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Les Églises locales fermes face à l'avortement


Tahiti, le 19 décembre 2023 – Annoncé déjà en octobre dernier par le président de la République, Emmanuel Macron, le projet de loi inscrivant le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la constitution est passé en début de mois en conseil des ministres. Une mesure qui fait s'opposer, une fois de plus, la loi des hommes et celle de Dieu. En Polynésie, les églises locales se préparent en conséquence.
 
Suite à la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit fédéral à l'IVG en 2022, le débat s'est de nouveau installé en France. Pourtant déjà autorisée en Hexagone sous certaines conditions par la loi Veil du 17 janvier 1975, à titre expérimental d'abord puis reconduite définitivement en 1979, le droit au recours à l'IVG ne semble toujours pas acquis dans les représentations collectives. “Les libertés reconnues aux femmes, que l'on pensait en quelque sorte impossible de faire reculer, sont remises en cause”, a souligné Emmanuel Macron à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme. “C'est pourquoi la France se félicite de montrer l'exemple.” Pour rappel, le président de la République déclarait en octobre dernier vouloir rendre ce droit fondamental “irréversible” dès le début d'année 2024.
 
Un soulagement pour les associations qui militent pour les droits de la femme, mais une nouvelle bataille pour les différentes confessions religieuses qui devront une fois de plus rappeler à leurs membres les différences entre la loi des hommes et celle de Dieu. En effet, les textes bibliques n'encouragent en rien le procédé, et en Polynésie française, où la chrétienté tient encore une place centrale dans la société, on se prépare au débat. “Il n'y a pas de tabou à avoir sur cette question, ou sur aucune autre d'ailleurs” déclare Marurai Igrec, pasteur à l'église pentecôtiste. “C'est une discussion qu'il faudra avoir avec nos membres de l'église, et nous, qui délivrons le message de Dieu, nous devrons être capables de répondre à ces interrogations.”
 
Contre l'avortement
 
Si les Églises sont régulièrement contraintes d'ajuster leurs discours en fonction des périodes et des époques, sur certains sujets, elles demeurent fermes. “Nous sommes contres l'avortement car nous sommes pour la vie”, affirme pasteur Marurai. Un détail fondamental pour l'homme d'église : “Nous considérons que même au stade de fœtus, la vie a commencé à faire son œuvre et c'est une chose que nous défendons. L'avortement revient à empêcher la vie.” Un avis partagé par l'église de Jésus Christ des saints des derniers jours et son porte parole, Frédéric Riemer : “Il n'y a pas d'ambigüité sur le sujet, notre église est contre l'avortement. Toutefois, il est important d'être conscient du contexte dans lequel cela est demandé. Pour nous, l'avortement peut être considéré dans certains cas bien précis : en cas de viol, d'inceste, où si le fœtus est gravement déformé. De plus, il est impératif que ces trois situations soient médicalement prouvées. Ce que nous voulons éviter, c'est que les gens prennent cette décision à la légère et banalisent l'IVG.”
 
Souvent critiquées pour leurs prises de positions sur le sujet, les Églises polynésiennes tiennent toutefois à apaiser les esprits : “Il faut bien comprendre une chose, nous faisons la différence entre l'acte et la personne”, souligne Père Christophe, porte-parole de l'église catholique sur le territoire. “Nous sommes contre l'acte d'avorter. Mais la personne qui fait ce choix, ne se définit pas par ce seul acte. Si l'on vient nous demander conseil, nous ferons tout pour éviter ce choix. Si ce choix a déjà été fait, alors notre rôle est d'accompagner cette personne. Il n'est jamais question d'exclure qui que ce soit, notre porte sera toujours grande ouverte.” Et les églises ne se font pas d'illusion quant à la suite des événements : “Nous avons questionné les politiques sur le sujet et nous savons qu'ils accueilleront unanimement ce droit constitutionnel. Ne pas le faire reviendrait pour eux à se tirer une balle dans le pied lors des prochaines élections. Par contre, le dimanche suivant, nous les verrons tous à la messe”, ironise Père Christophe, avant de revenir à un ton plus grave : “Une fois que ces méthodes sont répandues, et qu'elles n'apportent finalement pas plus de réconfort… c'est encore nous qui récupérons ces femmes épuisées et abattues.”
 
Des inquiétudes légitimes
 
Si le recours à l'IVG est effectivement un droit, ses dérives inquiètent. Pour rappel, l'IVG est un avortement choisi pour des raisons non médicales. Il ne faut donc pas confondre l'IVG et l'IMG, qui constitue une “interruption médicale de grossesses” ou un avortement thérapeutique. Car si techniquement l'IVG et l'IMG peuvent être similaires, légalement, il n'en va pas de même. Et les chiffres inquiètent : En Polynésie française, environ 1000 IVG ont lieu chaque année, dont 60% par voie médicamenteuse. De plus, environ 10% concernent des mineures âgées entre 16 et 18 ans. Si depuis 2021 les nouveaux textes passés à l'assemblée de la Polynésie française permettent de faciliter l'accès à la contraception d'urgence pour mineures, dans le but de réduire les interventions chirurgicales, les autorités médicales rappellent que ces pratiques ne sont pas anodines et qu'un suivi médical est toujours recommandé.

Rédigé par Wendy Cowan le Mardi 19 Décembre 2023 à 16:42 | Lu 3737 fois