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​Le coup de gueule des foyers d'accueil


Tahiti, le 3 mai 2022 – Quelques jours après l'organisation d'une consultation "élargie" des acteurs privés et publics par le gouvernement pour définir une nouvelle politique publique de la famille à l'horizon "2022-2027", la Fédération des organismes socio-éducatifs (FOSE) qui gère les 15 foyers associatifs accueillant 452 personnes pour 170 salariés au fenua tape du poing sur la table. La fédération refuse un nouveau "retour à zéro" avec l'élaboration d'un énième diagnostic et appelle à appliquer des solutions déjà largement identifiées ces dernières années.
 
La coupe est pleine pour la Fédération des organismes socio-éducatifs (FOSE). Créée en 2016 pour structurer, développer et défendre les 15 établissements associatifs œuvrant dans le domaine de "l'action sociale et éducative en faveur des publics en difficulté", la fédération vient aujourd'hui taper du poing sur la table pour dénoncer les errements des pouvoirs publics ces dernières années. Gérés par la société civile depuis 25 ans, après avoir repris le plus souvent des structures religieuses ou privées créées il y a un demi-siècle, les foyers socio-éducatifs administrés depuis six ans par les bénévoles de la FOSE représentent aujourd'hui 452 personnes accueillies pour 170 salariés.
 
Qu'il s'agisse d'Emauta, de Te Pare, de Te Aho Nui, du Village d'enfants SOS… les foyers sont dépendants des subsides publics, mais ils se heurtent surtout à des problèmes de gestion de personnels récurrents : travail de nuit, astreintes, personnel non formés. Les plus capés et ceux qui arrivent à décrocher un concours de la fonction publique fuient ces structures pour une meilleure place dans l'administration ou finissent par changer complètement de métier devant la tâche à accomplir et la rudesse des conditions de travail. Le "turn-over" du personnel est un véritable casse-tête, dans un secteur où la réglementation peine à se mettre en place.
 
Le refus du "retour à zéro"
 
Le déclencheur le plus récent de ce ras-le-bol ? Une consultation organisée la semaine dernière par la nouvelle ministre en charge des Solidarités, Virginie Bruant, pour "définir la politique publique de la famille en Polynésie française pour les cinq prochaines années (2022-2027)". Confessions religieuses, services publics et partenaires associatifs ont été conviés, mais seulement pour une petite poignée de la quinzaine des foyers socio-éducatifs et sans la FOSE. La fédération s'est manifestée, mais pour annoncer son boycott de la réunion. La FOSE ne souhaitant pas cautionner une "reprise à zéro" d'un diagnostic déjà effectué par le passé. Notamment, la fédération cite la conférence de la famille de 2016 qui avait débouché à l'époque sur un "plan d'orientation stratégique pour la mise en œuvre d'une politique publique pour la famille". Un document de travail avec des actions par type de public, un diagnostic et des propositions.
 
Sauf qu'en six ans, les choses n'ont pas beaucoup avancé, dénoncent aujourd'hui le président de la FOSE, Eddie Cowan, et son bureau. "Faire un bilan d'étape oui, mais repartir sur une consultation élargie pour refaire un diagnostic, non", regrette le président de la fédération. Et pour Eddie Cowan, la raison de cet immobilisme est évidente : "C'est la multiplicité des ministres qui a fait qu'on a repris les dossiers à zéro à chaque fois". La fédération énumère les différents interlocuteurs de ces dernières années –Tea Frogier, Jacques Raynal, Isabelle Sachet et aujourd'hui Virginie Bruant– et regrette que certains d'entre eux aient choisi "plutôt que de rassurer les professionnels du secteur, de faire du rentre-dedans". Les pouvoirs publics détenant les cordons de la bourse.
 
Un problème "qualitatif"
 
"Cela fait 25 ans que les associations existent, où l'on trouve toujours les mêmes personnes. Et chaque année, avec les bilans financiers, il y a toujours un bilan moral et un rapport d'activité, des constats et des propositions. Sauf que manifestement, personne ne les lit. C'est vrai que c'est en dernière page", déplore Eddie Cowan… Un rendez-vous a pourtant été pris avec la nouvelle ministre et la direction du travail pour ce vendredi. La FOSE en attend évidemment une oreille attentive, mais surtout des avancées concrètes pour le secteur avant la fin de la mandature d'ici un an.
 
D'autant qu'au sein des foyers d'accueil, la situation ne s'améliore pas. "Le problème n'est pas quantitatif, il est qualitatif", explique un gérant de ces structures d'accueil. Des mineurs victimes sont contraints d'être placés dans les mêmes centres que des mineurs auteurs d'infraction, des publics relevant de la psychiatrie en côtoient d'autres en besoin de reconstruction. La plupart des foyers pointent du doigt un manque de structures fermées, mais refusent catégoriquement que ce type d'établissements cohabitent au sein de leurs structures ouvertes. "Ce ne sont pas nos missions, ce ne sont pas nos compétences", explique-t-on au sein des foyers.
 

​Eddie Cowan, président de la FOSE : "On a repris les dossiers à zéro à chaque fois"

La FOSE a refusé de participer la semaine dernière à la consultation du Pays pour la politique de la famille, pourquoi ?
 
"Pour plusieurs raisons. La première, c'est que les employeurs n'ont pas été informés de cette invitation. On a eu l'impression que les invitations ont été lancées dans l'urgence à certains directeurs d'établissements. La deuxième, c'est qu'à notre sens il y a d'autres priorités que nous entendons repréciser à madame la ministre dans une prochaine rencontre."
 
Vous avez l'impression que l'on repart sur un diagnostic pour ne pas traiter un problème qui a déjà été identifié ?
 
"Oui, tout n'a pas été réglé. Je pense qu'il faut remettre ces assises et ces séminaires sur la table de manière à diagnostiquer ce qui a été fait ou pas, et pouvoir avancer ainsi par étape. Donc faire un bilan d'étape de ces ateliers. Mais là, on repart sur une consultation élargie aux associations familiales et aux associations multiples et diverses."
 
Qu'est-ce qui n'a pas été fait depuis le plan d'orientation pour la politique publique de la famille réalisé en 2016 ?
 
"Pas grand-chose… Je ne sais pas trop quoi répondre… C'est la multiplicité des ministres qui a fait qu'on a repris les dossiers à zéro à chaque fois."
 
Il y a un problème dans la continuité de ce portefeuille qui est passé de Jacques Raynal à Isabelle Sachet puis aujourd'hui à Virginie Bruant ?
 
"J'ai l'impression, oui. Et puis sans doute aussi, pour la période Isabelle Sachet, un manque d'information sur le secteur et ses activités du côté du cabinet. Un manque de prise de connaissance des dossiers. Parce qu'à chaque fois plutôt que de rassurer les professionnels du secteur, on a fait du rentre-dedans. Ça a commencé avec Tea Frogier, qui ne connaissait quasiment pas le financement du secteur et avait dit : vous êtes budgétivore, vous avez beaucoup d'argent de toute manière. Ça a été compliqué, on a alerté la présidence du gouvernement et les choses se sont calmées. Isabelle Sachet, ça a été la même chose. On a fait du rentre-dedans pour taper dans la fourmilière et puis après on se rend compte que le secteur, il transcende les gouvernements depuis 25 ans… Les derniers ateliers organisés il y a une à deux semaines, c'était une invitation élargie aux associations de familles dans l'urgence et à trois établissements sur une douzaine…"
 
En 2016, quelle était la situation et pourquoi y avait-il eu cette conférence de la famille ?
 
"À l'époque, il fallait d'abord comprendre le phénomène de délinquance. Pourquoi la délinquance avait grimpé. Et ensuite, il s'agissait de saucissonner la question pour savoir comment l'on pouvait agir au niveau de la famille, au niveau du jeune, avec quelle palette d'intervention possible."
 
Quels sont les problèmes communs dans le fonctionnement des établissements socio-éducatifs et des internats des associations membres de la FOSE ?
 
"C'est d'abord de lutter contre le turn-over du personnel. Les éducateurs, les moniteurs, les éducateurs spécialisés, on n'arrive pas à les fidéliser. Dès qu'il y a une opportunité ailleurs, ils filent vers la DSFE, dans l'administration, voire vers d'autres métiers. Pourquoi ? Parce que le personnel est très mal reconnu et que les gens sont rémunérés différemment selon les associations. Ensuite, une des particularités des internats, c'est la prise en charge permanente –24/24h et toute l'année– des populations accueillies. C'est d'organiser et de structurer cette prise en charge permanente, pour tenir compte aussi des prises en charge qui doivent forcément être individualisées. Et pas comme à l'usine, avec des quarts de huit, mais avec une véritable approche éducative."
 
On nous explique dans vos foyers, que si la situation ne se dégrade pas quantitativement en nombre de personnes à prendre en charge, elle se dégrade qualitativement dans les foyers. C'est-à-dire ?
 
"Effectivement, parce que les symptômes et les comportements ont évolué. Ce qui est beaucoup lié aux addictions, quelles qu'elles soient, et aux comportements de non respect, voire de révolte à l'encontre d'un cadre et des institutions. C'est quelque chose qui est nouveau. Il y a beaucoup plus de profils psychiatriques et quelquefois les prises en charge ne peuvent pas se faire en internat, avec une pluralité de profils et de situation. Manifestement, il y a des structures à inventer qui n'existent pas. Des unités fermées parfois. Et ça, nous, on ne peut pas le faire au titre des associations et de nos internats…"
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 3 Mai 2022 à 21:07 | Lu 3151 fois