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Dans le sillage des Marquises, Matatiki vise l'Unesco


Tahiti, le 15 décembre 2020 - Incontournable pour prétendre à l’Unesco, l'inscription de l'art graphique du Matatiki à l'inventaire national du patrimoine culturel immatériel illustre une reconnaissance "historique" pour la culture et l'art marquisiens. Portée par l'association Patutiki, la quête du label international s'inscrit dans le sillage du processus déjà engagé pour les Marquises sur l'aspect "matériel".
 
Sur le bois, la pierre, la nacre, les bambous, le tapa, la peau. "Il y a la face, toujours la face" disait le peintre Paul Gauguin. Ce visage aux yeux immenses, c'est celui du Tiki, d'où son nom : "Matatiki". Élément fondateur de l'identité marquisienne, l'art graphique omniprésent dans l'archipel a reçu un avis favorable au comité du patrimoine culturel immatériel (PCI) français en mars. Une reconnaissance "historique pour la culture marquisienne" commente Teiki Huukena, président de l'association Patutiki, lors d'une conférence de presse aux côtés du Pays, de l'État et de la Codim (communauté de communes des îles Marquises). Car si Patutiki a pu faire aboutir le dossier à grand renfort de recherches –notamment dans le cadre de la production du documentaire éponyme-, c'est aussi grâce au soutien des autorités publiques et à l'accompagnement de son ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu.
 
"Il était temps" reconnaît Dominique Sorain, le haut-commissaire, saluant "la force d’une culture qui a su traverser les époques et dompter l’histoire (…) malgré les pertes culturelles majeures causées par les interdits du passé." L'ambition d'aujourd'hui sera donc de "veiller à ce que chaque culture (...) puisse assurer les conditions de sa survie et de son constant renouvellement."

Patutiki "marteler (des) tiki"

L'inclusion à l'inventaire national étant un prérequis pour prétendre au Graal, l'État s'engage à soutenir la prochaine étape : une candidature à l'Unesco dans le sillage du processus d'inscription des Marquises en tant que bien mixte, culturel et naturel. "La Polynésie s'est engagée depuis plusieurs années dans la sauvegarde de son patrimoine culturel" déclare Édouard Fritch, président du Pays, citant le cas d'école de Taputapuatea, suivi du 'Ori Tahiti et des Marquises. "Quand cette étape viendra, nous serons à vos côtés, mais la route est encore longue" glisse le président, en connaissance de cause. "Pour Taputapuatea, je ne vous cache pas que je n'y croyais plus."
 

Pas d'échéance pour l'heure. En parallèle de l'élaboration du dossier de proposition d'inscription, l’association va poursuivre ses actions de préservation, dont "un label", "le développement du brevet d'artiste dans le domaine d'expression du Matatiki", "l'archivage de la connaissance des anciens sur ce sujet", ou pourquoi pas, "un festival de l'art du tiki". "Pour protéger, il faut transmettre. Lorsque nous partageons le patrimoine immatériel, nous n'en sommes pas dépossédé, il se multiplie, il ne se perd pas" assène Teiki Huukena.

Protéger et promouvoir l'art traditionnel marquisien, en particulier le tatouage, c'est précisément la raison d'être de l'association Patutiki, dont la traduction littérale indique "marteler (des) tiki". Composée d'une équipe de jeunes marquisiens passionnés, l'association a passé une convention avec l'École française du tatouage pour des formations.

L'inscription au registre national pour "identifier l'origine du patrimoine"

Si l'association "porte dans ses gènes le projet d’inscription des symboles de l’iconographie marquisienne à l'Unesco", c'est pour les besoins du documentaire éponyme qu'elle a d'abord vu le jour en 2016. Primé au Fifo avec le premier prix du public, le film Patutiki a fourni une "formidable base de travail pour la candidature à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel" félicite le haut-commissaire. Les recherches de l'association ont débouché au passage sur la "mise à jour d'éléments essentiels sur l'existence du Matatiki".

Heretu Tetahiotupa, co-réalisateur, estime que le film a également permis de "clarifier" un certain nombre "d'amalgames" sur le tatouage. "Les motifs marquisiens étaient utilisés ici et dans le monde entier sans avoir de nom, ni d'appartenance. Patutiki leur a donné une origine, une signification, qui permet d'ouvrir sur un univers culturel bien précis." "La démarche de l'inscription au PCI n'a pas vocation à interdire mais à identifier l'origine du patrimoine", croit bon de préciser pour sa part Teiki Huukena. "Chacun peut transmettre et véhiculer les symboles dans le respect de leur origine, de leur nom et de leur sens."

Pour Benoît Kautai, président du Codim, le film illustre surtout une culture "vivante, active et conquérante", qui ne se résume pas à des "résurgences de symboles utilisés par les ancêtres". À l’instar du visage de Tiki sur le drapeau marquisien. Symbole "d'une seule unité pour toujours".
 


Un art intimement lié au sacré

Identifié par le médecin allemand Karl von den Steinen comme "l'art des Marquises", le matatiki est l’art graphique marquisien. Il s’agit de l’un des éléments fondateurs du patrimoine culturel de l’archipel. "Mata-tiki" exprime, par "mata" le sens du regard, ou le visage de "Tiki", le premier des Hommes.
"Les formes iconographiques du matatiki sont issues de la déstructuration à l’infini du corps de Tiki. L’art graphique du matatiki regroupe tous motifs inscrits et symboles exprimés dans l'ensemble des pratiques culturelles sur la matière, note l'association. Ces motifs se retrouvent sur la peau sous la forme du patutiki, l’art du tatouage, ainsi que sous la forme du haatiki ou ketutiki, art regroupant sculptures, gravures, pétroglyphes, bambous pyrogravés ou tapa. À l’origine, au-delà de ses fonctions ornementales et sociales, cet art était intimement lié au sacré."
"Le savoir associé à ce répertoire, qu’il s’agisse des noms des motifs ou de leurs significations, invoque une sacralité qui relie la communauté marquisienne aux générations d’ancêtres qui l’ont précédée, poursuit l'association. Acquérir et s’orner de matatiki peut marquer l’accomplissement d’un événement personnel, le retour au pays, ou au contraire, une réaffirmation identitaire individuelle pour les membres de la diaspora." 

Rédigé par Esther Cunéo le Mardi 15 Décembre 2020 à 18:45 | Lu 2156 fois