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​Prix : A qui profite la crise ?


Tahiti, le 13 avril 2020 - Le 23 mars dernier, le conseil des ministres réglementait la marge des solutions hydroalcooliques, masques, blouses et autres gants médicaux. Une mesure qui visait notamment à lutter contre des fortes hausses de prix constatés. Dans des circonstances exceptionnelles, des commerçants peuvent être amenés à profiter de la situation. Face à ces abus, les pays se sont dotés de moyens de lutte et de réglementations différentes, avec une efficacité variable. 
 
L'épidémie du Covid-19 met en lumière la nécessité de respecter des règles d'hygiène. Dans ce contexte, les prix de certains articles, notamment les gels hydroalcooliques, ont pu subir des variations importantes du fait d'une forte demande mais aussi de pratiques visant à profiter d'une situation exceptionnelle. Ces abus ne sont pas systématiquement liés à une crise sanitaire. Après un cyclone, cordes et matériaux de construction connaissent généralement une inflation. Des flambées qui peuvent conduire les gouvernements à agir directement sur les prix.
 
Déjà le cas lors de l’épidémie du Chikungunya 
 
La décision du gouvernement polynésien de réglementer la marge des solutions hydroalcooliques, masques, blouses et des gants médicaux n'est pas originale. Une telle mesure répondant à un cas d’urgence a déjà été temporairement prise. En décembre 2014, lors de l’épidémie de Chikungunya, le conseil des ministres avait déjà procédé temporairement à la réglementation des marges des répulsifs cutanés, moustiquaires de lit, recharges et plaquettes d'insecticides qui avaient connu une éphémère flambée des prix due à des achats massifs pour une épidémie qui avait fait 32 décès. Une mesure temporaire, les insecticides avaient été retirés de la liste huit mois plus tard alors que les moustiques volent encore sur le territoire. Un sort que devrait connaître les produits concernés une fois l'épidémie du coronavirus terminée. 
 
Des gonflements des prix dénoncés de partout
 
En cette période de crise sanitaire, des tensions sont donc apparues sur les prix. Des constats personnels, partagés sur les réseaux sociaux mais également avancés en haut lieu. Le Pape François dénonçait la semaine dernière “les personnes qui, en cette période de pandémie, ont fait du commerce avec les personnes dans le besoin, qui profitent des besoins des autres et les vendent –les mafiosi, les usuriers et bien d'autres”. Réputé pour son libéralisme économique, le président américain Donald Trump n'a pas attendu les sermons papaux pour prendre des mesures fédérales. Quelques jours avant que le Vatican ne s'émeuve, Trump signait un décret visant à sanctionner ceux qui stockent les matériels médicaux pour les vendre plus cher. Une pratique –le “gouging”– qui sera considérée aux Etats-Unis comme un acte contraire à la défense nationale. Un acte de trahison avec les sanctions idoines. Même le fabricant de masques 3M a annoncé le 10 avril dernier attaquer ses distributeurs coupables de revendre ses produits 600% plus chers à New York.
 
Sanctions dures dans le Pacifique Sud
 
Un “anti-gouging” qui n'est pas isolé. Dans le Pacifique Sud, plusieurs pays ont déjà indiqué que de tels comportements de commerçants seront durement sanctionnés. Aux Samoas américaines, le gouvernement a rappelé que la loi interdit des augmentations de prix injustifiées sur des produits alimentaires ou encore les fournitures médicales ou d'urgence. A Fidji, l'autorité compétente a publié un communiqué le 28 mars dernier. Des enquêtes ont été lancées contre les commerces qui avaient pratiqué des hausses significatives du prix des désinfectants et gels pour les mains, masques et savons antibactériens. Un communiqué qui “lance un avertissement sévère aux entreprises qui tentent de faire des bénéfices alors que nos concitoyens sont dans la peur” car l'administration fidjienne “va s'en prendre très durement à vous”, rappelant notamment avoir prononcé quelques jours auparavant une amende de 100 000$ fidjien (environ 4,8 millions de Fcfp) contre un commerçant chopé par la patrouille. Trois jours plus tôt, le ministre du Commerce du Tonga prévenait que les commerçants qui tentaient de profiter de la même façon de la situation verraient leur autorisation d'ouverture être annulée du fait d'un comportement “profondément immoral et irresponsable”.
 
Prix plafonnés en France
 
Des prix donc étudiés à la loupe grossissante, même en métropole. Le gouvernement d'Edouard Philippe s'est également lancé dans le contrôle les prix des gels hydroalcooliques. Une mesure plus qu'exceptionnelle puisque la liberté des prix y est la règle et la pratique. La législation française prévoit en effet que le gouvernement peut prendre “des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé” pour lutter “contre des hausses ou des baisses excessives de prix”. Un décret a été pris en ce sens dès le 5 mars, soit une douzaine de jours avant le confinement métropolitain. Il plafonne les prix de gros et de détail des flacons hydroalcooliques. Dans les magasins et officines, cela coûtera au maximum 360 Fcfp (3€) pour un flacon de 100 ml, ou encore 1 800 Fcfp (15€) le litre par exemple. Des prix qui laisseraient rêveurs les consommateurs polynésiens. Le non-respect de ces plafonds s'accompagnera pour les contrevenants d'une amende de 900 000 Fcfp, montant à multiplier par le nombre de produits vendus. 
 
Farce de dissuasion en Polynésie
 
Si la sévérité prévaut en France et dans le reste du Pacifique, l’exécutif polynésien, pourtant enclin à citer le Pape François, semble ne pas avoir emprunté la voie la plus dissuasive. En Polynésie, la possibilité de fixer les prix en cas de circonstances exceptionnelles existe également. Le gouvernement a pourtant opté, par habitude, pour une limitation de la marge de commercialisation à 30% des matériels médicaux concernés. Une pratique de limitation de la marge qui n'a, comme la relevait Tahiti Infos par ailleurs, pas empêché la flambée des prix des légumes et de certains articles d'hygiène et d'entretien locaux depuis le début de l'épidémie. Le non-respect de la marge maximale prendrait des semaines à constater, le temps pour les agents en télétravail d'obtenir des factures auprès de services comptables quasi en sommeil. Au bout du bout, une sanction possible de 178 000 Fcfp, sans commune mesure avec les gains potentiels réalisés entre-temps.

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 13 Avril 2020 à 20:08 | Lu 6464 fois