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Jean-Pierre Raffarin : "La Polynésie n'a pas à s'aligner sur quiconque"


Tahiti, le 5 septembre 2023 - L'ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, est en déplacement en Polynésie française à l'invitation de la CCISM afin de parler de leadership avec les étudiants en école de commerce. Mardi, le spécialiste des affaires chinoises qu'il est rencontrait les forces vives du fenua.
 
 
 
Monsieur le Premier ministre, comment a été le contact avec ces jeunes étudiants en école de commerce ?
“J'ai été impressionné par la qualité de ce public que je connais bien puisque je suis professeur à l'École supérieur de commerce de Paris. Je leur ai fait un cours sur le leadership. Je les ai trouvés à la fois très enraciné et très internationaux.”
 
L’enracinement et les aspirations internationales vont de pair ?
“C'est essentiel. Il est essentiel qu'ils se sentent en charge de l'avenir de la Polynésie française. Ils ont un rôle de leadership à faire valoir dans les entreprises ou dans les administrations publiques. (…) Ils ont un appétit de formation internationale. Je suis très heureux qu'il y ait un partenariat entre l'école et Singapour. Ça les rend sympathiques. Ce n'est pas évident d'être enraciné dans un territoire, dans une culture, et en même temps passer par une formation internationale pour bien servir son pays. Je n'ai rencontré que des Ulysses qui veulent faire un beau voyage mais veulent revenir ensuite au pays.”
 
Cette Polynésie, vous l'avez côtoyée dans vos fonctions politiques. Vous la reconnaissez aujourd'hui ?
“Je trouve que les choses vont dans la bonne direction. J'ai vu la Polynésie en tant que responsable mais aussi en tant que touriste, et je trouve que des progrès ont été faits. Il y a une dynamique. Le grand changement, c'est que la Polynésie était au bout du monde, et qu'aujourd'hui elle devient le cœur du monde. Ça stresse un peu, mais en même temps, on sent de la confiance.”
 
Ce nouveau cœur du monde est la cible de tous les appétits, y compris chinois. Faut-il s'en méfier ?
“Il faut distinguer le court terme et le moyen terme. Sur le court terme, je suis d'accord avec les propos de Gérald Darmanin… Il faut être attentif à tout pour défendre les intérêts de la Polynésie française. Il faut faire attention que ce que l'on ne peut pas exploiter ne soit pas exploité par les autres. Sur le moyen terme. La Chine est une grande civilisation. Elle a un avenir international puissant et on peut faire le pari de long terme que la Chine est un acteur important de la zone. C'est dans l'intérêt des jeunes d'aujourd'hui de se muscler les connaissances sur la Chine. Elle est là. Il faut la comprendre et se muscler pour être capable de dialoguer avec elle. Un jeune d'avenir, aujourd'hui, il parle français, tahitien, anglais, et chinois. La France connaît très mal la Chine. Il faut la connaître.”
 
Le président Macron émettait des réserves lors de son passage en Polynésie sur les influences hégémoniques qui “viendront chercher le poisson, les technologies, les ressources économiques”. Vous pondérez aujourd'hui ces propos ?
“Je pense que le président a raison de voir la compétition avec la Chine. Ce que je dis, c'est que pour faire la compétition, il faut se muscler. Emmanuel Macron dans son discours aux ambassadeurs a précisé que la France n'avait aucune hostilité envers la Chine. (…) Il faut aujourd'hui que la Polynésie apporte sa contribution au monde et à ses partenaires. C'est une sorte de planétisation des consciences. Il faut voir comment les changements climatiques seront pensés, vécus. (…) La dialectique permanente entre la Chine et les États-Unis fait qu'ici, il peut y avoir un laboratoire de pensée intéressant. La Polynésie est sur la bonne voie. Elle a sa spécificité. Elle n'a pas à être alignée sur quiconque. Elle est responsable de ses liens et doit avoir des relations spécifiques.”
 
La Polynésie doit être leader ?
“Pour se faire respecter, il faut être leader. La Polynésie dans le Pacifique Sud, elle a une voix pertinente sur les questions d'écologisation dans ce voisinage Chine/Amérique. La vision française est une vision pacifique. Qu'il y ait ici une sorte de laboratoire de la dialectique sino-américaine est quand même quelque chose de très intéressant. C'est un sujet pour les 30 ou 50 prochaines années. Ça vaut la peine d'y réfléchir ici. Il faut avoir une vision pacifique du développement.”
 
La Chine et les États-Unis ont cette vision pacifique ?
“Aujourd'hui, probablement pas. Mais la tension serait un drame collectif.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 5 Septembre 2023 à 18:53 | Lu 3813 fois