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“Le monde du Tavini est divisé”


Tahiti le 20 mai 2024 – C’est une “fête” en demi-teinte et peu suivie que le Tavini a célébrée vendredi soir à Outuaraea, pour le onzième anniversaire de la réinscription de la Polynésie sur la liste onusienne des territoires à décoloniser : peu de jeunes, “la moitié des chaises vides”, et une majorité d’“anciens du Tavini” sur fond de tensions entre Tony Géros et Moetai Brotherson.

Comme chaque 17 mai depuis onze ans, le parti souverainiste Tavini huiraatira célèbre la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes de l’Onu. Cette année, la cérémonie commémorative avait lieu vendredi. Et les chants et danses mis en scène pour l’occasion ont peiné à gommer les tensions que l’on a senti poindre entre l’assemblée et le gouvernement, dans les discours préparés pour l’occasion par Antony Géros et le président Moetai Brotherson.

C‘est le président du Tavini, Oscar Temaru, qui a ouvert le bal, en remerciant Moetai Brotherson de sa présence et notamment de sa prestation devant les médias pour le bilan de sa première année de gouvernance.

Chaises vides

“C’est la deuxième fois que le président et son gouvernement font face aux journalistes. La première fois c’était lors de notre victoire […]. Tel un boxeur, il a encaissé les coups. Aujourd’hui tu les as tous ratatinés. Bravo”, a-t-il lancé à l’attention de son beau-fils, le président du Pays. Interrogé à ce sujet en marge de la célébration, le leader indépendantiste a répondu simplement : “Il faut prendre cela sur le ton de l’humour, ce n’est pas méchant […]. Quand on sera un Pays souverain le droit sera respecté. Aujourd’hui l’état de droit n’existe pas, surtout quand il y a des affaires où il y a beaucoup d’argent.”

Reste que pour cette célébration, beaucoup de chaises sont restées vides, contrairement aux années précédentes. Un état de fait que peine cependant à reconnaitre Oscar Temaru qui, s’il n’hésitait pas à affirmer vendredi qu’“il y a plus de monde aujourd’hui que les autres fois”, reconnaissait aussi que son parti n’avait pas suffisamment communiqué sur l’organisation de cet événement. Mais, selon lui, “ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité”.

 Dans les rangs des militants du Tavini on était étonné, vendredi soir, par le peu de monde présent : “Normalement il n’y a plus de places assises. Ce soir la moitié des chaises sont vide”, déplore ce militant. Pour lui, il n’y a aucun doute, la cause de ce peu d’engouement est à rechercher dans les divisions qui partagent “le monde du Tavini” : “On aurait pensé qu’avec cette nouvelle gouvernance et les réseaux sociaux on aurait eu plus de monde. Malheureusement ce n’est pas le cas.” Cet autre militant du Tavini admet qu’il a été choqué par les propos du président du Pays, concernant le processus qui mènera à l’indépendance de la Polynésie. “Notre président Oscar Temaru, depuis 45 ans, nous dit que l’indépendance est urgente, que c’est demain, pas dans dix ans. Et ce matin j’ai entendu président Brotherson expliquer qu’on n’est pas prêts, que pour lui le minimum c’est 15 ans. Personnellement, je pense que ce doit être demain l’indépendance.”

“Il faut rester unis”

Dans son succinct discours, le président du Tavini huiraatira, Oscar Temaru, a martelé les appels à l’union. Interrogé à ce sujet, après son intervention, le leader indépendantiste affirmait que c’est de sa responsabilité “sinon qui va le faire ?” Pour lui, “il n’y a aucun malaise”, et il l’a rappelé comme à son habitude : “On n’est pas là pour se servir mais pour servir le peuple.” Un message troublant pour ce militant du parti bleu ciel. Pour ce dernier, si Oscar Temaru a insisté sur “l’union […] il faut lire entre les lignes : il demande à ce que l’union revienne dans le Tavini […]. Il pense que tout le monde peut faire comme lui mais il y a des divergences d’idées et de pensées […] et on ne peut pas toujours se plier à de telles demandes.”

Échanges d’impolitesses

C’est depuis Caracas, au Venezuela, que le président de l’assemblée Tony Géros a pris la parole, en visioconférence. Il a remercié tout le monde, les ministres présents, les piliers du parti bleu ciel, et toutes les personnes présentes. Mais il a omis de remercier… le président du Pays, Moetai Brotherson. Curieux lapsus ; mais tout va bien entre le législatif et l’exécutif.

Il a expliqué qu’avant de se rendre à Caracas, la commission de décolonisation s’est réunie, et qu’il a porté au Comité des 24 les décisions prises et surtout comment les mettre en application. Il a même invité deux ou trois membres du comité à venir au Fenua cette année. Autre sujet abordé par le président de l’assemblée : le retour du dialogue avec la France car “certains se posent encore des questions sur le devenir du pays, lorsqu’on sera indépendant. Ils veulent des réponses claires à leurs questions”.

De son côté Moetai Brotherson a rappelé que ce jour est “un jour de joie pour nous. Cela fait onze ans que notre président, Richard Tuheiava et Carlyle Corbin, allons tous les ans dans le froid de New York”. De son discours aussi : aucun mot pour Tony Géros. Il a regretté le manque de suivi de la manifestation, notamment par le public des plus jeunes et rappelé l’importance de mettre dans les programmes scolaires l’histoire du pays, comme celle du nucléaire ou encore la date de la réinscription. “Plus tard, dans pas trop longtemps, il faudra changer ces livres pour y mettre la date de notre indépendance. C’est ce que nous voulons, alors il faut que nos jeunes soient là et que l’an prochain cette place soit remplie de jeunes”, a-t-il souhaité. D’ici là, l’eau aura coulé sous le pont du Tavini. Et les tensions d’aujourd’hui ne promettent rien de bon pour l’unité du parti politique.

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Lundi 20 Mai 2024 à 21:55 | Lu 5078 fois