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​L’éveil culturel dès l’enfance aux Marquises


Ua Pou, le 3 avril 2023 - Aux Marquises, les occasions de s’immerger dans leur culture se multiplient pour les enfants et leurs parents. Grâce à l’initiative conjointe du directeur du CSP de Hakahau, Stéphane Mahuta et du chanteur Rataro, les forces s’unissent pour faire face à la mondialisation et redonner vie aux traditions ancestrales dès le plus jeune âge.

À l’heure où l’on assiste à une uniformisation de masse planétaire, certains bastions de résistance tiennent bon. À Ua Pou, l’année scolaire 2021-2022 a été celle du lancement du projet Haa Enana voué à prendre place tous les ans sur l’île, avec une possible extension aux autres îles de l’archipel.

Cet événement s’inscrit dans un projet pérenne d’école du savoir marquisien –l’école Tuhuna, dont le fondateur n’est autre que le chanteur Rataro–, qui multiplie les opportunités pour les plus jeunes d’accéder aux connaissances des anciens, notamment dans les domaines du chant, de la danse, des percussions et du ukulele mais également dans ceux de la sculpture, de la navigation, du tressage, de la préservation du savoir sur la pharmacopée locale ou encore des tuaro maohi.
 
L’événement Haa Enana, qui s’apparenterait à un mini Matava’a des écoles, a pris place l’année scolaire dernière dans toutes les vallées de l’île de Ua Pou avec la participation active attendue des parents pour la confection des costumes et l’accompagnement de leur progéniture dans ce grand bain culturel, artistique et sportif.
 
Alors que l’on tire la sonnette d’alarme sur la démission de certains parents dans l’éducation de leurs enfants dès le plus jeune âge, cette initiative a pour mission de poser un cadre culturel, certes, mais aussi social et comportemental. L’initiative se veut aussi encourageante et vectrice de confiance en soi en mettant les enfants dans une situation de réussite –en opposition directe avec de possibles difficultés à l’école– en créant un micro-climat rassurant et confortable ou la compréhension et l’inclusion sont maîtres-mots.
 
Le projet avait pour ambition de concerner 400 enfants, une douzaine de membres du corps enseignant, une vingtaine de bénévoles et volontaires, environ 300 parents d’élèves et un public de 800 personnes réparti sur l’année, ambition largement atteinte avec en apothéose la dernière édition 2022 qui a eu lieu dans la vallée de Hakahetau avec quelques centaines de participants.
 

Stéphane Mahuta, directeur du CSP de Hakahau : “C’est primordial au plus jeune âge de jouer dans sa langue”

Directeur du CSP depuis 2020, c’est du côté paternel qu’il va apprendre l’amour de la culture tahitienne. De la langue d’abord, mais aussi de la culture, car avec son père, ils font tout en tahitien jusqu’à travailler au fa’a’apu en suivant les phases de la lune, comme les anciens.

Titulaire d’une licence en reo Tahiti qu’il obtient dans les années 80, ce sera le combat de sa vie professionnelle de défendre la culture polynésienne et de la promouvoir partout où il travaillera, car son constat est que dans les années 80, à Papeete, c’est déjà trop tard.
 
Lors de son affectation aux Tuamotu en 1998, il incite les élèves à parler paumotu dans la cour de récréation. “C’est primordial au plus jeune âge de jouer dans sa langue”, explique-t-il. Et il reste fidèle à ses convictions quand il arrive à Ua Pou pour l’année scolaire 2020-2021. “J’étais intéressé par ce poste car c’était un recrutement par entretien et que la thématique concernait un enseignement bilingue, français-marquisien”.

“Très vite, je me suis rapproché de Rataro, comme véritable personne ressource pour la culture sur l’île –et la culture marquisienne en général– et je lui ai demandé de donner des cours de ukulele. Actuellement, pendant la pause méridienne les lundis, mardis et jeudis, il est possible pour les demi-pensionnaires d’assister à des cours de chants, de danse, de musique (ukulele et pahu [ndlr percussions]). Ce qui fait 3 heures par semaine d’immersion culturelle en plus du programme d’école bilingue”, explique-t-il. “Mercredi après-midi également, les internes vont au Hae Vaka de Hakahau, à l’école Tuhuna, dirigée par Rataro, pour une entrée en matière en sculpture, tressage, en chant et percussions avec des intervenants extérieurs”.
 
Les deux compères ont ensuite commencé à gamberger sur une idée de petit festival des écoles, car selon Stéphane, “au niveau maîtrise de la langue, il n’y a pas photo entre les enfants de Hakahau et les enfants des vallées. Les premiers se désintéressent complètement alors que dans les vallées, les traditions sont encore transmises de génération en génération”. Aussi, depuis son arrivée en 2020, le CSP organise une journée portes ouvertes de fin d’année, qui se déroule entièrement en eo enana.
 
“En fait, ma grande finalité dans tout ça, mon but véritable, est de faire venir les parents dans l’école, pour accompagner leurs enfants dans leur scolarité. Nous constatons un manque d’implication des parents, surtout à Hakahau, même si ça s’améliore depuis ces dernières années” dit-il.
 
Enfin, dans cette veine et au programme dans les jours qui viennent, la Journée du Mei (uru) du 4 mai, qui est un projet de circonscription. “C’est une journée cohésion avec toutes les îles des Marquises. Sur chaque île, toutes les écoles vont se retrouver sur une vallée, –ici, ça sera à Hakahau. À 8 heures nous ferons un flashmob ou plutôt haka katahi comme j’aime à l’appeler. Et le soir également, nous clôturerons la journée sur une danse commune. Chaque île déroule ses événements comme elle le veut, la ligne directrice est donc de faire des ateliers avec la participation des parents.

Il y aura des danses, un repas communautaire à midi à base de mei, des ventes de plats pour les écoles des vallées et la plantation symbolique d’un pied de mei au site communal Taku’ua. Il me tient à cœur de planter d’autres pieds autour de l’école, pour la communauté également, mais surtout pour améliorer le repas des enfants. L’après-midi se tiendra un concours de tapatapa (orero) et nous sélectionnerons les quatre meilleurs orateurs. Pour les Marquises Nord, la confrontation aura lieu le 11 mai à Ua Pou, suivie d’un concours de la circonscription dont le champion marquisien ira à la Soirée des Lauréats le 16 juin à Papeete”.
 
Stéphane Mahuta rappelle que “le mei a permis à la population marquisienne de survivre à de grandes périodes de disette, notamment grâce au mā (uru fermenté qui pouvait être gardé dans des silos à mā pendant des mois voire des années, ndlr). Il est bon de le rappeler et de célébrer cet arbre de vie”.
 
En fond de ces événements ponctuels dont la fréquence s’intensifie aux Marquises, on retrouve le projet culturel Tuhuna. Basé à Ua Pou et dirigée par Rataro, avec pour base la Ha’e Vaka (école de rame) située sur la plage de Hakahau et les infrastructures qu’elle offre aux plus petits comme aux plus grands, l’école existe depuis 2019 grâce, notamment, au soutien du ministère de la Culture et du Patrimoine dont a la charge Heremoana Maamaatuaiahutapu.
 
Selon Rataro, “les activités culturelles sont des facteurs essentiels de développement psychomoteur et de construction de la personnalité de l’enfant. Ce dernier sera amené à développer des compétences physiques (coordination, habiletés motrices, sensorielles et relationnelles). Il participe à l’appropriation des normes et des valeurs qui fondent la vie sociale –tel que le respect des règles de fonctionnement au sein du groupe–, mais c’est aussi un soutien à la lutte contre le décrochage scolaire. Ces activités aident aussi au développement de l’autonomie et de la créativité, à l’appropriation de savoirs, de compétences et de valeurs”, explique-t-il.
 
“Comme tous les ans, les bénéficiaires du programme Tuhuna édition 2022 ont été des enfants de tous niveaux confondus : maternelle, primaire, collège et lycée. Des évaluations bimensuelles nous ont permis de détecter et d’apprécier l’acquisition des compétences. Tuhuna est un lieu d’apprentissage de la citoyenneté, de solidarité, d’entraide, de travail d’équipe et d’engagement pour les nouvelles générations” continue-t-il.
 
“En fin de compte, c’est un projet d’intérêt général et communautaire. L’objectif final de cette démarche est que les institutions s’approprient le projet car elles ont déjà la structure et la pédagogie pour le faire prospérer à une plus grande échelle.
Il faudrait que ça fasse partie du temps scolaire et non plus du domaine du périscolaire et que les enfants soient à terme notés, comme c’est déjà le cas à Tahiti pour la rame, la danse et le surf. Il semble nécessaire que le ministère de la Culture s’associe à celui de l’Éducation pour qu’une matière culturelle soit vraiment enseignée en classe. Les enfants apprennent aussi les maths à travers le tressage par exemple ; ou encore la mémoire et la grammaire à travers le tapatapa”, conclut-il.
 
Le projet Tuhuna se présente comme un soutien parallèle au système d’éducation classique, comme un pont entre les deux cultures afin de créer un espace d’échange et d’épanouissement pour les jeunes. Enfin, au niveau de l’économie de l’île, ce projet a aussi poussé une vingtaine de personnes à s’investir et à se patenter en tant qu’animateurs culturels, initiative qui pourra également servir à l’avenir pour introduire les visiteurs de l’île aux traditions marquisiennes.
 


Rédigé par Eve Delahaut le Lundi 3 Avril 2023 à 18:14 | Lu 1060 fois