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Le Far West des maisons de retraite


Le Far West des maisons de retraite
PAPEETE, le 12 avril 2017 -Aujourd'hui, maisons de retraite, unités de vie et autres maisons de repos pour personnes âgées n'ont pas de cadre légal, laissant ainsi une porte ouverte à toutes les dérives, alors que le nombre de polynésiens âgés de plus de 65 ans a plus que doublé en l'espace de 20 ans.

Quand un proche est atteint d'Alzheimer de parkinson ou de démence, sa famille n'a parfois plus d'autre solution que de le placer dans un environnement adapté. Aujourd'hui, en plus des familles d'accueil, on voit se multiplier en Polynésie française les unités de vie, maisons de repos, maisons de retraite, maisons médicalisées. Qu'est-ce qui les différencie les unes des autres ? La réponse est simple : rien.

Aujourd'hui, sur le fenua aucun agrément, aucune réglementation, n'existent pour ce qui concerne des structures souhaitant accueillir les matahiapo. L’offre va du service quatre étoiles avec médecin, infirmier à domicile, activité et repas « maison », à la structure mêlant personnes âgées et handicapées et servant du pain beurre confiture à tous les repas. Pour les familles, il n'est d'ailleurs pas évident de s'y retrouver, les prix varient de 80 000 à plus de 400 000 francs par mois. L'absence de réglementation peut conduire à toutes les dérives : "on ne monte pas une maison de retraite pour se faire de l'argent" s'emporte Richard Ville, infirmier, qui vient de créer le Fare Ora Tahiti à Pirae. Après être passé par plusieurs structures de matahiapo en tant qu'infirmier libéral, il a décidé de monter sa propre structure en suivant les normes métropolitaines. "J’ai vu des choses qui m'ont choqué. Quand on ferme la porte à clefs et qu'on laisse des personnes âgées seules toute la nuit enfermées, sans surveillance : je suis désolé mais ça me révolte. Quand on parle mal à une personne atteinte d'Alzheimer ou de démence parce qu'elle ne comprend pas, pour moi c'est de la maltraitance ", s’indigne-t-il. Samuel Boscardin est lui aussi infirmier et il a fait le même constat : "quand j’exerçais en tant qu’infirmier libéral j’ai vu des cas de maltraitance avérée dans certaines maisons de retraite. J’ai vu la nécessité d’ouvrir une maison de retraite médicalisée avec du personnel soignant et paramédical. Jusque-là, il n’y avait que des établissements bâtards et sauvages pour les personnes âgées." Avec un associé, il a donc décidé de monter les Orchidées en décembre 2016. Il occupe la fonction d'infirmier coordinateur bénévole : "j’ai voulu faire quelque chose de bien. Je me suis dit que j’allais monter une structure où je n'aurais pas peur de placer ma mère. Avec mon associé, nous avons décidé de calquer la réglementation métropolitaine, comme ça, si jamais le Pays décide enfin d’une réglementation nous aurons simplement quelques ajustements à mettre en place pour être aux normes locales."

32 000 pensionnaires au régime des retraites

"Une personne âgée qui doit être placée est une personne fragile et vulnérable. Elle osera rarement exprimer son malaise ou mal-être. C'est simple, quand elles souffrent psychologiquement, elles se laissent mourir : elles doivent être protégées", raconte Richard Ville. Samuel Boscardin abonde dans ce sens : "il y a des morts dans ces maisons de retraites sauvages qui sont causées par les maltraitances psychologiques et physiques. Ces maltraitances ne sont pas forcément malveillantes. Parfois c'est simplement de l'ignorance ou de la maladresse ; mais cela reste de la maltraitance."

Aujourd’hui, la Caisse de prévoyance sociale compte 32 000 pensionnaires au régime des retraites. Selon le dernier recensement de l’institut statistique polynésien la population de plus de 65 ans est passée de 7240 en 1994 à 18963 en 2014 soit une augmentation de 161,8 % en 20 ans. Au cours de la dernière décennie, toujours selon les derniers chiffres de l’ISPF, les Polynésiens ont gagné deux ans d’espérance de vie en passant de 71,8 ans en 2004 à 73,8 ans en 2014. La problématique des personnes du troisième âge et la question de la dépendance, sont des thématiques urgentes auxquelles le gouvernement doit faire face aujourd’hui. Richard Ville et Samuel Boscardin souhaiteraient tous les deux professionnaliser le secteur. « Il faut mettre en place une réglementation, un cadre. Le Pays doit se pencher sur la question en urgence », assurent les deux hommes. Pour Richard Ville commencer par séparer personnes âgées et les handicapés serait déjà absolument nécessaire, "ce sont des types de populations différents qui n’ont pas les mêmes besoins, que ce soit en termes d’accompagnement, de soins, ou de suivi médical. Ils n’ont pas non plus les mêmes demandes d’un point de vue humain. Les séparer est essentiel, on ne s’occupe pas d’un papi de 70 ans comme on s’occupe d’un jeune homme de 25 ans, même s’il est handicapé ", assure de dernier.

La polynésie est très en retard

À force d’être interpellé par des professionnels de la santé sur la question de la réglementation des maisons de retraite médicalisées, le Pays a décidé de mettre en place un groupe de travail spécialisé. Le pays avait sollicité Richard Ville pour son travail de recherche sur la réglementation métropolitaine et Canadienne sur la question. Samuel Boscardin, quant à lui, a demandé à participer à ce groupe de travail. " La Polynésie est déjà très en retard sur la question, mais avec plusieurs acteurs du secteur des professionnels de Santé nous allons nous pencher sur la question de la réglementation des maisons de retraite en Polynésie », dit-il. « Tout cela devrait commencer dans les semaines à venir pour présenter un projet de loi en Conseil des ministres."

La rédaction a contacté à ce titre le ministère de la Santé et la direction de la santé. Le ministre n’a pas pu se libérer pour répondre à nos questions tandis que la direction de la santé a indiqué via le service de communication de la présidence "pour le moment il semble encore prématuré pour la directrice des affaires sociales de s’exprimer sur la question de l’accueil des personnes vulnérables ; un travail sur ce sujet en particulier est en cours de finition, et devrait être validé en conseil des ministres prochainement. "

En faire la préoccupation de demain

Dans cette perspective, Richard Ville suggère que "quand la réglementation sera actée, il ne faudrait pas que gouvernement demande à ce que les unités de vie existantes, qui ne sont pas aux normes, ferment tout de suite leurs portes. Il faudrait qu’il leur laisse un délai de six mois, un an pour se mettre aux normes. Nous sommes déjà saturés, toutes les maisons de retraite qui ont ouvert dernièrement sont remplies au moins à 100 % que ce soit en accueil de jour comme en pension complète. Tout fermer d’un coup serait dramatique pour les familles comme pour les pensionnaires de ces sites."

D’ailleurs, la demande est telle que les deux maisons de retraite médicalisées ont rapidement été complètes. Samuel Boscardin pense déjà à ouvrir un second établissement, de même que Richard Ville d’ici trois ans. Selon eux en plus d'être une question de santé publique, c'est aussi un marché potentiellement pourvoyeur d'emplois : "plutôt que de former les gens à être femmes de ménage ou esthéticiennes, le SEFI pourrait former des auxiliaires de vie sociale ou des aides-soignants. Les besoins vont aller grandissants, c'est une certitude", assure Samuel Boscardin. Richard Ville confirme ces déclarations "vu le rythme d'ouvertures de maisons de retraite, c'est sûr qu’il y a du potentiel. J'ai embauché des CDI et j'aurais besoin de plus de personnel. J’ai fait des demandes au SEFI, j'attends que mon dossier soit étudié".

En attendant, ils espèrent tous les deux que le ministère de la Santé fera des matahiapo une de ses préoccupations de demain et non d’après-demain.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Jeudi 13 Avril 2017 à 03:30 | Lu 14611 fois