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Les 70% de vaccinés, c'est pas pour tout de suite


Tahiti, le 18 mai 2021 – L'objectif de 70% de personnes vaccinées pour parvenir à une réouverture des frontières en Polynésie française paraît difficile à atteindre sous quatre à six mois, sans l'accélération d'une campagne de vaccination qui semble au contraire marquer le pas.
 
Principale annonce de la visite officielle du ministre des Outre-mer, l'objectif des 70% de vaccination avant d'autoriser la réouverture des frontières polynésiennes soulève aujourd'hui quelques inquiétudes. Si la mesure a été globalement saluée du point de vue de la précaution sanitaire, plusieurs acteurs économiques locaux et même certains professionnels de santé, y compris dans les rangs du Pays, émettent des doutes quant à son réalisme. En effet, cet objectif ne sera pas atteint avant quatre à six mois –dans les meilleurs scénarios possibles– sans une véritable accélération de la vaccination.

70% entre septembre et novembre

Pour poser les bases du problème, il faut parler chiffres. Le ministre des Outre-mer a annoncé un objectif de 70% de la “population cible” de la vaccination, précisant au cours d'un déjeuner avec les acteurs économiques mercredi dernier qu'il s'agissait des personnes de “plus de 16 ans” et sans y ajouter celles ayant déjà contracté le Covid-19 ou l'un de ses variants. Selon les données transmises lundi par l'Institut de la statistique en Polynésie française, la population des 16 ans et plus s'élevait à 214 094 personnes au 31 décembre 2020. Or selon le dernier bulletin épidémiologique transmis lundi midi par la plateforme Covid, on dénombrait le jour même à 8 heures “35 985 personnes complètement vaccinées” au fenua. Soit 16,8% de la population cible de 16 ans et plus. Encore loin des 70%.
 
Pour se projeter dans les prochaines semaines –et surtout dans les prochains mois– sur cet objectif de 70% de vaccinés, on peut se baser sur le rythme récent de la vaccination. En effet la vaccination s'est accélérée depuis le début du mois de mars, suivie un mois plus tard –deuxième dose du vaccin Pfizer oblige– d'une accélération du nombre de “personnes complètement vaccinées”. En moyenne depuis début avril, on compte un rythme constant de près de 650 personnes supplémentaires entièrement vaccinées chaque jour. Une projection de ce rythme de croisière sur les prochaines semaines fait tomber les 70% de la population cible vaccinée au début du mois de novembre. Donc, dans un peu moins de six mois.
 
Une autre projection possible –plus optimiste– est avancée par le ministre de la Santé, Jacques Raynal, et la plateforme Covid. Dans les colonnes de La Dépêche lundi et dans l'interview du ministre à Tahiti Infos aujourd'hui, on évoque les 70% au “mois de septembre” en se référant, sans plus de détails, à un “schéma de modélisation réalisé par la plateforme Covid”. Soit, dans un peu moins de quatre mois.

L'obligation de l'accélération

Et encore. Pour honorer cette deadline, il va falloir mettre un sérieux coup d’accélérateur sur le rythme des injections. Ce qui se présente mal, alors que “le rythme de vaccination s’est un peu ralenti ces derniers temps”, alerte le ministre, Jacques Raynal. En témoigne les 391 injections au vaccinodrome de la présidence jeudi dernier ou les 1 000 injections en trois jours du côté du vaccinodrome de Bora Bora. Des résultats trop timides selon les professionnels du tourisme, qui ne cachent pas leur scepticisme sur la capacité à honorer ces 70% de vaccination dans les temps pour sauver la saison haute.

“Dans les îles et sur Bora Bora en particulier, on a un taux de vaccination de 30 à 40% et c’est difficile d’aller au-delà. C’est très lent. On voit bien qu’il y a une réticence”, commente Guillaume Epinette, directeur régional du groupe InterContinental Tahiti. “Techniquement je ne vois pas comment on peut faire pour atteindre 70% de sitôt”. L'opportunité de placer la barre aussi haute interpelle jusque dans les rangs du Pays, où certains jugent “excessif” ce chiffre de 70%, notamment au regard des “caractéristiques de propagation” plus faibles en Polynésie qu’ailleurs. “Le taux d’immunité à atteindre est moindre ici qu’ailleurs, donc 70% ce n’est a priori pas nécessaire pour atteindre l’immunité de masse avec le variant actuel”, explique-t-on même du côté des autorités sanitaires du Pays.

Marges de manœuvre réduites

Si l’objectif est loin d’être atteint, pas question pour autant de ralentir la campagne. Or, ce ne sont pas les occasions de se faire vacciner qui manquent. “Nous avons une dizaine de centres ouverts dans la semaine, en plus des vaccinodromes les week-ends et les jours fériés”, rappelle le ministre de la Santé. “Tout le monde aujourd’hui a la possibilité de se faire vacciner sans difficulté”, martèle Jacques Raynal, glissant ironiquement “sauf peut-être quand il fait beau”.
 
Au président de la CPME, Christophe Plée, qui propose de vacciner massivement au sein des entreprises, les autorités sanitaires rappellent que l’expérience a déjà été tentée et qu’elle s’est montrée décevante et coûteuse. “Au rang de personnel éminemment nécessaire au Pays, nous avions inventorié les agents d’Air Tahiti Nui. Sur 600 salariés prioritaires, nous n’avons eu que 200 candidats, alors qu’on s’était déplacé”, déplore le ministre. “Le vaccin n’étant pas obligatoire, nous ne sommes pas certains qu’un déplacement apporterait un mieux”. Quant à l’autre demande du syndicat pour une “simplification” du circuit de vaccination, les autorités sanitaires répondent que c’est impossible pour des raisons de sécurité. “Il y a des critères de surveillance médicale à respecter, comme attendre au moins 15 minutes après l’injection. En cas d’allergie c’est une heure, précise le ministre. Et il y a surtout la nécessité de procéder à un traitement d’urgence en cas d’allergie”.

​Proximité

Cependant, pour donner un nouvel élan à la campagne, les autorités sanitaires vont tenter dès mardi une nouvelle stratégie, initiée sur la commune de Pirae. Celle-ci consiste à déployer des équipes mobiles dans les quartiers défavorisés, les lotissements sociaux et dans les vallées les plus reculées. Il s’agit de toucher les personnes qui n’ont pas de moyens de transport.
 
Accompagnés cette fois-ci des élus des quartiers, les guides sanitaires ont déjà commencé à faire du porte-à-porte afin de répertorier les volontaires. En fonction des résultats, la stratégie sera étendue aux communes qui le souhaitent. En parallèle, les services de santé vont lancer une campagne de sensibilisation sur l’intérêt de la vaccination. Il s’agira de rappeler comment fonctionne un vaccin et pourquoi celui-ci est d’utilité publique.
 

Rédigé par Esther Cunéo et Antoine Samoyeau le Mardi 18 Mai 2021 à 17:46 | Lu 4261 fois