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​Le taui en marche


Tahiti, le 1er mai 2023 – Le Tavini huiraatira d'Oscar Temaru et Moetai Brotherson a remporté dimanche le second tour des élections territoriales en allant chercher une réserve de 21 000 voix supplémentaires par rapport au premier tour. C'est plus qu'il n'en fallait pour battre l'alliance d'Édouard Fritch et Gaston Flosse qui n'en a gagné “que” 18 000… Déjà détenteur des trois fauteuils de députés polynésiens, le Tavini renverse l'assemblée et s'offre 38 sièges à Tarahoi, contre 16 pour le Tapura et 3 pour A Here ia Porinetia.
 
Un an après l'émergence de la “vague bleue” qui avait porté les trois députés Tavini aux élections législatives, le parti indépendantiste a bel et bien surfé sur une dynamique électorale qui s'est prolongée jusqu'au terme des élections territoriales dimanche soir. La question de la réussite de l'alliance de circonstance entre le Tapura et le Amuitahira'a n'a finalement pas eu besoin d'être posée. Le Tavini huiraatira d'Oscar Temaru et Moetai Brotherson est allé chercher plus de 21 000 voix supplémentaires entre-deux-tours pour s'assurer une victoire nette et sans appel. “La messe est dite”, convenait dimanche soir le président sortant –et sorti– Édouard Fritch. Non sans avoir eu au préalable quelques difficultés à accepter que son troisième mandat ne lui soit finalement refusé dans les urnes.
 
Le Tavini fait le plein
 
À l'heure des comptes, l'analyse précise des résultats du scrutin de dimanche apparaît très complexe. D'abord parce que la participation a littéralement bondi, passant de 60 à 69% en deux semaines pour 21 300 électeurs supplémentaires. Ensuite parce que même en additionnant la totalité des voix dites “autonomistes” du Amuitahira'a de Gaston Flosse à celles du Tapura d'Édouard Fritch et en répartissant celles du Ia Ora te Nuna'a de Teva Rohfritsch entre les deux partis autonomistes en lice, on est encore loin des scores obtenus dimanche par le Tapura et le A Here ia Porinetia. Sur le terrain des communes, “l'alliance” a semblé fonctionner comptablement dans la plupart des bureaux de vote. Mais elle s'est finalement retrouvée noyée par la mobilisation des électeurs du Tavini au second tour et, comme aux législatives l'année dernière, par l'impressionnant réservoir de voix du parti bleu ciel.
 
Les conclusions sur les reports de voix du premier tour, sur le rejet d'un mariage “contre-nature” entre Flosse et Fritch ou sur la tentation d'un “vote utile” autonomiste semblent assez difficile à tirer sans une analyse fine de l'électorat par bureaux. En revanche, un constat est très clair. Le Tavini huiraatira a largement rassemblé hors de ses bases indépendantistes. Son score de 2018 fait plus que doubler, passant de 31 378 à 64 551 voix. Même le “bloc autonomiste” constitué il y a cinq ans des 104 321 voix du Tapura et du Tahoera'a s'est réduit aujourd'hui aux 81 107 voix du Tapura et du A Here ia Porinetia… Le disque rayé d'Édouard Fritch, dimanche soir et pendant toute la campagne, sur le constat que la Polynésie restait majoritairement autonomiste à l'issue du scrutin n'a jamais eu l'air de pouvoir empêcher la victoire du parti indépendantiste. La préoccupation était ailleurs pour les électeurs.
 
Le Tavini à 38, le Tapura à 16
 
Prime majoritaire oblige, les 44% et 38% des voix du Tavini et du Tapura se transforment à l'assemblée en 67% et 28% des sièges de représentants… Le parti d'Oscar Temaru en décroche 38, soit 10 sièges de mieux que la majorité nécessaire au vote d'un texte et 16 sièges de plus que le minimum requis pour se mettre à l'abri d'une motion de défiance. “On n'est plus en 2004, on a changé d'époque”, brandissaient dimanche et lundi à la fois Oscar Temaru et Moetai Brotherson. Clairement, le spectre de l'instabilité politique n'est pas le péril le plus menaçant pour le Tavini. Le parti indépendantiste participe pour beaucoup au large renouvellement de la classe politique dans l'hémicycle. Le nombre des élus Tavini ayant déjà siégé à Tarahoi par le passé restant très minoritaire au sein du futur groupe bleu ciel à l'assemblée.
 
À l'inverse, côté Tapura, c'est l'hémorragie pour les élus et cadres du parti à l'assemblée. Dans les îles, le clan rouge et blanc sauve les meubles en faisant élire les Marquisiens Benoît Kautai et Joëlle Frébault, mais aussi Frédéric Riveta, Gaston Tong Sang ou encore Lana Tetuanui. Mais aux îles du Vent, il ne parvient à conserver “que” son président Édouard Fritch, ses maires Henri Flohr, Teura Iriti, Simplicio Lissant, Sonia Taae ou encore Michel Buillard in extremis. Et surtout, il fait également profiter la compagne de Gaston Flosse, Pascale Haiti, d'un de ses désormais rares sièges à l'assemblée. Côté sortants, exit Jean-Christophe Bouissou, Tearii Alpha, René Temeharo, Sylvana Puhetini, Charles Fong Loi ou encore Marcelin Lisan pour ne citer que quelques noms d'une liste bien plus exhaustive.
 
A Here mal récompensé
 
Enfin, A Here ia Porinetia mérite également que l'on s'attarde sur ses 25 000 suffrages décrochés dimanche. “Troisième voie” ou “alternative autonomiste”, la liste de Nuihau Laurey et Nicole Sanquer a déjà eu à subir les foudres des présidents du Tapura et du Amuitahira'a. Désigné à chaud comme seul responsable de la désunion et de la déroute autonomiste par Édouard Fritch et Gaston Flosse, le parti vert et blanc n'est clairement pas gâté par le mode de scrutin en termes de sièges obtenus à l'assemblée. Seuls les trois candidats en tête des sections des îles du Vent décrochent un siège à Tarahoi : Teave Chaumette, Nicole Sanquer et Nuihau Laurey. Le co-fondateur du parti et membre du triumvirat du A Here ia Porinetia, Félix Tokoragi, échoue à quelques voix près à conserver son siège à Tarahoi.
 
La liste des vert et blanc n'a pourtant pas de quoi rougir après ce second tour. Loin d'avoir été évincée par un “vote utile” autonomiste, elle a gagné 7 000 voix entre-deux-tours pour se hisser à plus de 17%. L'objectif reste manqué pour la liste qui prônait le renouvellement des élus à l'assemblée. Deux de ses trois représentants rempilent pour un troisième mandat. Et a priori sans perspective de pouvoir peser sur les débats. Le salut du A Here pourrait finalement bien venir de l'appel du pied de Moetai Brotherson à la “minorité” pour constituer son gouvernement… Affaire à suivre.
 
Taui
 
Les 57 nouveaux élus de l'assemblée prendront officiellement leurs fonctions le 11 mai prochain pour une première séance destinée à l'élection du président de l'assemblée. Antony Géros est le candidat désigné par le Tavini pour ce poste. L'élection du président ne pourra pas suivre le jour même, mais devrait se tenir le vendredi 12 ou le lundi 15 mai suivant. Moetai Brotherson, candidat désigné pour cette fonction, devra ensuite constituer un gouvernement dont on connaît déjà quatre noms : Eliane Tevahitua, Jordy Chan, Vannina Crolas et Rony Teriipaia. Dans la foulée, Mereana Reid Arbelot remplacera Moetai Brotherson à l'Assemblée nationale.
 
Avec trois députés pour quatre ans de mandat à Paris et une majorité absolue et large pour les cinq ans à venir à l'assemblée de la Polynésie française, le Tavini s’est doté des leviers politiques majeurs de la Polynésie. Après dix ans d'une gouvernance exclusivement autonomiste, l'alternance politique au fenua a pris un sérieux goût de taui.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 1 Mai 2023 à 22:34 | Lu 3480 fois