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La première fondation de Polynésie s'appelle Tupuna Tumu


Jean-Christophe Shigetomi, qui a créé la toute première fondation polynésienne : Tupuna Tumu.
Jean-Christophe Shigetomi, qui a créé la toute première fondation polynésienne : Tupuna Tumu.
PAPEETE, le 26 octobre 2017 - La loi autorise la création de fondations en Polynésie depuis janvier 2017, et la première d'entre elles vient de naître officiellement. Tupuna Tumu est consacrée au devoir de mémoire et à la préservation/restauration de notre patrimoine historique.

Les riches Polynésiens qui souhaitent utiliser leur fortune pour le bien collectif disposent désormais d'un nouvel outil très utile : la fondation. Ces entités jouissent de la personnalité morale et offrent la possibilité de collecter en toute transparence des fonds importants, de les gérer dans la durée et de les dépenser pour des projets caritatifs. Elles échappent bien sûr totalement à l'impôt, comme les associations loi 1901, et offrent des avantages fiscaux aux généreux donateurs. Les fondations sont autorisées depuis janvier 2017, répondant à une demande pressante de philanthropes et d'investisseurs étrangers.

Parmi les projets les plus médiatiques qui bénéficieraient de ce statut, nous pensons à Mareva Marciano-Georges, qui a lancé une fondation pour financer les initiatives de protection de l'enfance en Polynésie. Cette "The Paul And Mareva Marciano Foundation" a été créé en 2016 avant le statut polynésien, et a donc dû voir le jour… Au Nevada. Citons également le milliardaire Paul Yeou Chichong qui, après avoir fait fortune dans l'automobile, souhaite aujourd'hui léguer ses tableaux de maîtres internationaux à une fondation dans le but de créer un musée à Tahiti.

Du côté plus entrepreneurial, notons que l'association "Fondation agir contre l'exclusion" créée par de grandes sociétés locales, devrait (vu son nom) rapidement basculer vers ce nouveau statut. Enfin, les fortunes de la high-tech derrière le projet d'île flottante de la fondation Seasteading Institute devraient apprécier la possibilité de créer une fondation polynésienne pour leur projet.

Malgré tous ces milliardaires et entreprises polynésiennes intéressés par le nouveau statut, c'est finalement un simple particulier qui a créé la première fondation de Polynésie. Sa création a été publiée au Journal Officiel de Polynésie française du 22 août, et dévoile son nom comme un faire-part de naissance : "Fondation Tupuna Tumu (Héritage et devoir de mémoire)".

UNE FONDATION POUR RESTAURER NOS MONUMENTS HISTORIQUES ET CRÉER DES MUSÉES

Son créateur est Jean-Christophe Teva Shigetomi, un passionné d'histoire, actuellement directeur d'une importante administration d'État. Il nous raconte le processus : "au départ, j'ai créé une association de mémoire qui s'appelle 'Les Polynésiens dans la guerre', qui nous a permis d'accompagner la mémoire des Poilus tahitiens, des Tamarii volontaires et de tous ces combattants tahitiens anonymes. Cette association nous a permis de créer une exposition dédiée aux Tamarii Volontaires, un ouvrage et un documentaire de 90 minutes du même nom, une autre exposition dédiée aux poilus tahitiens, et réaliser énormément de travaux de recherche."

Il continue : "Une fois ces projet réalisés nous avons abandonné notre côté martial et sommes devenus l'association 'Mémoire Polynésienne' pour travailler sur des sujets plus larges, en particulier pour la préservation de nos monuments historiques classés, et pour la création et l'ouverture d'espaces muséaux dédiés. Nous voulions lancer des travaux plus lourds au niveau logistique, et nous nous sommes rendu compte que nous étions à la limite d'une association loi 1901. Maintenant ce sont des budgets conséquents, et il faut une gestion très stricte que nous apporte la fondation, avec commissaire aux comptes et conseil d'administration, comme une société."

Le premier de ces gros projets est la réhabilitation des deux fortins classés de Tamanu, aujourd'hui en ruine et qu'il faut sécuriser. La fondation aimerait également participer à la réhabilitation de la Maison des anciens combattants à Papeete, où les toits fuient et qui n'a plus de collection, dans le but d'en faire un vrai musée de la guerre. Enfin Tupuna Tumu souhaite ouvrir un petit musée à l'aéroport de Bora Bora dédié à la présence américaine pendant la deuxième guerre mondiale, et la naissance des "ailes tahitiennes" sur le premier aéroport construit en Polynésie. "Pour tout ça, même en allant à l'économie, on en a quand même pour plusieurs dizaines de millions de francs, donc il faut pouvoir monter en puissance, pouvoir offrir des réductions d'impôts, profiter des dispositifs de défiscalisation, des dons, des legs, tout."

Pour engager des fonds plus conséquents, le statut de fondation s'imposait donc. Jean-Christophe nous confie que d'autres personnes s'étaient renseignées avant lui sur cette possibilité, mais personne n'a eu le courage d'être le premier à écrire des statuts-type, dont les suivants pourront s'inspirer. "Donc je suis allé voir la DGAE et nous avons travaillé ensembles un mois sur les statuts. Je suis sûr que toutes les fondations qui vont venir vont faire un copier-coller de mes statuts !" se réjouit malicieusement le philanthrope. Après les démarches administratives, il a enfin fallut "faire le tour des popotes pour trouver des membres fondateurs prêts à mettre un million de francs minimum, ce qui est prévu dans la loi. Donc nous sommes aujourd'hui quatre membres fondateurs, l'association Mémoire polynésienne, deux sociétés et une personne individuelle, qui m'ont demandé de rester discret sur leur identité. En plus des quatre millions de francs déjà collectés, les membres pourront apporter des fonds supplémentaires sur des projets spécifiques."


Les fondations polynésiennes en détails

Un avantage fiscal pas très avantageux

Toutes les donations faites à une fondation dûment enregistrée à la DGAE permettront aux particuliers et aux entreprises d'avoir une petite réduction d'impôt : "Les personnes physiques et morales redevables de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur les transactions bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 20 % des donations en numéraire qu'elles réalisent au profit de la fondation. (…) La réduction d'impôt est imputable sur 50% de l'impôt dû au titre de l'exercice de réalisation de la donation" précise la loi. Ce dernier point est cumulable avec les dispositifs d'incitations fiscales à l'investissement, sans pouvoir dépasser les 50% de réduction de son impôt.

Mais le décret d'application de janvier limite sévèrement cet avantage fiscal pour les entreprises en précisant que "les versements effectués au profit des fondations par les redevables de l'impôt sur les sociétés, sont déductibles de leurs résultats imposables dans la limite de 1 pour 1 000 du chiffre d'affaire", une limite de 0,1% du chiffre d'affaires, à partager entre tous les dons philanthropiques de la société. Pire, les fondations ne peuvent pas obtenir le statut "d'intérêt général ou collectif" prévu par l'arrêté n° 1136 CM du 16 octobre 1992, qui aurait permis de faire monter cette limite à 3 pour 1000 (ou 0,3%).



Qu'est-ce qu'une fondation polynésienne ?

Deux textes récents autorisent et encadrent le statut des fondations en Polynésie : la Loi du Pays n° 2016-31 du 25 août 2016 "relative à la fondation en Polynésie française" ; et ses décrets d'applications publiés dans l'Arrêté n° 46 CM du 12 janvier 2017 "portant application de la loi du pays n ° 2016-31 du 25 août 2016 relative à la fondation en Polynésie française". Les fondations sont encadrées par la direction générale des affaires économiques (DGAE), il faudra donc commencer par passer à Fare Ute pour enregistrer tout projet de fondation.

Le but de ce statut est vaste. Selon la loi, "la fondation capitalise ou utilise les biens, droits ou ressources, ainsi que les revenus tirés de ceux-ci, en vue de la réalisation d'une œuvre d'intérêt général, ou d'une mission sociale, culturelle, éducative, environnementale ou collective. Elle peut aussi utiliser ou distribuer ces biens, droits, ressources ou revenus, pour assister une autre personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses œuvres et de ses missions."

On comprend que le but est de rapidement arriver à des fonds importants. Pas étonnant donc que pour intégrer la direction d'une fondation, il faudra apporter au minimum un million de francs pour obtenir le statut de membre fondateur ou de membre simple. Pour des dons plus petits, la fondation peut également demander la générosité du public avec l'accord de la DGAE, mais ces dont ne permettent pas de devenir membre.

Les fondations peuvent bénéficier de subventions publiques, mais ces fonds ne peuvent, en cumul, dépasser 25 % des revenus globaux annuels de la fondation. Le Pays, l'État ou une commune peut aussi accorder un bail immobilier avantageux à une fondation (on repense au musée de Paul Yeou Chichong).

Concernant la transparence, les administrateurs d'une fondation sont tous obligatoirement bénévoles, et une fondation doit publier tous les ans un rapport d'activité qui comprend ses comptes. La gestion d'une fondation est vérifiée par un commissaire aux comptes quand ses fonds dépassent les 10 millions de francs, et est toujours supervisée par la DGAE qui peut demander tous les documents internes d'une fondation, pour contrôle. Si la situation dérape, le tribunal pourra aller jusqu'à prononcer la dissolution de l'association. Ses fonds seraient alors obligatoirement transférés à une autre fondation polynésienne.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 26 Octobre 2017 à 16:05 | Lu 4078 fois