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Le secteur du BTP très inquiet


Depuis quelques mois, les cabinets d'architectes, qui sont finalement le premier maillon de la chaîne du secteur du BTP avec les ingénieurs et les bureaux d'études, sont inquiets et tirent la sonnette d'alarme. Car derrière, ce sont aussi des emplois qui sont en jeu. crédit photo archives Gregory Boissy
Depuis quelques mois, les cabinets d'architectes, qui sont finalement le premier maillon de la chaîne du secteur du BTP avec les ingénieurs et les bureaux d'études, sont inquiets et tirent la sonnette d'alarme. Car derrière, ce sont aussi des emplois qui sont en jeu. crédit photo archives Gregory Boissy
Tahiti, le 3 octobre 2023 - Dans sa dernière publication sur les tendances conjoncturelles du deuxième trimestre 2023, l'IEOM notait une frilosité du climat des affaires, autrement dit de la confiance des entreprises, avec un “repli de 3,7 points par rapport au trimestre précédent”. Qu'il s'agisse du public ou du privé, les acteurs du BTP sont inquiets. Entre les projets annulés ou mis en stand-by par le gouvernement, et le manque de visibilité, ce sont des emplois qui sont menacés et un effet boule de neige est à craindre.
 
“Quand le bâtiment va, tout va.” Si la formule célèbre de Martin Nadaud – ce maçon devenu député au milieu du XIXe siècle –, a traversé les siècles, c'est qu'elle demeure toujours pertinente et particulièrement d'actualité. La construction est un élément essentiel à la croissance et c'est un moteur pour faire prospérer avec elle le reste de l'économie. Mais depuis quelques mois, les cabinets d'architectes, qui sont finalement le premier maillon de la chaîne du secteur du BTP avec les ingénieurs et les bureaux d'études, sont inquiets et tirent la sonnette d'alarme. Car derrière, ce sont aussi des emplois qui sont en jeu.
 
“Tous les cabinets dégraissent”
 
“On est obligés de réduire les effectifs. Tous les cabinets dégraissent. On est tous très inquiets”, confie Bertrand Portier, à la tête d'un des plus importants cabinets d'architectes de la place. “Je suis passé de 14 employés au mois de janvier à neuf aujourd'hui. Je n'ai pas pu renouveler ceux que je voulais, que ce soient les CDD ou des postes à remplacer. Pour l'instant, je n'ai licencié personne, mais si ça continue comme ça, je vais le faire et on est tous dans ce cas dans les gros cabinets”, déplore-t-il. 
 
C'est d'autant plus préoccupant au regard de l'effet boule de neige que cela risque de provoquer. Car qui dit licenciements, dit moins de cotisants à la CPS alors que le gouvernement table sur une hausse de l'emploi salarié pour compenser le manque à gagner de 9 milliards de francs dans les caisses de la PSG, suite à la suppression de la TVA sociale. Nous n'en sommes pas encore là, mais force est de constater que depuis “deux ou trois mois”, de nombreux projets sont au ralenti, pour ne pas dire tout simplement abandonnés.
 
Plusieurs projets en suspens
 
C'est le cas notamment du projet de parc aquatique avec un bassin aux normes olympiques de 50 mètres qui devait se faire sur l'ancien terrain de l'AS Aorai en vue des Jeux du Pacifique 2027. “Le parc aquatique tel qu'il a été imaginé par mes prédécesseurs ne verra pas le jour. En tout cas, pas sous notre gouvernance”, déclarait ainsi la ministre des Sports, Nahema Temarii, le mois dernier. Un projet à plus de cinq milliards de francs “attendu depuis dix ans” et qui tombe à l'eau alors que l'appel d'offres était sur le point d'être passé. Et l'argument de la ministre consistant à dire qu'“il n'y a pas de sens à raser un espace qui accueille trois infrastructures” (terrains de basket, de tennis et de football) ne semble pas convaincre.
 
L'institut du cancer (ICPF), dont le bâtiment devait se construire sur le domaine dit “princesse Heiata” à Pirae, semble lui aussi mal engagé. Selon nos informations, les études en sont à mi-parcours, mais le projet devrait s'arrêter.
 
“On ne demande qu'à travailler”
 
“On ne demande qu'à travailler”, souligne Bertrand Portier qui voit aussi deux autres de ses chantiers en “stand-by” : le terrain en face de la clinique Paofai qui a simplement été réaménagé en parking payant alors qu'il devait aussi accueillir des logements, une galerie commerciale et des bureaux. Idem pour l'autre terrain de la CPS en face d'Agritech où, là aussi, des logements sociaux et un parking étaient prévus.
 
Même punition pour le Village tahitien qui est lui aussi en suspens alors qu'il semblait enfin en passe de voir le jour. En mars dernier, en effet, les promesses de bail de six lots hôteliers étaient signées entre les quatre groupements d'investisseurs locaux et le gouvernement Fritch. Mais le président Brotherson a préféré retarder ce chantier afin d'harmoniser les différentes infrastructures hôtelières. Soit. Il est vrai qu'il faut une certaine cohérence esthétique dans un projet de cette envergure.
 
Pas de calendrier
 
Mais aucun calendrier n'a été fixé. “On attend toujours un rendez-vous”, confie Bertrand Portier dont le cabinet travaille avec l'un des lauréats retenus pour ce Village tahitien qui doit générer un volume d'emplois conséquent (près de 1 800 pour la réalisation des hôtels et plus de 1 800 ensuite pour leur exploitation à temps plein). C'est G2P qui devait s'occuper de continuer la viabilisation des 34 hectares de foncier pour un investissement du Pays à hauteur de 10 milliards sur six ans. Mais là encore, c'est l'attentisme.
 
Le campus de Moorea, dont les travaux devaient commencer dans le courant de l'année prochaine, est lui aussi mis de côté. “Il verra le jour mais sous une autre forme”, déclarait le ministre de l'Agriculture le 27 septembre dernier au micro de Polynésie La 1ère. Même chose pour le Fare Hinoi qui doit être “redimensionné” à plus petite échelle pour se concentrer sur les seuls services de l'OPT. Une bonne chose d'ailleurs selon plusieurs commentateurs, mais là encore, pas de calendrier. Quelle forme ? Quel redimensionnement ? Quand ? On ne sait pas.
 
Zéro visibilité
 
Et c'est justement ce manque de visibilité qui inquiète les acteurs du BTP. Car c'est par la presse que les premiers concernés ont appris que ces projets étaient remis aux calendes grecques. Mieux, si ces annonces sont faites aux médias, elles ne sont pas traduites concrètement dans les services qui doivent instruire les dossiers et où il y a des procédures à respecter. Cabinets d'architectes, bureaux d'études, ingénieurs – tout ce qui concerne la maîtrise d'œuvre en somme – attendent le budget primitif avec attention pour savoir à quelle sauce ils vont être mangés.
 
Car une chose est sûre, que ces différents projets soient arrêtés ou ralentis, cela va créer un trou d'air dans l'alimentation de la commande publique. Un trou d'air qui sera visible au niveau des bureaux d'étude en 2024, et en 2025 pour les travaux qui ne pourront pas être engagés. Ajoutez à cela, les dispositifs de défiscalisation qui sont refusés aux investisseurs locaux sans qu'ils sachent “pourquoi”, cela risque de retarder encore davantage leurs projets à venir s'ils n'ont pas de perspectives bien définies.
Wait and see. C'est en tout cas ce que se disent les acteurs du secteur. La chambre syndicale du BTP a rencontré le président du Pays avant son départ aux États-Unis pour lui faire part de ses inquiétudes. Moetai Brotherson s'est voulu rassurant en lui indiquant que des annonces seraient faites entre le 15 et le 18 octobre à l'occasion du débat d'orientation budgétaire.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 3 Octobre 2023 à 19:00 | Lu 6776 fois