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Papahānaumokuākea : un parc marin pour protéger le patrimoine naturel et culturel de Hawaii


Solomon Kaho’ohalahala, conseiller culturel du parc marin Papahānaumokuākea (crédit : Pew)
Solomon Kaho’ohalahala, conseiller culturel du parc marin Papahānaumokuākea (crédit : Pew)
PAPEETE, le 7 juin 2019 - « Islands Voices » (les voix des îles) est un groupe de personnalités de la société civile de plusieurs pays du Pacifique, unis pour renforcer la collaboration internationale sur la protection des océans. Ce groupe se rassemble cette semaine en Polynésie française, à l’initiative de la fédération environnementale Te Ora Naho, de l’ONG Pew et de la fondation Bertarelli. Aujourd’hui, Jérôme Petit de l’ONG Pew rencontre l’un des invités à cet échange, Solomon Kaho’ohalahala, originaire d’Hawaii. Solomon a milité pendant de nombreuses années pour promouvoir la création du parc marin Papahānaumokuākea, l’une des plus grandes réserves marines du monde.

Papahānaumokuākea signifie « là où la vie prend sa source » en hawaiien. C’est le nom d’un grand parc marin situé au nord-ouest d’Hawaii. Traditionnellement, cette zone est considérée comme la racine des liens ancestraux entre les hommes et les dieux. Avec 1,5 millions de kilomètres carrés hautement protégés, le parc préserve durablement une grande partie des espèces marines de la région, tout au long de leur cycle de vie. Il abrite plus de 7 000 espèces, dont 22 espèces d'oiseaux de mer, 24 espèces de mammifères marins, une douzaine d'espèces de requins, cinq espèces de tortues de mer menacées et quatre espèces de thon d'importance commerciale. Un quart de toutes les espèces de la réserve sont endémiques ; elles ne se trouvent nulle part ailleurs sur terre.

Papahānaumokuākea est également l’une des plus grandes zones de protection culturelle au monde. La gestion du parc met l'accent sur l'intégration des connaissances traditionnelles et des pratiques locales, afin de respecter et valoriser au mieux le patrimoine culturel hawaiien. Elle intègre les pratiques ancestrales comme l'observation du monde naturel, les philosophies autochtones et l’épistémologie unique, formée par la relation des populations locales avec ce lieu. La participation directe des praticiens de la culture à la gestion du parc est la pierre angulaire de cette approche « bio-culturelle », qui pourrait servir de modèle de conservation pour le monde entier.

Papahānaumokuākea a été créé en 2006 par le Président américain George W. Bush. Le parc a été ensuite étendu en 2016 par le président Barack Obama, à la suite d’une large mobilisation de la population locale. Avec 1,5 millions de kilomètres carrés hautement protégés, il est aujourd’hui l’une des plus grandes réserves marines du monde. Sa désignation a établi une nouvelle norme en matière de conservation des océans et a inspiré un mouvement international pour créer la première génération de grandes zones de protection marine, où la pêche industrielle et l’exploitation minière sont interdites. Depuis 2006, plus d'une douzaine de réserves similaires ont été créées dans le monde et notamment dans le Pacifique (en Australie, aux îles Mariannes, à Pitcairn, Kiribati, Palau, Rapa Nui et aux îles Cook). Grâce à ces zones, près de 3% des océans du monde sont hautement protégés aujourd’hui. C'est un progrès encourageant, mais l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) recommande une protection forte d'au moins 30% de chaque habitat marin pour pouvoir continuer à tirer des bénéfices durables de ces écosystèmes. Il y a donc encore un grand chemin à parcourir pour obtenir une protection optimale des océans. 

Solomon Kaho’ohalahala est le descendant d’une longue lignée de navigateurs hawaiiens, considérés localement comme les gardiens de la terre et de la mer. Il a honoré plusieurs mandats d’élu au sein du conseil régional Maui et à l’assemblée législative de l’Etat d’Hawaii. Solomon a toujours été un fervent défenseur du parc marin Papahānaumokuākea. Il est actuellement représentant de la communauté indigène d’Hawaii au sein du comité de gestion du parc.

Article rédigé par Jérôme Petit (Directeur du programme Pew Bertarelli en Polynésie française)

INTERVIEW

Solomon Kaho’ohalahala, conseiller culturel du parc marin Papahānaumokuākea 

En quoi Papahānaumokuākea est une zone importante pour la culture hawaïenne ?
Dans la culture traditionnelle, les îles du nord-ouest sont le chemin emprunté par les îliens après leur mort, pour revenir au pō, le royaume des dieux. C’est une zone sacrée qui a beaucoup de valeur pour nous. L’histoire de la création des espèces, dans la culture hawaïenne, commence par la profondeur des océans et finit au sommet des montagnes. Selon cette tradition, la première espèce qui a été créée est le corail. La création des hommes vient bien après, une fois que tout le reste est en place. Il y a donc un grand respect pour les espèces qui nous précèdent, et en particulier pour les espèces marines. La science a découvert aujourd’hui que certains coraux dans la zone du parc ont 5000 ans d’âge ; cela ne fait que confirmer une connaissance traditionnelle.

Quels ont été les obstacles à la création du parc ?
Le Parc marin est le résultat d’une mobilisation de près de 20 ans. La population était très engagée et nous nous sommes battus pour reconnaitre l’importance culturelle de cette zone. Mais il y a eu aussi des oppositions fortes, principalement de la part des pêcheurs industriels, qui ont mené une véritable campagne de désinformation contre le projet.

Comment avez-vous réussi à contrer ces oppositions ?
Nous avons rassuré les pêcheurs locaux en leur fournissant de vraies informations. Ils sont alors devenus les premiers défenseurs du parc car ils ont compris que c’était pour leur bénéfice. Puis, Nainoa Thompson, le grand navigateur hawaiien, ainsi que de nombreuses personnes clés à Hawaii, ont demandé officiellement au Président Obama d’étendre le parc. Nous étions tous d’accord pour considérer que les trésors naturels et culturels uniques de cette zone ont une valeur infinie pour l’archipel, qui ne peut pas se comparer aux gains économiques potentiels liés à l'extraction industrielle des ressources et à la destruction des habitats. Le Président américain a finalement tranché en faveur de la protection.

le Vendredi 7 Juin 2019 à 09:30 | Lu 1662 fois