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Nouvelle-Calédonie : les Polynésiens attendent le référendum avec sérénité


Avant de se lancer dans la restauration et de tenir un snack propret à l'entrée de la ville de Nouméa, Gaëtan Kohenui vivait au fenua.
Avant de se lancer dans la restauration et de tenir un snack propret à l'entrée de la ville de Nouméa, Gaëtan Kohenui vivait au fenua.
NOUMEA, le 3 octobre 2018. À un mois seulement du référendum, ceux qui n'ont pas le droit de vote sont très frustrés mais bien peu sont vraiment inquiets : les Polynésiens installés sur le Caillou attendent la consultation du 4 novembre dans le calme. Ils veulent en finir avec le débat sur l'indépendance et passer à autre chose, afin de continuer à construire leur vie et leurs projets familiaux.

Comme preuve du fait qu'il n'a pas peur du référendum ou de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, Gaëtan Kohuenui désigne d'un geste large l'endroit autour de lui : « Auparavant, ce local était un magasin de pâtes, nous l'avons racheté et depuis deux mois je suis le gérant de ce snack. Les affaires marchent bien et surtout la fréquentation de notre restaurant est en augmentation constante. Les gens du quartier sont contents de ne plus prendre la voiture pour aller se chercher à manger à midi. »

Avant de se lancer dans la restauration et de tenir un snack propret à l'entrée de la ville de Nouméa, Gaëtan Kohenui vivait au fenua. Sa mère vient des Tuamotu-Gambier tandis que son père est originaire des Marquises.

En racontant son histoire professionnelle sur le Caillou, il délivre un message implicite : se serait-il lancé maintenant dans cette entreprise s'il pensait que dans deux mois il devrait faire ses valises et tout quitter pour rentrer en Polynésie française ? La question taraude les autorités de Polynésie française puisque le gouvernement de Papeete a mis sur pied mercredi 29 août « une mission d’information portant sur les conséquences sociales et économiques du référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie du 4 novembre 2018 pour la Polynésie française ». Cette mission d'information a pour vocation principale « de quantifier la proportion de cette population résidente qui serait susceptible de revenir prématurément au fenua. »

Premier élément de réponse à ces interrogations du côté de l'Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie (Isee) : lors du dernier recensement, en 2014, 5608 personnes ont déclaré appartenir à la communauté « tahitienne », qui regroupe toutefois tous les archipels de Polynésie française. Cela représente 2,1% de la population générale, un chiffre en nette augmentation depuis le précédent recensement de 2009.


Godfrey Marcus, pasteur, à l'église de la Vallée du Tir, un lieu très important pour une bonne partie de la communauté tahitienne.
Godfrey Marcus, pasteur, à l'église de la Vallée du Tir, un lieu très important pour une bonne partie de la communauté tahitienne.
« À partir des années 50, un grand nombre de Polynésiens est venu du fenua pour travailler à Yaté, dans l'extrême sud, construire le barrage électrique », resitue Godfrey Marcus, pasteur à l'église de la Vallée du Tir, un lieu très important pour une bonne partie de la communauté tahitienne. Afin d'accompagner spirituellement ces personnes, notre Eglise les a accompagnés, puis s'est installée à Nouméa. Beaucoup sont restés ensuite, profitant du dynamisme économique, du « boom du nickel » et notre Église s'est installée ici, à Nouméa, en 1964. »

Selon le pasteur, ainsi que selon nombre de ses ouailles, croisées à l'office du dimanche le référendum du 4 novembre n'est pas un sujet d'inquiétude majeur pour les Polynésiens du Caillou, les Taratoni, comme ils se nomment eux-mêmes. « J'ai confiance, je ne pense pas qu'il y aura l'indépendance », explique Aurélia, une employée de Nouméa, née à Papeete mais ayant grandi en Nouvelle-Calédonie. « Dans mon entourage, personne n'est inquiet, poursuit-elle. La majorité d'entre nous a le droit de vote et nous sommes bien conscients qu'il est important pour nous d'aller voter. D'abord c'est notre devoir de citoyens et ensuite nous avons tellement investi dans ce territoire que nous nous sentons légitimes pour nous exprimer sur son avenir. »

Selon la plupart des observateurs politiques, les Polynésiens sont réputés dans leur majorité – mais pas dans leur totalité, loin de là – loyalistes et favorables au statu quo, à une Nouvelle-Calédonie française. La constitution du corps électoral spécial référendaire en a toutefois exclu un certain nombre : ceux qui sont arrivés sur le Caillou après 1998, soit après la signature de l'Accord de Nouméa, en sont exclus automatiquement. Et cela peut générer de la frustration.
C'est le cas de Gaëtan Kohenui. Le restaurateur de Nouméa aurait beaucoup aimé pouvoir s'exprimer sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. « Cela fait dix ans que nous sommes arrivés et depuis nous avons beaucoup travaillé pour développer cet endroit, je suis très frustré de ne pas pouvoir voter, cela me chagrine beaucoup », confirme-t-il. Pour l'instant, sa seule perspective de retour au fenua se trouve être pendant les vacances et ensuite « à la retraite ».

À-rebours des inquiétudes du gouvernement de Polynésie française, une nouvelle fédération d'associations polynésiennes doit voir le jour le 7 octobre au foyer Tahiti Nui de Nouméa. Ce sera l'occasion pour les militants de la communauté tahitienne de se rassembler autour de l'artisanat du fenua, de la danse, des chants et surtout de la pratique de la langue, qui a tendance à se perdre chez les jeunes Taratoni. Ses organisateurs l'assurent, aucun risque qu'il s'agisse d'une fédération à tendance politique. La Nouvelle-Calédonie a bien assez de politique à gérer pour les prochains mois et prochaines années.

Rédigé par Julien Sartre, à Nouméa le Mercredi 3 Octobre 2018 à 14:26 | Lu 2478 fois