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​Les tarifs du CHPF menacés d’illégalité


Tahiti, le 8 février 2022 - Dans le cadre de litiges entre compagnies d’assurance et la CPS, le tribunal administratif de Papeete a été amené à examiner la légalité des tarifs majorés, pratiqués par le Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) à l’encontre des non-ressortissants de la CPS, dont ceux relevant de la Sécurité sociale. Le rapporteur public a relevé que cette différenciation, très importante, n’était pas fondée et a conclu à l’illégalité des tarifs concernés. La décision du tribunal, attendue pour le 1er mars prochain, pourrait avoir des incidences non négligeables sur le système de santé polynésien.

Tout est parti d’une simple question, mais la réponse qui sera donnée par le tribunal administratif le 1er mars prochain pourrait mettre à mal tout l’équilibre, déjà précaire, du système de santé polynésien. Saisie d’un contentieux entre plusieurs compagnies d’assurance et la CPS sur le remboursement de frais médicaux dans le cadre d’un litige, le tribunal de première instance a appuyé sur la touche Pause. Le temps d’une “question préjudicielle” posée au tribunal administratif, voisin de quelques mètres. Une question qui cache en fait une triple interrogation. Pourquoi les non-ressortissants de la CPS, principalement les fonctionnaires d’État relevant de la Sécu ont-ils à supporter au CHPF un tarif “à la fois supérieur au tarif appliqué aux ressortissants de la CPS, supérieur aux dépenses effectivement exposées par la CPS à travers sa dotation globale, et supérieur au coût réel et donc supérieur au préjudice subi”. Un questionnement multiple issu d’une lente dérive dans la tarification du CHPF pour financer le système de santé.
 
Des tarifs multipliés par 4 en 4 ans
 
Depuis 1998, la CPS verse une dotation forfaitaire globale destinée à couvrir les frais d’hospitalisation de ses assurés. Pour ceux relevant de la Sécu, il est par contre toujours prévu une “facturation spécifique” individuelle à la journée. Une double tarification qui a fait le grand écart à partir de 2010. Le CHT de Mamao devenant un CHPF plus gourmand en frais de fonctionnement, il a fallu un moyen d’équilibrer les comptes. La CPS n’ayant pas modifié le montant de sa dotation, les non-ressortissants ont été appelés, bien malgré eux, à la rescousse pour renflouer les caisses de l’hôpital public. Des hausses de 40 à 50% des tarifs ont ainsi été actées par le conseil des ministres pendant plusieurs exercices consécutifs. Ainsi, entre 2011 et 2014, le prix de la journée d’hospitalisation en pédiatrie, en ORL et en chirurgie a été multiplié par trois ou par quatre pour les ressortissants de la Sécu. Une aberration déjà relevée à plusieurs reprises par la Chambre territoriale des comptes sans que cela n’émeuve les autorités de santé polynésiennes.
 
Le CHPF incapable de justifier ses tarifs
 
Une politique de prix majorée pas vraiment légale selon le rapporteur public du tribunal administratif, qui a rappelé que le tarif journalier “doit être déterminé, de manière classique, en fonction du coût global du service”. Une exigence qui impose de disposer de quelques informations comptables et de les analyser correctement afin de faire ressortir précisément le coût de chaque acte facturé. Or, comme l’a relevé le magistrat, “le CHPF et la CPS n’ont apporté aucun élément permettant de préciser le coût du service, le CHPF indiquant n’avoir “pas été en mesure de le faire dans le temps qui lui est imparti par la procédure”, alors pourtant qu’un tel calcul est censé être fait préalablement à chaque fixation de tarifs (…)”. Une incapacité qui conduit à considérer que les tarifs contestés sont surévalués par rapport au coût de l’hospitalisation.
 
Différenciation non fondée
 
Autre problème et non des moindres, la rupture d’égalité entre les patients compte tenu de “l’importante différence tarifaire” entre les deux catégories d’assurés. Si la différenciation tarifaire est possible en droit, elle ne peut être envisagée qu’en cas de “différences de situation appréciables” ou d’une “nécessité d’intérêt général”. Or, un fonctionnaire d’État anesthésié en bloc opératoire ou alité dans sa chambre d’hôpital n’est pas plus difficile à traiter qu’un patient relevant de la CPS. Le rapporteur a ainsi considéré qu’il n’y avait “aucune différence de situation de nature à justifier l’établissement de tarifs différents pour l’hospitalisation”. Quant à la notion d’intérêt général, le CHPF plaide la nécessité de préserver l’équilibre financier du système de soin. Un argument là encore vite balayé par le magistrat qui a conclu que les considérations purement budgétaires, liées principalement à l’insuffisance de la dotation versée par la CPS, ne pouvaient être retenues. L’égalité des soins doit ainsi conduire à l’égalité des charges supportées par chacun. Un raisonnement qui conduit ainsi à conclure que “les tarifs excèdent le coût du service et méconnaissent le principe d’égalité entre les usagers du service public” et doivent donc être considérés comme illégaux.
 
Un financement du système de santé à repenser
 
Si, dans le cadre du litige entre assureurs et CPS, le rapporteur public a conclu à l’annulation des seuls tarifs du CHPF établis pour 2014, il n’en demeure pas moins que la décision du tribunal administratif, qui est attendue pour le 1er mars prochain, a des implications bien au-delà. Les tarifs des années suivantes, dont ceux applicables en cette année, ont en effet été bâtis autour de la même différenciation tarifaire manifeste. L’arrêté du 27 janvier 2022 rendant applicables les tarifs du CHPF pour l'exercice 2022 serait annulé de la même manière en cas de contestation. Les conséquences sur le financement du système de santé polynésien serait alors non négligeable selon Me Millet, avocat d’une des compagnies d’assurance (voir encadré) qui évoque “un problème connu des autorités depuis plus de dix ans mais qui est ignoré parce qu’il gène”. Si la Sécurité sociale n’était plus la vache à lait du système de santé polynésien, l’effort de financement serait alors reporté sur la CPS ou le Pays. Et les finances de l’organisme et de la collectivité ne s’y prêtent pas à l’heure actuelle.
 

Me Thibaud Millet : “En 2022 on ne sait même pas combien coûte une hospitalisation au CHPF”

Va-t-on vers un big-bang du système de santé à compter du 1er mars ?

“Clairement. Si on tire les conséquences d’une annulation de principe (…) par rapport au fait que les tarifs sont largement supérieurs au coût réel, on devrait remettre en cause tous les tarifs d’hospitalisation depuis 2014 et notamment le tarif actuel. Cela veut dire que l’hôpital aurait une perte très importante sur la prise en charge de ses frais d’hospitalisation par la Sécurité sociale métropolitaine et cela susciterait nécessairement un autre levier de financement, soit un financement public exceptionnel (…), soit une augmentation de la dotation CPS. Comment la CPS pourrait financer une augmentation de sa dotation alors qu’elle n’a pas augmentée depuis dix ans et qu’elle n’a pas l’air en capacité de le faire ? Cela pose un vrai problème de financement de la Santé publique, un problème qui est connu des autorités depuis plus de dix ans mais qui est ignoré parce qu’il gène. Il pose des difficultés à celui qui va devoir résoudre ce problème.”
 
Qu’est-ce qui pourrait déclencher la réforme ?

“Celle qui a le plus intérêt à agir, c’est la Sécurité sociale métropolitaine qui paye depuis bientôt 10 ans un surcout, 3, 4, ou 5 fois plus par rapport à ce qu’elle devrait payer. Il y a des milliards en jeu pour la Sécurité sociale. L’État avait dit “stop” en 2014, je ne sais pas si la Sécurité sociale métropolitaine est complétement informée de la situation.”

Ce problème est notamment dû au fait que le CHPF est incapable d’estimer les coûts de revient de chaque acte ?

“C’est la première difficulté. Aujourd’hui, on parle un peu dans le vide parce que l’on ne sait même pas combien coûte une hospitalisation au CHPF en 2022. Quand on évoque cette difficulté, et cela fait dix ans qu’on la dénonce, on ne nous répond pas. Rien n’est fait, il n’y a pas d’études, de tentatives de rationalisation pour pouvoir déterminer ce coût. Ça va être la première étape pour savoir où on va, de quelle source de financement, de quel montant de financement on a besoin.”
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 8 Février 2022 à 19:30 | Lu 3852 fois