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​Le Tavini à la recherche de sa boussole


Tahiti, le 29 mai 2024 - Le Tavini a presque tout. Le gouvernement, l’assemblée, trois députés. Pourtant, la communication passe de plus en plus mal dans les rangs bleus, à l’image des propos tenus par Tony Géros mardi envers le chef de l’exécutif local. Après le bilan d’un an de gouvernance Brotherson, voici celui d’une année au sein du Tavini… Une année bien compliquée.
 
“C’est vrai qu’il est toujours plus facile de rester soudés lorsque l’on est dans l’opposition que lorsque l’on est au pouvoir”, confiait cette semaine une représentante du Tavini huiraatira alors que le parti semble partir dans tous les sens, un an après avoir remporté les territoriales et près de deux ans après des législatives victorieuses.
 
Sans division nette, le bloc bleu ciel ne cesse pourtant de s’effriter et l’éviction de la vice-présidente Éliane Tevahitua, une pièce maîtresse de l’échiquier du Tavini, marque là encore un tournant dans les relations internes d’un parti que le leader indépendantiste, Oscar Temaru, semble en peine de rassembler.
 
Cette lente érosion des relations au sein du parti a pris naissance lors de la candidature surprise de Moetai Brotherson à la présidence du Pays aux élections territoriales. Une candidature qu’il a fallu gérer et que Tony Géros ne semblait pas avoir vu venir. Pour le bras droit d’Oscar Temaru, ce sera finalement la présidence de l’assemblée de la Polynésie française tandis que le beau-fils remplaçait l’ex-beau-fils de Gaston Flosse, Édouard Fritch. De père en beau-fils, la présidence de la Polynésie française n’est finalement qu’une histoire de famille.
 
Rapidement, les premières piques sont lancées alors que des incompréhensions germent. Et ça commence avec la nomination du gouvernement, une “dream team” pas assez bleue au goût d'Antony Géros avec seulement quatre ministres sur dix “inféodés au Tavini”. Ça continue avec le refus du président Brotherson de siéger à la commission de décolonisation que Tony Géros s'est empressé de créer à Tarahoi. Ou encore les critiques de Géros et Temaru envers le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, alors que le président du Pays passait chacune de ses journées en sa compagnie lors de sa visite au Fenua et qu’était vantée “l’entente cordiale” entre le Pays et l’État.
 
Dans les faits, la majorité à Tarahoi est soudée derrière le président du Pays. Un vote de confiance assis/debout a même été imaginé au débotté pour l’ancrer récemment. Les textes sont discutés, sont votés, à l’image de la suppression de la taxe CPS (contribution pour la solidarité), non sans un certain agacement à peine voilé de Tony Géros qui en attend plus du gouvernement.

L’assemblée s’en mêle

Le Tavini, privé des commandes du Pays depuis 2013, n’avait pas habitué ses militants à ces points de tension, où alors ces derniers étaient-ils évacués dans le feutré. L’exercice du pouvoir, toujours lui, a ainsi provoqué de nombreux remous lors de la nomination par Moetai Brotherson de Yan Jambet à la tête de l’OPH.
 
Autre tête, celle de Hinamoeurea Cross qui, par sa volonté de dépasser un peu du rang, s’est vu couper les ailes et sa présidence de commission, après la présentation de son texte sur la limitation des mandats des élus. Une promesse de campagne, certes, mais qu’il n’était plus prioritaire de tenir une fois aux manettes.
 
Et que dire du dossier de la tour des juges à Teahupo’o. Nahema Temarii qui s’enlise dès sa prise de fonction sur ce dossier, immédiatement contredite par le président du Pays. Puis l’assemblée qui s’en mêle et s’emmêle.

Les tensions fiscales

En septembre 2023, après une séance à l’ONU qui aura laissé entrevoir la multiplicité des discours pour une même demande d’indépendance, de la plus théâtrale avec le député Steve Chailloux, à la plus réfléchie avec Moetai Brotherson, c’est un premier texte fiscal qui mettra le feu aux poudres à Tarahoi, trois mois avant le fiasco de la loi fiscale 2024 et son annulation par le Conseil d'État.
 
Le vote du texte porté par Gaston Tong Sang et Élise Vanaa visant à multiplier par quatre la taxe de séjour et la taxe de séjour forfaitaire au profit des communes. L’assemblée a soutenu cette proposition en commission, sous l’impulsion de Tony Géros et malgré les suppliques du ministre des Finances, Tevaiti Pomare, qui en demandait le report afin de préparer son propre train fiscal qui devait proposer une réforme globale de la fiscalité dans le secteur du tourisme.
 
“L'exécutif est là pour exécuter les décisions de l'assemblée (...) c'est le Tavini qui est aux affaires du Pays, nous avons 38 élus, c'est nous qui prenons les positions politiques”, avait lâché un mois plus tôt le président de l’assemblée, Tony Géros. Des mots qui allaient donner le ton de la fin d’année. Et si le message n’avait pas été assez clair, il le répétera lors de la séance d’ouverture de la session budgétaire en réactivant la commission de contrôle des dépenses publiques. “L'idée générale est de redonner de l'énergie et de l'utilité à cette commission de manière à donner un sens innovateur à votre mission, à vous élus du peuple, qui avez en charge le contrôle de l'action du gouvernement”, avait-il déclaré.
 
Par excès de contrôle, la commission des finances de l’assemblée plantera la loi fiscale du budget primitif 2024 du gouvernement en la votant deux fois et laisse désormais ce dernier se dépatouiller des conséquences. À nouveau votée, elle fait en effet l'objet de nouveaux recours au Conseil d'État portés par l'opposition et le Medef. Une loi fiscale carrément inutile et même contre-productive pour Tony Géros. “C'est une perte de temps et d'énergie. Amenez-nous du costaud, et surtout du prioritaire”, a-t-il encore martelé pas plus tard que ce mardi, indiquant attendre “ce qui est intéressant pour la population”, comprendre la cherté de la vie. (lire interview). La majorité provoquera aussi l’incompréhension sur le dossier Unesco des Marquises.

Déboussolés

Aujourd’hui, le Tavini semble errer sans boussole. Quand l’exécutif, sous l’impulsion de Moetai Brotherson, part au nord, l’assemblée, dictée par Tony Géros, part au sud. Pendant ce temps, le parti signe avec une ONG fantoche d’Azerbaïdjan et les députés à Paris font de l’excès de zèle : “Une erreur de jeunesse”, commentera laconiquement Oscar Temaru qui semble ignorer le travail législatif parisien de ces jeunes pousses, qui ont tenté, sans consultation, un cavalier législatif pour modifier le statut du Pays en plein vote tendu sur la Nouvelle-Calédonie.
 
S’il est normal, et démocratique, que l’exécutif local, le législatif local, les députés et le parti travaillent chacun de leur côté, la Polynésie a rarement vu autant de manifestations de contestation, voire de négation, de l’avis du chef.
 
Et d’ailleurs, quel chef ? Moetai Brotherson, chef du gouvernement ? Tony Géros, chef de l’assemblée ? Ou Oscar Temaru, chef du Tavini ?
 
Le symbole d’une démocratie qui va bien ou d’un parti qui va mal ?

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 29 Mai 2024 à 18:29 | Lu 4653 fois