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Au Venezuela, le calvaire des manifestants arrêtés


Caracas, Venezuela | AFP | jeudi 27/07/2017 - Coups de marteau, sévices avec des tenailles : de ses quatre jours de détention, Luis garde une cicatrice à vie. Lui a été libéré, mais des centaines de Vénézuéliens arrêtés pendant les manifestations contre le président Nicolas Maduro sont toujours derrière les barreaux.

Luis - nom d'emprunt pour préserver son anonymat - est une des quelque 4.000 personnes qui, selon le parquet, ont été interpellées en près de quatre mois de manifestations pour demander le départ du chef de l'Etat.

"Ils disaient qu'ils allaient nous tuer, nous découper en morceaux et nous jeter dans la rivière Guaire" qui traverse Caracas, raconte à l'AFP cet employé de bureau fluet de 30 ans, arrêté le 4 juillet par la Garde nationale - un corps militarisé - dans les rues de la capitale.

Au milieu des coups de poings, pendant qu'on lui tirait les cheveux et qu'on lui marchait dessus, l'un d'entre eux lui a pincé l'abdomen et les bras avec des tenailles, en le traitant de "terroriste". Puis, muni d'un marteau, le même représentant des forces de l'ordre lui a frappé les genoux et les coudes, affirme-t-il.

"Il torturait dans le dos de certains (collègues), d'autres étaient complices", assure cet homme rencontré dans son bureau de l'est de Caracas.

L'ONG Foro Penal, qui évalue à 4.500 le nombre d'arrestations, assure qu'un millier de personnes sont toujours détenues, dont quelque 300 sur ordre des tribunaux militaires.

- 'Papa, sors-moi de là!' -
La Procureure générale du Venezuela, Luisa Ortega, principale figure de la contestation au sein même du camp chaviste (du nom d'Hugo Chavez, président de 1999 à son décès en 2013 et mentor de Nicolas Maduro), a dénoncé les violences exercées par les forces de l'ordre.

Sur la centaine de personnes mortes depuis le 1er avril dans des manifestations, les militaires sont responsables de plusieurs d'entre elles, juge cette femme, évoquant "un terrorisme d'Etat".

Côté gouvernement, le président Maduro et son ministre de la Défense Vladimir Padrino ont pourtant prévenu qu'aucun abus ne serait toléré, tandis que le Défenseur du Peuple, Tareck William Saab, nie avoir affaire à une pratique généralisée.

Un tribunal civil a remis Luis en liberté. D'autres n'ont pas eu cette chance.

A 18 ans, Abraham risque une peine de 18 années de prison par un juge militaire.

"Papa, sors-moi de là! Je me sens mal. Je n'arrive pas à respirer", a imploré Abraham Quiroz à son père, Nicolas, au cours d'un bref appel depuis une prison de haute sécurité.

Il a été arrêté le 2 juillet à Maracay (centre) au côté de 26 autres jeunes, tous transférés vers un établissement pénitentiaire à 20 heures de route de là.

"C'est une terrible injustice", déclare Nicolas, la voix tremblante de colère, en dénonçant les violents coups reçus par son fils dans les côtes.

- Tribunaux militaires -
Ce jour-là, manifestants et forces de l'ordre ce sont affrontés à proximité d'une université publique, où un groupe de jeunes a décidé de se réfugier pour passer la nuit.

Au petit matin, une quarantaine d'hommes cagoulés et armés ont fait irruption et les ont embarqués, selon des étudiants et des proches.

Les tribunaux militaires sont plus "opaques", raconte Andreina Santa Cruz, directrice du Centre des droits de l'homme de l'université métropolitaine.

Les jeunes de Maracay ont été accusés de "tentative de rébellion" et de "violation d'une zone de sécurité". Ils risquent une peine de 18 ans de prison.

En attendant d'être jugé, Abraham se trouve dans une prison de l'Etat de Bolivar (sud) avec des délinquants hautement dangereux, dénonce sa famille.

Les conditions de détention rendent les choses plus difficiles. Luis raconte qu'il a été enfermé au côté de 18 personnes, sans toilettes ni douches.

L'ONG "Une fenêtre sur la liberté" assure que dans les seuls centres de détention provisoire, la surpopulation carcérale dépasse les 400%.

"Je suis devenu peureux", confie Luis, qui demande désormais à ses proches et ses amis d'éviter les manifestations.

"Les blessures ont bien guéri", dit-il en montrant son abdomen. "Mais les cicatrices les plus coriaces sont psychologiques", conclut-il.

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Rédigé par () le Jeudi 27 Juillet 2017 à 05:16 | Lu 212 fois