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L'économie polynésienne au niveau de 2019… et de 2007


Tahiti, le 23 mars 2023 - Dans sa dernière note de conjoncture, l’ISPF indique que « l’économie polynésienne retrouve son niveau d’activité d’avant-crise » avec des chiffres « plus élevés qu’en 2019 ». Un constat juste mais à nuancer. Les chiffres publiés, notamment ceux sur l’emploi, sont quasi-identiques à ceux constatés il y a 15 ans, en pleine instabilité politique et avant la crise financière de 2008.
 
Alors que la défense du pouvoir d’achat des consommateurs polynésiens semble être au cœur de la future campagne électorale pour les territoriales, les feux de l’économie du fenua seraient au vert. Dans sa dernière note Te Avei’a sur la conjoncture au quatrième trimestre 2022, l’Institut de la statistique en Polynésie française (ISPF) constate que l’activité économique continue de remonter la pente après la sortie de la crise sanitaire. Tourisme, export, emploi, investissement… Quelles que soit les données analysées et « malgré une inflation qui continue de peser sur le pouvoir d’achat », « l’économie polynésienne retrouve son niveau d’activité d’avant-crise ». Oui mais laquelle ? Si les indicateurs se rapprochent effectivement de ceux de 2019, avant la crise sanitaire, ces mêmes indicateurs restent inférieurs ou à peine équivalents à ceux constatés en 2006-2007, avant la crise financière de 2008.
 
Tourisme, retour de l’âge d’or ?
 
Avec 218 750 touristes accueillis en 2022, le tourisme, « principal contributeur » de la croissance polynésienne, a retrouvé 93% de sa fréquentation de 2019. Les structures d’hébergement ont ainsi pu « retrouver leur niveau d’activité d’avant-crise, en volume, et dépasser celui en valeur ». Une satisfaction évidente pour les établissements qui sont restés porte close et pour certains pas encore rouverts ou en liquidation judiciaire. A l’époque, l’année avait été présentée comme record avec un chiffre de 236 642 touristes. Un record qui n’en était alors pas un puisque le nombre de touristes avait déjà dépassé la barre des 250 000 entre 2001 et 2002. Le chiffre de 2022, aussi élevé soit-il, est à cet égard quasi-identique à ceux observés il y a une quinzaine d’années. Il était en effet de 218 241 en 2007 et de 221 549 en 2008, alors que l’économie polynésienne présentait déjà des signes de ralentissements. Les reports de séjours dus à la fermeture des frontières et aux restrictions de déplacement ont probablement conduit à favoriser un retour rapide au-dessus de la barre des 200 000. La tendance doit donc se confirmer en 2023. Le chiffre d’affaires des entreprises du secteur de l’hébergement est en hausse, mais l’ISPF avait constaté le mois dernier que le prix moyen des chambres avait également augmenté significativement.
 
Chiffres d’affaires gonflés par l’inflation
 
L’ISPF note à cet effet que, globalement, « le chiffre d’affaires des entreprises est 15% plus élevé qu’en 2021 et 11% plus élevé qu’en 2019 ». Un chiffre d’affaires forcément largement dépendant de la hausse du prix des produits à l’importation sur un territoire peu autonome, notamment au niveau alimentaire. A titre d’exemple, la valeur des importations de lait et produits laitiers a augmenté de 17% entre 2021 et 2022 mais les volumes ont quant à eux baissé de 2%. Pour les viandes, la valeur des importations a augmenté de 63% mais les volumes seulement de 15%. Idem dans le secteur de la construction. Les importations de bois ont ainsi grimpé de 29% en valeur mais ont baissé de 2% en volume. Ainsi, si les quantités mises sur le marché ont pu rester stable, les prix de vente ont explosé et généré un chiffre d’affaires plus important à niveau d’activité égal. Prudent et sans certitude, l’Institut indique ainsi qu’« en tenant compte de l’inflation, le niveau d’activité doit dépasser celui de 2019 ».
 
L’emploi avec plus d’une décennie de retard
 
En octobre dernier, l’ISPF évoquait le rebond du marché de l’emploi alors que « l’environnement économique international demeure toujours incertain », que « la croissance mondiale ralentit et la hausse des prix se poursuit au travers les tensions sur les marchés des matières premières, les difficultés d’approvisionnement liées au Covid-19 ou encore la crise énergétique relative au conflit en Europe ». Une situation paradoxale qui prête à interrogation. Y’aurait-il un miracle polynésien ou les chiffres doivent-ils plutôt inciter à la prudence ?
 
En 2022, la Polynésie comptait ainsi 69 164 salariés déclarés soit un chiffre sensiblement plus élevé qu’en décembre 2019 (67 555). Un niveau d’emploi sensiblement identique à celui constaté au dernier trimestre 2007, année au cours de laquelle le Pays a connu deux Présidents différents et la crise financière mondiale a démarré. Le marché du travail polynésien avait alors résisté sans pouvoir beaucoup compter sur les ressources budgétaires de la France, et encore moins du Pays, et sur la stabilité de l’exécutif. Le contre-coup avait été cependant important, le nombre d’emplois salariés avait alors plongé progressivement sous les 60 000 emplois salariés début 2014. S’en était suivie une très lente rémission à grands coups de contrats aidés notamment. Une loi du Pays de janvier 2014 venait ainsi créer les contrats d’accès à l’emploi (CAE) et les contrats de soutien à l’emploi (CSE). Des dispositifs largement mobilisés, avec notamment 3 500 à 4 000 CAE en 2020 et 2021, malgré un niveau d’insertion très faible. L’année 2019, présentée alors comme « exceptionnelle », pour l’économie polynésienne, n’était en fait même pas un retour à la ligne de flottaison.
 
Partiellement à temps plein
 
Mais surtout, ce chiffre de 69 164 recouvre à la fois les salariés à temps plein et ceux à temps partiel. D’où l’intérêt d’étudier l’équivalent temps plein (ETP), calculé en divisant le nombre d’heures total travaillées par 169 heures par mois. Il y a ainsi environ 6 000 salariés dans le secteur du transport mais seulement 5 000 ETP. Dans le secteur de l’hébergement et restauration, la ratio est du même ordre (8 100 et 6 700). Selon l’ISPF, « les effectifs salariés et en ETP en Polynésie française sont 5 % plus élevés cette année qu’en 2019 (+ 9 % par rapport à 2021), avec 60 000 effectifs en ETP ». Un chiffre qui ramène cependant péniblement le marché de l’emploi plus de quinze ans en arrière alors que la population en âge de travailler étant moindre. On comptait ainsi 192 176 polynésiens de 15 ans et plus en 2007 contre 214 076 en 2017, date du dernier recensement. Alors que l’instabilité politique avait été érigée au rang de discipline olympique par les élus de l’Assemblée, l’emploi polynésien était, sur ce seul indicateur, aussi bien portant. Dans les années 2006-2007, le nombre d’ETP avait assez allégrement et régulièrement dépassé à plusieurs reprises la barre des 60 000 emplois, voir même des 61 000 en novembre 2007. Les années post-taui ont donc eu moins d’impact sur le marché du travail que la crise de 2008 et la crise de la Covid-19 n’a, quant à elle, fait que reproduire en accéléré les effets de celle de 2007-2008. Le rebond constaté ne fait que ramener les indicateurs à la case départ, avec une sensation de surplace.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Jeudi 23 Mars 2023 à 19:30 | Lu 2161 fois