Tahiti Infos

​Vers une rallonge pour l’eau potable


En attendant la distribution d’eau potable à domicile, le remplissage de bouteilles aux fontaines publiques reste le lot de nombreux administrés (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
En attendant la distribution d’eau potable à domicile, le remplissage de bouteilles aux fontaines publiques reste le lot de nombreux administrés (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 29 décembre 2024 – L’objectif réglementaire en matière de distribution en eau potable arrive à échéance ce mardi 31 décembre. Dans de nombreuses communes polynésiennes, les travaux à accomplir restent colossaux. Par conséquent, un projet de loi visant à repousser la date butoir à 2035 est dans les tuyaux. L’assainissement et la gestion des déchets sont également concernés.

 
En Polynésie française, l’article L. 2573-27 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) stipule que “les communes doivent assurer le service de la distribution d'eau potable et le service de l'assainissement au plus tard le 31 décembre 2024”. À l’aube de cette échéance fatidique, dans de nombreuses municipalités, le travail à accomplir en matière d’adduction en eau potable reste colossal. Sans surprise, puisque les tāvana dressent le même constat depuis plusieurs années.
 
À Tahiti, les communes rurales sont plus particulièrement concernées, pour ne pas dire submergées par l’ampleur de la tâche, d’autant que l’absence de compteurs ne facilite pas la perception des redevances. Les “casses” et autres problèmes “d’eau sale” n’encouragent pas non plus les administrés à s’acquitter de leurs factures.
 

“Une nécessité”


À Hitia’a o te Ra, la mise aux normes du réseau dans les quatre communes associées de Hitia’a, Mahaena, Tiarei et Papeno’o se poursuit doucement, mais sûrement. “Au début de notre mandature, on a investi près de 500 millions de francs pour rénover toute la conduite de Hitia’a. On n’a pas encore commencé à chlorer. On en a parlé avec l’administrateur et le haut-commissaire : ils savent que l’eau potable fait exploser notre budget général, et qu’on doit étaler ces travaux sur plusieurs années. Pour Hitia’a o te Ra, je pense qu’il nous faudra encore au moins cinq ans pour y arriver”, estime le maire, Henri Flohr.
 
Malgré un coup d’accélérateur dans le cadre de l’accueil des épreuves olympiques de surf à Teahupo’o, Taiarapu-Ouest ne sera pas non plus dans les temps. “Notre schéma directeur de l’eau a été réactualisé récemment, mais il ne comprend pas encore l’alimentation des vallées et des montagnes. Sur le réseau principal des plaines, on est peut-être aux trois quarts du projet. Les tronçons fuyards ont été changés à Teahupo’o, on a commencé à Vairao et il nous reste Toahotu, ce qui nous amène autour de juin 2025. À ce jour, la seule partie chlorée se situe après la rivière du PK 0”, explique la directrice générale des services, Hélène Fariki, qui considère la perspective d’un report comme “une nécessité”, à plusieurs niveaux. “Les prix ont flambé depuis la pandémie de Covid, avec des enjeux financiers qui ont doublé ou triplé. Bien que l’État et le Pays financent à hauteur de 80 ou 90 % les travaux engagés, le manque de finances reste une difficulté, en plus du manque de moyens humains et des spécificités géographiques, avec plusieurs réseaux à organiser. C’est très technique : ce n’est pas un petit travail !”
 

​2035 dans les tuyaux


Après un premier report – l’échéance étant initialement fixée à fin 2015 –, un délai supplémentaire semble effectivement s’imposer. Contacté à ce sujet, le Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) a précisé par voie de communiqué avoir été saisi le vendredi 20 décembre 2024 par le Pays, via la Délégation au développement des communes (DDC), pour donner son avis sur une proposition de loi portant sur diverses dispositions d’adaptation au droit des Outre-mer. Ce projet de loi prévoit notamment “un report des dates de transfert aux communes polynésiennes des compétences en matière d’eau potable, d’assainissement et de gestion des déchets à 2035, au lieu du 31 décembre 2024, en raison d’une impossibilité matérielle pour les communes de Polynésie française d’exercer à ce jour ces compétences”, souligne le syndicat, qui a émis “un avis favorable”.
 
Ce soutien est assorti d’une demande d’étude financière. “Il faut faire une évaluation globale du coût des investissements pour les communes, à financer par l’État, ce qui n’a jamais été fait”, déplore Woullingson Raufauore, membre titulaire délégué du SPCPF ayant participé à une mission institutionnelle menée en marge du Congrès des maires de France, en novembre dernier. Le tāvana de Maupiti est particulièrement concerné, faisant face à d’importants défis techniques sur son île : “On en est à 14 forages souterrains pour lesquels on ne trouve pas d’eau. On a relancé un projet sur le motu Auira avec des études sur le potentiel des lentilles d’eau (réserves d’eau douce, NDLR), comme à Bora Bora. C’est notre dernière chance pour pouvoir donner de l’eau à notre population. L’autre option serait la désalinisation, mais je n’ai pas envie d’en arriver là, car ça coûterait trop cher aux administrés.”
 
Concernant la perspective d’un report de dix ans, reste à savoir si, et quand cette dérogation sera adoptée, tandis que le gouvernement central traverse une période d’instabilité marquée par l’arrivée d’un nouveau ministre des Outre-mer. Autre défi de taille en matière de potabilisation : faire accepter à la population le principe de désinfection par chloration, une impasse qui pousse certaines communes à rechercher des alternatives compatibles avec la réglementation.
 

​Quelques chiffres

Dans son dernier rapport, le Centre de santé environnementale (CSE) de la Direction de la santé dresse un état des lieux au 31 décembre 2023. Si certains chiffres ont pu évoluer au cours de l’année écoulée, ils donnent un bon aperçu de la situation actuelle. En Polynésie française, 63 % de la population a accès à l’eau potable. Autrement dit, 37 % n’y a pas accès. Dans le détail, d’importantes disparités demeurent entre les archipels, puisque la part de la population ayant accès à l’eau potable est de 69 % aux îles du Vent, 77 % aux îles Sous-le-Vent, 23 % aux Australes, 1 % aux Tuamotu-Gambier et 0 % aux Marquises. En 2023, seulement 12 communes sur 48 ont distribué de l’eau potable sur l’ensemble de leur territoire : Arue, Faa’a, Mahina, Papeete, Pirae, Punaauia, Papara, Bora Bora, Huahine, Tumaraa, Taputapuātea et Uturoa. Et trois communes ont délivré de l’eau potable sur une partie de leur territoire : Taiarapu-Est, Moorea et Rurutu.

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Dimanche 29 Décembre 2024 à 17:06 | Lu 1555 fois