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Légalisation du cannabis : le THC fait son appel du 18-joint


Légalisation du cannabis : le THC fait son appel du 18-joint
Peu après la très solennelle cérémonie de commemoration du fameux appel radiophonique fait par le Général de Gaulle, le 18 juin 1940, pour organiser la résistance française à l’occupant allemand, c’est une tout autre cérémonie qui s’est tenue place Tarahoi, lundi 18 juin. Sous l’oeil attentif des forces de l’ordre, présentes en nombre, l’association THC, Tahiti Herbe Culture, a tenu son appel du 18-joint. Une trentaine de personnes ont assisté à cette manifestation organisée pour appeler à la legalisation de l’usage et de la culture du cannabis.
En maître de cérémonie, Karl Anihia, le president de THC, a exposé les raisons qui le motivent à manifester en faveur de ce principe (voir interview). Un débat contradictoire s’est installé avec Jacqueline Lienard, président de l’association Vivre sans drogue, et farouche opposée à cette mesure, dévouée depuis 2005 à la cause de la lutte contre toutes formes de dépendances.

L’appel du 18-joint est organisé chaque année en France à l’initiative du Collectif d’information et de recherché (CIRC), depuis 1993. Tous les 18 juin ce rendez-vous se tient à Paris et à Lyon pour revendiquer la légalisation du cannabis. De nombreux représentants politiques d'extrême gauche prennent part à ce rassemblement.

En 1976, tout a commencé par un manifeste publié dans les colonnes du journal Libération. Le texte commençait ainsi : «Cigarettes, pastis, aspirine, café, gros rouge, calmants font partie de notre vie quotidienne. En revanche, un simple « joint » de cannabis peut vous conduire en prison ou chez un psychiatre ». Le manifeste demandait « la dépénalisation totale du cannabis, de son usage, sa possession, sa culture (autoproduction) ou son introduction sur le territoire français en quantité de consommation courante ». Le texte précisait clairement qu'il n'appelait pas à la consommation mais à la fin d'une politique qui nie le sujet. Les signataires demandaient la mise en place d'une législation identique à celle des Pays-Bas qui tolèrent la vente et la consommation de cannabis depuis 1976. De nombreuses personnalités du monde du spectacle, des intellectuels ou des médecins ont signé ce texte.

Karl Anihia, président de l'association THC
Karl Anihia, président de l'association THC
Karl Anihia : "La légalisation est la meilleure arme pour combattre le trafic"

Tahiti infos : Aujourd’hui, date anniversaire d’un fameux appel à la résistance, vous organisez un appel du 18-joint. Quel message souhaitez vous faire passer ?

Karl Anihia : Ce n’est pas un hasard, si cette manifestation se tient aujourd’hui, c’est une date anniversaire. (…) En 1976, le journal Libération a publié un manifeste pour la libéralisation du cannabis. Depuis quelques temps, je suis en relation avec l’association CIRC, en France, et j’ai décidé de la faire à Tahiti, en même temps qu’eux.

Tahiti infos : Pensez-vous qu’il est nécessaire de libéraliser l’utilisation du cannabis à Tahiti ?

Karl Anihia : Oui, parce que le fléau est connu, il est réel, et tout le monde sait très bien que la consommation de cannabis a explosé. C’est un phénomène qui ne s’arrêtera pas. Il y a du trafic. Je pense qu’il faut trouver une autre solution que la répression pour combattre ce phénomène. On sait tous que ça ne marche pas.

Tahiti infos : Vous prônez la légalisation pour endiguer le phénomène de trafic et d’économie souterraine ?

Karl Anihia : Bien sûr. Il faut mettre les chose à leur place : à qui profite le crime ? Qui tire partie de cette prohibition ? Tout ça profite aux grands bandits et à une certaine catégorie de personnes bien protégées. Les consommateurs sont victimes de tout ça. (…) La légalisation est la meilleure arme pour combattre le trafic en le rendant sans intérêt. Cela permet également de mieux contrôler la consommation.

Tahiti infos : Et par rapport aux enfants et au fait qu’ils peuvent être amenés à consommer cette drogue…

Karl Anihia : Justement, il faut qu’on en parle : si on réglemente la consommation du cannabis, c’est notamment pour en empêcher l’accès aux mineurs. A l’heure actuelle, la consommation, la vente, la culture sont illégales. Mais du paka on en trouve partout et tout le monde peut en acheter, sans que personne puisse informer, contrôler.


Tahiti infos : Qu’objectez-vous à ceux qui affirment que la consommation de cannabis est la porte d’entrée vers la consommation de drogues plus dures ?

Karl Anihia : Oui, la fameuse théorie de l’escalade… Vous savez, il faut se documenter un peu : cette théorie est très largement démentie par les plus grands spécialistes, aujourd’hui. Scientifiquement, on n’observe aucune relation de cause à effet entre fumer du cannabis et prendre des drogues dures. Cette théorie est contestée par l’Union française des médecins, parce qu’elle n’a aucun fondement scientifique.

Jaqueline Liennard, président de l'association Vivre sans drogue
Jaqueline Liennard, président de l'association Vivre sans drogue
Jacqueline Lienard : "C'est un fléau sanitaire"

Tahiti infos : L’association THC a choisi de manifester à l’appel du 18-joint, à Tahiti, en faveur de la libéralisation de l’usage du cannabis. Vous êtes présente, qu’en pensez-vous ?

Jacqueline Lienard : Je suis présente parce que j’en ai entendu parler. J’ai voulu écouter ce qui s’y disait, parce que depuis 2005 que je mène mon combat, et alors que nous n’avons déjà pas assez de moyens pour freiner la consommation, si maintenant on entre dans un débat de dépénalisation, il nous sera encore plus difficile d’agir, alors qu’en Polynésie cette consommation est complètement banalisée.
Nous, nous ne sommes pas dans un débat de dépénalisation ; l’association Vivre sans drogue est dans une dimension humaine. Il s’agit de la prise en charge médiale des usagers dépendants, qui n’existe pour ainsi dire pas en Polynésie.


Tahiti infos : Vous êtes amenée à rencontrer des cas inquiétants ?

Jacqueline Lienard : Ah, de plus en plus. Je fais un travail associatif de proximité sur Faa’a et Pamatai, et je constate tous les jours ce qui se passe dans les familles. On va me dire que c’est un problème lié à la perte d’emploi ; mais vous savez je connais des patrons qui sont assez rigides sur la question : ils ne peuvent pas accueillir des personnes qui sont dépendantes du cannabis.

Tahiti infos : Dans votre approche, vous faites une distinction entre la consommation d’alcool et celle de cannabis ?

Jacqueline Lienard : Regardez ce qui se passe avec la consommation d’alcool : bien qu’interdite aux mineurs, on se rend compte aujourd’hui que de plus en plus jeunes, les mineurs s’alcoolisent au cours de soirées.
Partant de là, quels sont les moyens qui nous resteront pour lutter contre la consommation de cannabis si on libéralise ?


Tahiti infos : Ne pensez-vous pas que cela offre des leviers pour mieux contrôler ce qui se passe ?

Jacqueline Lienard : Non, je pense que c’est une mesure perverse, parce que l’on n’a rien contrôlé jusqu’à présent, ni la vente d’alcool aux mineurs, ni celle de cigarettes…

Tahiti infos : Vous êtes donc opposée à ce genre de mesure ?

Jacqueline Lienard : Oui complètement. Maintenant, s’il y a libéralisation de la consommation de cannabis, il ne faudrait pas que ce soit le citoyen qui travaille et cotise à la CPS qui paye pour des gens qui sombrent dans des maladies telles que la schizophrénie à cause de la consommation de cannabis.

Tahiti infos : On observe beaucoup de cas comme cela en Polynésie ?

Jacqueline Lienard : Ah oui ! On travaille avec le docteur Kouider Belharizy, psychiatre addictologue à Paea, et je peux vous dire que c’est catastrophique : il n’y a pas un jour où il n’est pas amené à traiter un consommateur de cannabis.
Je suis totalement opposée à la libéralisation du cannabis, pour une raison simple : nous n’avons pas les moyens de pouvoir palier à cette prise en charge. Tous ces jeunes qui sont déscolarisés et qui ne font l’objet d’aucun contrôle, que l’on a du mal à maîtriser, finissent par devenir des consommateurs.
Vous imaginez les moyens qu’il faudra, dans 20 ans, pour pouvoir faire face à ce fléau ? Comment fera-t-on avec les gens des îles qui n’ont pratiquement pas de suivi médical ? Je suis horrifiée de constater que l’on peut consacrer notre argent à payer pour des gens qui se sont détruits jusqu’à arriver au stade de la maladie mentale. C’est un fléau sanitaire.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 18 Juin 2012 à 19:20 | Lu 5602 fois