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​Reynald Temarii : "J'ai été trompé"


Me Gilles Jourdaine et Reynald Temarii le 21 octobre 2022.
Me Gilles Jourdaine et Reynald Temarii le 21 octobre 2022.
Tahiti, le 21 octobre 2022 – Après les révélations de l'Equipe et de l'AFP jeudi selon lesquelles Reynald Temarii a été placé sous le statut de témoin assisté dans le cadre de l'information judiciaire ouverte sur l'attribution de la coupe du monde au Qatar, l'ancien ministre, président de la FTF et président de l'OFC a tenu une conférence de presse vendredi matin au Royal Tahitien en présence de son avocat. Réfutant toute corruption, Reynald Temarii affirme que l'affaire s'oriente vers des faits d'escroquerie dont il aurait lui-même été victime.
 
Reynald Temarii aurait "souhaité laisser la justice faire son travail", mais 24 heures après les articles publiés dans l'Equipe et l'AFP sur son rôle dans l'attribution de la coupe du monde au Qatar, l'ancien ministre des Sports, président de la FTF et président de l'OFC a finalement décidé de parler. Lors d'une conférence de presse qui s'est déroulée vendredi matin au Royal Tahitien à Pirae, Reynald Temarii est donc revenu longuement, PowerPoint à l'appui, sur les éléments de cette affaire et sur son placement sous le statut de témoin assisté dans le cadre de l'information judiciaire ouverte en 2019 à Paris sur l'attribution de la coupe du monde au Qatar.
 
Il y a 12 ans déjà…
 
Pour comprendre cette ancienne affaire, qui refait parler d'elle à quelques semaines de l'organisation controversée de la Coupe du monde au Qatar, il faut remonter au 17 novembre 2010 lorsque la commission d'éthique de la Fifa avait suspendu Reynald Temarii, alors président de l'OFC, pour un an en raison de manquements aux principes de loyauté et de confidentialité qu'il aurait dû respecter au regard de sa fonction. Cette décision était intervenue à la suite d'articles publiés dans le tabloïd anglais, le Sunday Times, qui mettait en fâcheuse posture le président de l'OFC, piégé par des journalistes se faisant passer pour des investisseurs américains.
 
Le 1er décembre 2020, soit un jour avant que le comité exécutif de la Fifa ne se réunisse pour voter l'attribution de la coupe du monde de football, Reynald Temarii avait fait appel de sa suspension. Une sanction qu'il avait pourtant publiquement acceptée. Tel que l'ont rappelé l'Equipe et l'AFP jeudi, cet appel de la décision avait privé l'OFC d'un représentant lors du fameux vote pour l'attribution du mondial. Or, toujours selon nos confrères, quelques heures avant de décider de faire appel, Reynald Temarii avait reçu une note de l'assistant de son avocate, Jean-Charles Brisard, qui l'informait que le parquet fédéral suisse allait probablement engager des poursuites à son encontre. Les informations contenues dans cette note s'étaient pourtant révélées fausses.
 
Dans le cadre de l'information judiciaire ouverte en 2019 sur l'attribution de la coupe du monde au Qatar, les juges d'instruction se sont donc intéressés à cet étrange retournement qu'ils ont mis en parallèle avec les rapports entre Reynald Temarii et l'homme d'affaires qatari proche du pouvoir de son pays, Mohamed Bin Hammam. En effet, entre sa suspension du 17 novembre 2010 et le vote du 2 décembre, l'ancien président de l'OFC s'était rendu à Kuala Lumpur pour rencontrer le Qatari qui lui avait payé son voyage. Mohamed Bin Hammam avait également déboursé 36 millions de Fcfp pour la prise en charge des frais de défense de Reynald Temarii. Versement qui avait valu à l'ancien président tahitien de l'OFC une suspension très lourde de 8 ans d'interdiction de toute activité liée au football.

​Verbatim

C'est donc dans ce contexte que l'ancien ministre des Sports, ainsi que son avocate, Me Lesieur et l'assistant de cette dernière, ont été placé sous le statut de témoin assisté fin 2021 dans le cadre de l'information judiciaire ouverte sur l'attribution du mondial qatari. Vendredi matin, Reynald Temarii a tenu à apporter sa version de cette affaire. Il a notamment affirmé que Jean-Charles Brisard avait été payé pour lui transmettre de fausses informations et a assuré que son avocate était à l'initiative de sa rencontre avec Mohamed Bin Hammam. Voici les explications qu'il a données point par point :
 
  • Sur son placement sous le statut de témoin assisté fin 2021 :
 
"Dans ce dossier, les juges d'instruction ont apprécié ma bonne foi, ils nous ont fait savoir que des initiatives allaient être prises. Mon avocat, Me Gilles Jourdainne, a sollicité des documents complémentaires et nous avons découvert que les choses avaient bien avancé depuis mon audition. Certaines de mes déclarations ont été prises très au sérieux puisque le dossier a pris une nouvelle orientation qui repose sur la probabilité que j'ai été victime de faits d'escroquerie. Jusqu'à aujourd'hui, les médias se sont focalisés sur la somme qu'a versée Mohamed Bin Hammam pour prendre en charge mes fais d'avocat et personne d'autre ne s'est jamais intéressé à l'élément déterminant qui fait que j'ai changé d'avis. Cet élément est un document qui m'a fait prendre une décision contraire à ce que j'avais prévu. J'ai changé d'avis à partir de ce document qui m'a été envoyé par mail par l'assistant de mon avocate, Jean-Charles Brisard. Ce document sous-entendait que si je ne faisais pas appel de ma suspension, j'allais être présumé coupable et les autorités judiciaires suisses allaient entamer des poursuites à mon encontre. J'ai donc pris peur. Les investigations entreprises par les juges d'instruction ont démontré que les ces informations communiquées par Jean-Charles Brisard étaient fausses et que j'ai donc été trompé par une note mensongère fournie par quelqu'un qui a été payé."
 
  • Sur l'intérêt de son avocate et de Jean-Charles Brisard de l'escroquer :
 
"Je ne voudrais pas trop m'étendre là-dessus, car les propos que je tiens aujourd'hui seront très certainement relayés sur la scène internationale donc je veux faire preuve d'une grande prudence. Je laisse le soin à la justice de comprendre tout ce qui s'est passé. J'ai ma propre idée mais je ne vais pas porter d'accusations."
 
  • Sur ses frais de défense pris en charge, à hauteur de 36 millions de Fcfp, par Mohamed Bin Hammam :
 
"M. Bin Hamman est un homme extrêmement riche. Il était en conflit ouvert avec le président de la Fifa, Sepp Blatter. Il a considéré que j'étais la victime d'un complot. Il faut savoir que le président Blatter avait des pratiques hégémoniques, voire douteuses, et que M. Bin hammam a toujours considéré que ses méthodes n'étaient pas acceptables. C'est la raison pour laquelle il s'est porté candidat contre Blatter au mois de janvier 2011. Il m'a dit qu'il voulait faire de mon cas un exemple des abus du système Blatter et que j'avais été sanctionné injustement."
 
  • Bin Hammam l'a-t-il contacté ?
 
"L'une des raisons qui permet aujourd'hui aux juges d'instruction de considérer qu'il y a de fortes chances qu'il n'y ait pas eu de pacte de corruption entre Bin Hammam et moi-même est que je n'ai jamais pris attache avec lui. Il n'a jamais pris contact avec moi. C'est mon avocate qui a fait en sorte que nous rentrions en contact. C'est sur ses conseils que j'ai pris toutes les initiatives pour entrer en relation avec certains membres du comité exécutif, dans le but de comprendre la démarche que nous devions suivre."
 
  • Quel aurait été son choix s'il avait voté sur l'attribution de la coupe du monde 2022 ?
 
"Contrairement aux 23 autres membres du comité exécutif de la Fifa, il m'a semblé utile compte-tenu de la sensibilité du dossier, d'avoir une approche basée sur la transparence et l'intégrité. Je rappelle que parmi les règles de la FIFA, le vote d'un membre exécutif est confidentiel et personnel. Et je suis passé outre cette règle puisque j'ai adopté une démarche complètement différente. En effet, j'ai eu l'idée de demander aux 11 présidents des fédérations membres de l'OFC de m'indiquer le pays pour lequel je devais voter. Je n'ai pas pris cette décision seul. Ce comité exécutif s'est donc réuni de manière exceptionnelle le 16 octobre 2010 à Tonga. Au cours de cette réunion, nous avions déterminé trois critères d'attribution. Autre élément important, qui est contraire aux règles de la Fifa, c'est que j'ai demandé un vote à main levée. Sur les 11 présidents, une seule voix est allée au Qatar, c'est celle du président calédonien. Ma voix est allée à l'Australie avec 9 autres voix en premier choix puis les Etats-Unis en second choix."
 
  • Sur d'éventuels regrets ou aveu de manque de prudence dans toute cette affaire :
 
"J'ai agi sur les conseils de mon avocate, Me Lesieur. Je n'ai pas pris la décision d'aller voir M. Bin Hamman seul. J'ai agi dans le cadre d'une stratégie de défense mise en place par elle. Ma décision de ne pas faire appel était déjà prise avant d'aller voir M. Bin Hammam. Il est clair qu'il ne m'a jamais demandé de voter pour le Qatar, mais il m'a demandé de soutenir sa candidature à la présidence de la Fifa."
 

​Chronologie

17 novembre 2010 : La commission d'éthique de la FIFA suspend Reynald Temarii pour un an en raison de manquements aux principes de loyauté et de confidentialité après la publication du Sunday Times.
 
20 novembre : Reynald Temarii rencontre Bin Hammam à Kuala Lumpur. Il assure qu'il a alors refusé son aide financière.
 
30 novembre 2010 : Reynald Temarii fait appel de sa suspension
 
2 décembre 2010 : Vote pour l'attribution des coupes du monde 2018 et 2022 – 22 membres sur 24 votent, les deux autres sont suspendus. 14 voix pour le Qatar.
 
17 janvier 2011 : Renald Temarii accepte par mail l'aide financière de Bin Hammam.
 
2015 : Ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Papeete qui transmet au Parquet national financier.
 
2019 : Ouverture d'une information judiciaire pour escroquerie à Paris sur la désignation du Qatar comme pays hôte de la coupe du monde 2022.
 
2 et 3 novembre 2021 : Reynald Temarii est entendu par les juges d'instruction parisiens et placé sous le statut de témoin assisté.

Rédigé par Garance Colbert le Vendredi 21 Octobre 2022 à 15:36 | Lu 3212 fois