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Etera Livine, prodige polynésien de la physique quantique


TAHITI, le 29 mars 2023 - Chercheur à l’École normale supérieure de Lyon, Etera Livine s’intéresse à la gravitation quantique. Un domaine, à première vue peu accessible, mais dont les champs d’application sont nombreux dans notre quotidien. De passage au fenua, il donnera une conférence ce jeudi à l’université.

Depuis toujours, il aime les mathématiques et la physique. Son parcours exemplaire prouve, s’il le fallait, toute sa passion pour ces domaines. Il est entré au lycée à 12 ans, a obtenu son baccalauréat à 14 ans, est entré en licence à l’École normale supérieur (ENS) de Lyon à 16 ans et au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à 23 ans. Peu de temps après, ses travaux faisaient déjà référence. Aujourd’hui, Etera Livine consacre son temps à la recherche en gravitation quantique.

La gravitation est un phénomène par lequel deux corps pesants quelconques s’attirent mutuellement, elle explique par exemple la dynamique de notre galaxie, le fonctionnement de l’univers. Le terme quantique est à rapprocher des comportements des atomes et des particules. La gravité quantique est la recherche d'une théorie physique décrivant l'interaction gravitationnelle à toute échelle d'énergie. Elle réunifie la relativité générale d'Einstein décrivant la gravité comme courbure et déformation de l'espace-temps et la mécanique quantique régissant la dynamique microscopique des particules et leurs interactions.

Etera Livine est directeur de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et travaille toujours au laboratoire de physique de l’ENS. Il est actuellement en séjour en Polynésie, la terre de son père. Il profite de ce passage pour donner une conférence sur la mécanique quantique. S’il aime chercher pour comprendre le monde qui l’entoure, Etera Livine aime également expliquer, et transmettre.

Une brillante scolarité

Toute la famille du côté de son père est tahitienne. Mais son père étant dans l'Armée de l'Air, en tant que pilote d'hélicoptère, il a été muté régulièrement, environ tous les deux ou trois ans. “Ce qui ne m’a pas dérangé, j’ai réussi à m’habituer à ce rythme de vie sans difficulté”, assure Etera Livine.

Il est né à Marseille en 1982. Il y a passé une année avant de partir pour la Polynésie où il a été accueilli par ses grands-parents. De là vient sans doute son appréciation pour la gastronomie locale, le poisson cru, le coco et le poe. Après un court retour à Marseille, la famille est partie pour deux ans à La Réunion, puis quatre ans à Nancy où Etera Livine a suivi son école primaire entre 5 et 9 ans. Puis il est retourné à Tahiti où il a été inscrit au collège La Mennais entre 9 et 11 ans. Très tôt, il a montré des capacités d’apprentissage peu communes. Il a tout naturellement sauté plusieurs classes (la 5e et la 3e). Il est entré en seconde au lycée Gauguin avant de partir une nouvelle fois. Son père ayant été muté à Paris, il a intégré le lycée Henri IV où il a passé son baccalauréat à 14 ans et fait ses classes préparatoires. Il a, là encore, réussi à s’intégrer malgré la différence d’âge. “J’étais juste un peu plus petit que tous les autres garçons”, plaisante-t-il. “Mais j’ai bien grandi en classe préparatoire et rattrapé la taille des autres.” Sa scolarité s’est déroulée sans faute. “J’étais plutôt studieux, j’ai avancé tout droit, comme il fallait.

Pendant tout son cursus, il n’a pas eu d’idées particulières quant au métier qu’il ferait plus tard. “En primaire, comme tout le monde, je devais rêver de devenir pompier, ou pilote.” Il se rappelle toutefois une anecdote, alors qu’il était âgé de 9 ans. Son père lui a mis entre les mains un manuel détaillant les caractéristiques d’un super Puma, un hélicoptère. “J’ai trouvé cela vraiment fantastique, j’ai découvert la portance et tant d’autres choses. Ce qui me plaisait c’était de comprendre comme les choses fonctionnaient. Je me suis rapidement tourné vers les mathématiques, la physique. Je suis fasciné par les chiffres et les nombres, par la logique.”

En classes préparatoires, il a visé les grandes écoles. “Le lycée Henry IV est très élitiste et mène ses élèves vers les très grandes écoles, les écoles normales supérieures, centrale, l’école des Mines, ou encore Polytechnique. Mon père aurait aimé que j’intègre cette dernière, mais j’étais trop jeune. Aujourd’hui il y a des dérogations, mais avant on ne pouvait pas y entrer avant 16 ans.” Etera Livine a passé le concours d’entrée de l’École normale supérieure de Paris, de Lyon. “À Paris, ils prenaient 40 élèves, et 20 se trouvaient sur la liste d’attente. J’ai été classé dernier sur la liste d’attente.” Il a appelé l’école pour savoir s’il avait une chance d’entrer avec cette position, mais personne n’avait encore eu cette chance jusqu’alors. Etera Livine a pris la direction de l’ENS de Lyon qui l’acceptait. Il a quitté le cocon familial à 16 ans.


Docteur à 22 ans

Même après avoir quitté son foyer, Etera Livine a gardé le goût du voyage et de la découverte. Après trois ans de Magistère (ancien L3-M1-M2) en physique, mathématique et informatique, et après avoir fait des stages de recherche à l'observatoire de Paris, à l'université de Cambridge et à Londres, il a commencé une thèse de doctorat en cotutelle sous la direction de Carlo Rovelli à Marseille et de Lee Smolin à l'Imperial College à Londres. Il a soutenu cette thèse intitulée Gravité quantique à boucle et mousse de spin : une approche non perturbative à la quantification de la relativité générale, en 2003 à Marseille. Il a obtenu son doctorat en physique à 22 ans.

Un nouvel institut de physique théorique venait d'être créé au Canada, en Ontario, à Waterloo, par son co-directeur de thèse, Lee Smolin. Il y a obtenu un poste de postdoctorant (CDD de 3 ans). “Là j'ai vraiment pu faire de la recherche de manière indépendante.” Cet institut, le Perimeter insitute, a bien grandi depuis. Aujourd’hui, il accueille de grandes sommités. “Quand j’y étais, nous étions peu nombreux, l’ambiance était très familiale.”

Il a été recruté au CNRS en 2005 à 24 ans, en tant que chargé de recherche, et affecté au Laboratoire de physique de l'ENS Lyon. En 2009, il a obtenu la médaille de bronze au CNRS. Cette médaille récompense le premier travail d'un chercheur qui fait de lui un spécialiste prometteur dans son domaine. Elle représente un encouragement du CNRS à poursuivre des recherches qui, pour Etera Livine était déjà “bien engagées et déjà fécondes”. À 28 ans et 50 publications, Etera Livine comptait comme un nouveau talent de la communauté scientifique. Le CNRS saluait, avec la médaille, “sa manière de penser tout à fait nouvelle, au carrefour de la physique et de la géométrie.”

Etera Livine travaille à présent en collaboration avec des collègues éparpillés dans le monde (Angleterre, Allemagne, Espagne, Pologne, Japon, Australie, Canada, États-Unis...). “On doit être un millier environ et il y a, au sein de la communauté, une vraie ébullition en ce moment.” Il a gardé des liens forts avec le Perimeter Institute. Depuis, il a été promu Directeur de recherche. Il enseigne en Master, encadre des doctorants et postdoctorants, il organise l’école d'été pour jeunes chercheurs, des workshops et conférences. C’est dans cette optique de partage qu’il a accepté de faire une conférence à l’université de la Polynésie française ce jeudi.

Il tient à expliquer que la relativité et la gravitation quantique ne sous-tendent pas “des idées si bizarres qu’elles n’en paraissent”. Il dira pourquoi la mise au point d’un ordinateur quantique recèle tant de secrets, pourquoi il sera extrêmement puissant et pourquoi cela reste compliqué à faire. Il insiste : “C’est grâce à la physique quantique par exemple que l’on a pu mettre au point le laser, que l’on construit de l’électronique, des éléments technologiques”. Etera Livine a à cœur d’expliquer et transmettre sa passion. “J’espère vraiment que les gens comprendront.” Rendez-vous ce soir à l’université pour essayer de percer ce qui reste encore pour le commun des mortels, des mystères.

Démystifier le côté quantique de l’univers

La mécanique quantique et la relativité générale sont nées il y a un siècle, pour décrire le monde microscopique des particules et le monde des étoiles et galaxies.

Ces théories peuvent sembler mystérieuses, comme suspendues dans un brouillard de concepts étranges et d’équations techniques. On les côtoie néanmoins au quotidien, sans même sans rendre compte, dans le système GPS, les laser ou l’électronique. Aujourd’hui on entend parler de la révolution des ordinateurs quantiques ou des mesures d’ondes gravitationnelles créées par des collisions de trous noirs. Quelles en seront les enseignements, les applications ? Etera Livine, au cours de cette conférence et du débat qui la suivra, reviendra sur des questions de base de la mécanique quantique seront abordées et trouveront une réponse dans un langage simple.

La conférence est donnée ce jeudi dans l’amphithéâtre A3 de l’université de Polynésie française de 18 heures à 19h30.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 29 Mars 2023 à 21:08 | Lu 3669 fois