de Pâques...), souligne la CTC, qui note qu'au moment de son instruction en 2022, “il n'existe plus d'aire marine éducative pour les trois îles du sud des Marquises”. Selon la Codim, cette disparition est imputable au Pays, en raison de “l'absence de budget dédié pour financer des opérations concrètes pour les élèves et les enseignants, mais aussi assurer la sécurité des participants”.
 
L'exemple des aires marines aux Marquises illustre donc bien le “blocage de dialogue institutionnel” entre la Codim et le Pays sur la question des compétences économiques. À tel point, indique la CTC, que les maires des Marquises et la Codim se tournent désormais vers la métropole et demandent un projet d'évolution statutaire de l'archipel des Marquises en une “communauté d'archipel” – entité non prévue par la Constitution, souligne la CTC – mais “seule solution selon eux pour développer leur archipel"

Un fonctionnement à optimiser et une fiabilité des comptes à renforcer

Dans son rapport sur le contrôle des comptes et la gestion de la communauté de communes des îles Marquises, la Chambre territoriale des comptes a décelé plusieurs anomalies quant aux règles de gouvernance : un règlement intérieur qui aurait dû être rédigé il y a deux ans, un conseil communautaire qui se réunit plus souvent que le minimum prévu, entraînant des frais de fonctionnement, un bureau qui dispose de peu de délégations, mais aussi un président de la communauté de communes qui cumule plusieurs mandats (président de la Codim, maire de Nuku Hiva, représentant à l’assemblée et président de commission à l’APF) et dont le montant total des indemnités dépasse le seuil maximal fixé en cas de cumul des mandats. En réponse à la chambre, ce dernier a indiqué qu'il régulariserait sa situation lors du prochain conseil communautaire.
 
Quant à la gestion de la Codim, la CTC note une “faible exécution budgétaire mettant en exergue un budget peu sincère”. En effet, si des produits de gestion plus élevés que les charges de gestion ont permis de dégager systématiquement, entre 2017 et 2020, une capacité d'autofinancement, cette situation est à relativiser, selon la CTC, car elle s'explique en premier lieu par “un manque d'activités au regard des ressources institutionnelles consenties” (dotation générale de fonctionnement et contributions communales).

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Lundi 27 Février 2023 à 17:32 | Lu 1710 fois