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​La CTC pointe la fragilité du système de santé polynésien


PAPEETE, 9 septembre 2019 - Problèmes de coordination de l’offre de soins, dépenses publiques importantes et en augmentation, retards dans la mise en œuvre du schéma d’organisation sanitaire… la Chambre territoriale des comptes pointe la fragilité du système polynésien de santé dans son dernier rapport d’observations définitives.

La Chambre territoriale des comptes s’intéresse à la politique de santé publique en Polynésie française de 2014 à 2018, dans son dernier rapport d’observations définitives.

Les sept recommandations que formule la juridiction financière prônent une amélioration du mode de pilotage d’un système de santé jugé largement perfectible, en proie à des problèmes d’organisation et de coordination dans un contexte d’augmentation constante de ses coûts.

"Conformément à la définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé, le Pays ne veut pas appréhender la santé comme une simple absence de maladie ou d'infirmité, mais comme un état de bien-être physique, psychique et social", note la CTC. Pourtant, selon elle, "cela supposerait une organisation et une coordination des acteurs publics et privés qui est aujourd'hui loin d'être optimale".

En 2017, 269 652 bénéficiaires étaient pris en charge dans le cadre de la Protection sociale généralisée (PSG), tous régimes confondus. Cela représentait 97% de la population polynésienne avec un coefficient de couverture de 3,8 personnes pour un cotisant (salarié dans 84% des cas).

Les dépenses globales de santé représentaient, en 2015, un montant total de 79,4 milliards de Fcfp, en augmentation de 3% par an et insuffisamment financées. La branche maladie de la PSG demeure dans une situation de déficit tendanciel, malgré la création du FADES en 2012, pour amortir le déficit historique 14,8 milliards des dépenses de santé constaté en 2010.

​Système jacobin

L’offre de santé gravite en Polynésie autour du plateau technique du centre hospitalier du Taaone, avec ses 275 praticiens et sages-femmes, ses 459 lits en médecine et chirurgie obstétrique (MCO), ses 83 places en psychiatrie et ses 22 postes de dialyse. Le revers de cette situation est un taux d’activité de 84,3% en MCO avec un délai moyen de séjour 6,3 jours.

Face à ce constat, la CTC estime qu’en "l’absence de parcours de santé fluide pour les patients, l'absence d’alternative en amont et en aval des phases d’hospitalisation risque de paralyser, à très court terme, le fonctionnement du CHPF qui se retrouve, de fait, dans l’obligation de répondre à l’ensemble des besoins de santé. Par conséquent, son taux d’occupation ne lui permet plus de prendre en charge le cœur de sa mission qui est le traitement de la phase aiguë des hospitalisations, justifiant un coûteux plateau technique. Les moyens sont donc, au global, mal organisés et coordonnés, ce qui contribue à un niveau de dépenses de santé élevé".

Cette gestion, de fait jacobine, du système de santé est d’autant plus étonnante pour la CTC que la Polynésie compte diverses unités périphériques capables de prendre en charge une partie de l’activité aujourd’hui assurée par le CHPF : sept centres spécialisés en santé publique, 20 centres dentaires, 13 centres médicaux, 17 dispensaires, 22 infirmiers, 43 postes de secours, quatre Hôpitaux périphériques, soit 119 lits répartis entre à Taravao, Moorea (Afareaitu), Uturoa et Taiohae aux Marquises.

A quoi, il faut ajouter les trois cliniques privées que sont Cardella (76 lits), Paofai (98 lits) et le centre médical de Mamao. Reste un effectif de 289 médecins libéraux inégalement répartis sur le territoire, avec une forte concentration (220) aux îles du Vent, créant des déserts médicaux dans le reste de la Polynésie. De même, la densité des infirmiers sur la zone 5 (Maiao, Maupiti, Tuamotu, Gambier, Marquises, Australes) est de 223 professionnels pour 100 000 habitants alors qu’elle est de 410 sur la Polynésie française et de 938 en France métropolitaine.

​Stratégie insuffisamment mis en œuvre

Pour la CTC, "la crise de la répartition médicale rend impérieuse la coordination de la filière de santé. Tel n'est malheureusement pas le cas en Polynésie française où celle-ci apparaît insuffisamment organisée, avec des acteurs intervenant, au mieux sans se coordonner, au pire de façon concurrente."

Si la formalisation de la stratégie dans le cadre du Schéma d’organisation sanitaire (SOS) 2016 - 2021 est positive, celle-ci est, fin 2018, à mi-parcours, insuffisamment avancée. La Chambre considère que cette situation résulte à la fois d'une multiplication des documents programmatiques, mais également d’un pilotage diffus, ne relevant pas d’un responsable unique désigné.

En l'absence d’engagement financier précis figurant dans les documents stratégiques, "c’est dans le cadre du processus budgétaire annuel que les crédits sont alloués par l’exécutif, dans une logique, de fait, concurrentielle", note la CTC à propos de la mise en œuvre de la stratégie quinquennale adoptée par le Pays pour son système de santé. "Dans ces conditions, la réalisation de la stratégie n’a pu que s’étaler dans le temps. Cette situation illustre l’extrême difficulté pour le Pays à porter une politique transversale et interministérielle, mobilisant les opérateurs institutionnels dans une autre logique que l’approche verticale."

La chambre estime à ce propos qu’une évaluation à mi-parcours du SOS est plus que nécessaire, "à la fois s’agissant du contenu, des moyens financiers à affecter et du pilotage par une structure unique. Cette évaluation doit également être l’occasion de renforcer les mesures nécessaires à l’optimisation de la gestion des effectifs."

Les recommandations

Recommandation n° 1 : Formaliser en 2019 une procédure de validation du contenu des plans stratégiques par le Conseil des ministres assortis, dès leur validation, des moyens financiers.

Recommandation n°2 : Identifier, le plus rapidement possible et au plus tard en 2019, la structure unique en charge du suivi de l’ensemble des axes du Schéma d'organisation sanitaire.

Recommandation n°3 : Mettre en oeuvre, de manière urgente, une politique de ressources humaines et de recrutement opérationnelle permettant de se doter des compétences médicales et paramédicales pérennes.

Recommandation n°4 : Formaliser en 2019 un plan pluriannuel d’investissement du patrimoine.

Recommandation n°5 : Recourir, dès 2019, à l'expertise spécialisée permettant d’auditer et de définir le besoin préalablement au déploiement de l’espace de santé numérique polynésien.

Recommandation n°6 : Procéder en 2019, à une évaluation à mi-parcours du SOS.

Recommandation n°7 : Formaliser pour 2020 au plus tard une procédure pluriannuelle d’encadrement par l’assemblée de Polynésie française des dépenses et des recettes de santé du Pays issues des cotisations sociales et de recettes fiscales existantes à redéployer.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 9 Septembre 2019 à 17:30 | Lu 3434 fois