TAHITI, le 29 septembre 2021 - L’auteure Titaua Peu est la première lauréate de la première résidence d’écriture en Polynésie française. Elle nous raconte son projet, une trilogie, avant de revenir sur son parcours et de poursuivre avec sa vision de la littérature polynésienne qui, pour elle, est suffisamment mûre pour aller plus loin, pour passer au-dessus des seules revendications.
L’annonce est tombée mi-septembre. Titaua Peu est la première auteure lauréate de la première résidence d’écriture en Polynésie. Lancée début juillet, cette résidence, portée par l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles, propose au lauréat une immersion de deux mois dans un ou des lieux de son choix sur le territoire pour se consacrer entièrement à l’écriture. Titaua Peu, elle, veut passer un mois à Mangareva et un mois à Taha’a pour avancer sur son projet de roman d’anticipation, un genre majeur de la science-fiction qui imagine comment sera notre monde dans un avenir plus ou moins proche. Elle confie avoir déjà écrit une centaine de pages et envisage à terme une trilogie. Elle promet aussi qu’il y aura "du noir". Ce qui est facile à imaginer connaissant ses premières œuvres. "La science-fiction est beaucoup plus intéressante que l’on croit. J’ai découvert cela il y a quelques années, je n’étais pas si jeune que ça."
"Je suis pessimiste quand à l'avenir de mon pays"
Avec sa trilogie, Titaua Peu envisage de raconter "les grandes migrations de notre pays", de parler de "christianisation". Elle s’installera à Rikitea pour s’imprégner de l’ambiance, faire des recherches sur le père Laval, cerner son empreinte. "Mon roman se déroulera là-bas pour changer de Tahiti, dans une période moderne." L’auteure s’arrêtera sur les limites entre le catholicisme et des religions anciennes polynésiennes. Elle va explorer le passé et compte bien transmettre des messages sur "la tentative croissante de dictature. Quand on n’est pas d’accord avec quelque chose ou quelqu’un aujourd’hui, on est mis de côté, isolé. On est divisé, on vit dans la peur et la tentation de ne plus réfléchir sur des questions fondamentales est grande ! On est toujours dans l’instant, je suis pessimiste quant à l’avenir de mon pays."
Après Mangareva, elle passera un mois à Taha’a car "c’est mon île, disons que je viens de là-bas, mon père est de Taha’a". Selon elle, il n’y a pas de lien apparent entre Mangareva et Taha’a, mais elle est intimement convaincue qu’il en existe pourtant. Elle veut mieux connaître les légendes, connaître la vie dans les îles qu’elle n’a finalement jamais connue. "Je suis une enfant de la ville, j’ai grandi dans le quartier de la Mission, dans un quartier sensible."
Dans les îles, elle s’imposera "rigueur" et "routine". Elle prendra la journée pour se promener, découvrir les lieux, rencontrer les habitants et la nuit pour écrire. Une habitude qu’elle a déjà adoptée. "J’écris la nuit", dit celle qui rappelle qu’il n’est pas toujours facile de concilier la vie de famille, la vie professionnelle et l’écriture au quotidien.
Du caillou à Paris
Titaua Peu est née en Nouvelle-Calédonie en 1975. Ses parents (son père est donc originaire de Taha’a, sa mère de Nuku Hiva) s’y étaient installés en 1968. Mais, au niveau constitutionnel notamment, "cela commençait à bouger". La famille est rentrée à Tahiti en 1976. Titaua Peu a passé son enfance à la Mission. Elle a fréquenté l’école des sœurs, puis celle des frères, à été au collège à La Mennais et au lycée à Gauguin.
Depuis petite, elle écrit. "Et surtout, je lis ! On a eu la chance de ne pas avoir de télévision." Des romans de la bibliothèque verte, elle est passée sans transition à Rimbaud et Baudelaire. Son grand frère, qui était au collège, rapportait des poésies à travailler. "Avec Rimbaud, cela a été un coup de foudre." Titaua Peu a aimé, par exemple, la mélancolie du Dormeur du val. Elle a enchaîné ensuite avec la littérature des sœurs Brontë, Balzac et tout autre auteur qui lui tombait sous la main. "La littérature classique ne m’a jamais posé de problème."
Un bout de vie à Paris
Au lycée, elle s’est orientée vers les langues, les lettres, la philosophie. Elle rapporte : "Je viens de discuter avec une amie et me suis rappelée que déjà j’avais envie d’être écrivain. Je l’avais oublié, je voulais travailler à la maison, être libre". Elle souhaitait aussi quitter la Polynésie, découvrir l’ailleurs, voir autre chose. Elle a obtenu une bourse pour pouvoir étudier la philosophie et a pris la direction de Paris. Elle est restée six ans en métropole. Elle y a fait des petits boulots. Paris lui a beaucoup apporté et continue aujourd’hui encore. "C’est à Paris que j’ai pu découvrir le monde, la littérature."
Elle a commencé à écrire son premier roman en métropole. En 2001, juste avant le 11 septembre, elle est rentrée en Polynésie, son pays lui manquait et elle voulait que son nouveau-né grandisse chez lui, auprès des siens. Elle a travaillé comme SR au quotidien La Dépêche, a écrit pour le To'ere puis a intégré la commune de Faa’a en 2003, a enchaîné avec des postes à l’assemblée, dans des ministères avant de prendre place à la mairie de Paea. Pendant toutes ces années, l’écriture ne l’a pas quittée. "Je m’en fait une mission. J’ai voulu faire découvrir notre littérature, notre peuple, nos familles, nos îles."
Mūtisme est sa première publication. Il est paru en 2003 chez Haere Pō, puis a été réédité en 2021 par Au Vent des îles. Il a connu, en 2003, un grand retentissement que Titaua Peu a "mal vécu". C’est la raison pour laquelle elle a d’ailleurs mis autant de temps à signer un deuxième roman. "J’avais peur, on m’attendait au tournant. Je me disais : 'Je ne suis pas écrivain'. Je me suis remise en question, on a tellement parlé du fond avec ce livre, au détriment de la forme. Pour beaucoup, il véhiculait des idées dangereuses." De nombreux lecteurs ne parvenaient pas à prendre du recul et à distinguer la fiction de la réalité.
Doublement fière
En 2016, Pina a été publié par Au Vent des îles. En novembre 2017, à l’hôtel du Nord à Paris, Titaua Peu a reçu le prix Eugène Dabit du roman populiste pour. Un prix remis par le slameur et poète Grand Corps Malade. Le prix Eugène Dabit a été créé en 1931 par Antonine Coullet-Tessier. Il récompense, comme le précise l’Académie française, une œuvre romanesque "qui préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’en dégage une authentique humanité". Pour Titaua Peu, ça a été "une grande surprise" et une "grande fierté". Elle s'explique : "J’arrive à Paris et je suis primée pas seulement pour le message, mais aussi pour la qualité de l’écriture. Je suis doublement fière."
L’auteure a pris conscience de l’évolution des lecteurs entre Mūtisme et Pina. "Je crois que la littérature polynésienne est assez mûre, il faut qu’on avance dans la création. Il nous faut continuer à parler des problèmes de société bien sûr, mais aller plus loin." Un pays s’invente en créant. La culture et notamment la littérature permettent d’avancer. Titaua Peu pense aux grands écrivains cubains, haïtiens. "Heureusement qu’ils étaient là", constate-t-elle. "Nous pouvons nous aussi passer au-dessus de la seule revendication."
Titaua Peu aime parler de son pays, mais aussi de l’universalité des choses, des situations, des émotions. Selon elle, c’est une des raisons qui font le succès des auteurs nordiques. "Nous sommes arrivés à ce stade. La littérature polynésienne ne doit plus être seulement une littérature revendicative."
L’annonce est tombée mi-septembre. Titaua Peu est la première auteure lauréate de la première résidence d’écriture en Polynésie. Lancée début juillet, cette résidence, portée par l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles, propose au lauréat une immersion de deux mois dans un ou des lieux de son choix sur le territoire pour se consacrer entièrement à l’écriture. Titaua Peu, elle, veut passer un mois à Mangareva et un mois à Taha’a pour avancer sur son projet de roman d’anticipation, un genre majeur de la science-fiction qui imagine comment sera notre monde dans un avenir plus ou moins proche. Elle confie avoir déjà écrit une centaine de pages et envisage à terme une trilogie. Elle promet aussi qu’il y aura "du noir". Ce qui est facile à imaginer connaissant ses premières œuvres. "La science-fiction est beaucoup plus intéressante que l’on croit. J’ai découvert cela il y a quelques années, je n’étais pas si jeune que ça."
"Je suis pessimiste quand à l'avenir de mon pays"
Avec sa trilogie, Titaua Peu envisage de raconter "les grandes migrations de notre pays", de parler de "christianisation". Elle s’installera à Rikitea pour s’imprégner de l’ambiance, faire des recherches sur le père Laval, cerner son empreinte. "Mon roman se déroulera là-bas pour changer de Tahiti, dans une période moderne." L’auteure s’arrêtera sur les limites entre le catholicisme et des religions anciennes polynésiennes. Elle va explorer le passé et compte bien transmettre des messages sur "la tentative croissante de dictature. Quand on n’est pas d’accord avec quelque chose ou quelqu’un aujourd’hui, on est mis de côté, isolé. On est divisé, on vit dans la peur et la tentation de ne plus réfléchir sur des questions fondamentales est grande ! On est toujours dans l’instant, je suis pessimiste quant à l’avenir de mon pays."
Après Mangareva, elle passera un mois à Taha’a car "c’est mon île, disons que je viens de là-bas, mon père est de Taha’a". Selon elle, il n’y a pas de lien apparent entre Mangareva et Taha’a, mais elle est intimement convaincue qu’il en existe pourtant. Elle veut mieux connaître les légendes, connaître la vie dans les îles qu’elle n’a finalement jamais connue. "Je suis une enfant de la ville, j’ai grandi dans le quartier de la Mission, dans un quartier sensible."
Dans les îles, elle s’imposera "rigueur" et "routine". Elle prendra la journée pour se promener, découvrir les lieux, rencontrer les habitants et la nuit pour écrire. Une habitude qu’elle a déjà adoptée. "J’écris la nuit", dit celle qui rappelle qu’il n’est pas toujours facile de concilier la vie de famille, la vie professionnelle et l’écriture au quotidien.
Du caillou à Paris
Titaua Peu est née en Nouvelle-Calédonie en 1975. Ses parents (son père est donc originaire de Taha’a, sa mère de Nuku Hiva) s’y étaient installés en 1968. Mais, au niveau constitutionnel notamment, "cela commençait à bouger". La famille est rentrée à Tahiti en 1976. Titaua Peu a passé son enfance à la Mission. Elle a fréquenté l’école des sœurs, puis celle des frères, à été au collège à La Mennais et au lycée à Gauguin.
Depuis petite, elle écrit. "Et surtout, je lis ! On a eu la chance de ne pas avoir de télévision." Des romans de la bibliothèque verte, elle est passée sans transition à Rimbaud et Baudelaire. Son grand frère, qui était au collège, rapportait des poésies à travailler. "Avec Rimbaud, cela a été un coup de foudre." Titaua Peu a aimé, par exemple, la mélancolie du Dormeur du val. Elle a enchaîné ensuite avec la littérature des sœurs Brontë, Balzac et tout autre auteur qui lui tombait sous la main. "La littérature classique ne m’a jamais posé de problème."
Un bout de vie à Paris
Au lycée, elle s’est orientée vers les langues, les lettres, la philosophie. Elle rapporte : "Je viens de discuter avec une amie et me suis rappelée que déjà j’avais envie d’être écrivain. Je l’avais oublié, je voulais travailler à la maison, être libre". Elle souhaitait aussi quitter la Polynésie, découvrir l’ailleurs, voir autre chose. Elle a obtenu une bourse pour pouvoir étudier la philosophie et a pris la direction de Paris. Elle est restée six ans en métropole. Elle y a fait des petits boulots. Paris lui a beaucoup apporté et continue aujourd’hui encore. "C’est à Paris que j’ai pu découvrir le monde, la littérature."
Elle a commencé à écrire son premier roman en métropole. En 2001, juste avant le 11 septembre, elle est rentrée en Polynésie, son pays lui manquait et elle voulait que son nouveau-né grandisse chez lui, auprès des siens. Elle a travaillé comme SR au quotidien La Dépêche, a écrit pour le To'ere puis a intégré la commune de Faa’a en 2003, a enchaîné avec des postes à l’assemblée, dans des ministères avant de prendre place à la mairie de Paea. Pendant toutes ces années, l’écriture ne l’a pas quittée. "Je m’en fait une mission. J’ai voulu faire découvrir notre littérature, notre peuple, nos familles, nos îles."
Mūtisme est sa première publication. Il est paru en 2003 chez Haere Pō, puis a été réédité en 2021 par Au Vent des îles. Il a connu, en 2003, un grand retentissement que Titaua Peu a "mal vécu". C’est la raison pour laquelle elle a d’ailleurs mis autant de temps à signer un deuxième roman. "J’avais peur, on m’attendait au tournant. Je me disais : 'Je ne suis pas écrivain'. Je me suis remise en question, on a tellement parlé du fond avec ce livre, au détriment de la forme. Pour beaucoup, il véhiculait des idées dangereuses." De nombreux lecteurs ne parvenaient pas à prendre du recul et à distinguer la fiction de la réalité.
Doublement fière
En 2016, Pina a été publié par Au Vent des îles. En novembre 2017, à l’hôtel du Nord à Paris, Titaua Peu a reçu le prix Eugène Dabit du roman populiste pour. Un prix remis par le slameur et poète Grand Corps Malade. Le prix Eugène Dabit a été créé en 1931 par Antonine Coullet-Tessier. Il récompense, comme le précise l’Académie française, une œuvre romanesque "qui préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’en dégage une authentique humanité". Pour Titaua Peu, ça a été "une grande surprise" et une "grande fierté". Elle s'explique : "J’arrive à Paris et je suis primée pas seulement pour le message, mais aussi pour la qualité de l’écriture. Je suis doublement fière."
L’auteure a pris conscience de l’évolution des lecteurs entre Mūtisme et Pina. "Je crois que la littérature polynésienne est assez mûre, il faut qu’on avance dans la création. Il nous faut continuer à parler des problèmes de société bien sûr, mais aller plus loin." Un pays s’invente en créant. La culture et notamment la littérature permettent d’avancer. Titaua Peu pense aux grands écrivains cubains, haïtiens. "Heureusement qu’ils étaient là", constate-t-elle. "Nous pouvons nous aussi passer au-dessus de la seule revendication."
Titaua Peu aime parler de son pays, mais aussi de l’universalité des choses, des situations, des émotions. Selon elle, c’est une des raisons qui font le succès des auteurs nordiques. "Nous sommes arrivés à ce stade. La littérature polynésienne ne doit plus être seulement une littérature revendicative."