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L’Ifremer met le cap sur les profondeurs


Jean-Marc Daniel, directeur général délégué en charge de la stratégie à l’Ifremer, en a profité pour rendre visite aux équipes de Vairao (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Jean-Marc Daniel, directeur général délégué en charge de la stratégie à l’Ifremer, en a profité pour rendre visite aux équipes de Vairao (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 16 décembre 2024 – Basé au siège de Brest-Plouzané, en Bretagne, Jean-Marc Daniel, directeur général délégué en charge de la stratégie à l’Ifremer, était à Tahiti, la semaine dernière, pour participer à la plateforme régionale d’échanges sur les grands fonds marins. Après Nouméa, en début d’année, cette deuxième édition était organisée sur trois jours à l’Université de la Polynésie française (UPF). L’occasion d’officialiser le lancement de l’exploration scientifique “pour mieux connaître” les profondeurs de l’océan polynésien, ajoutant ainsi un nouvel axe de recherche au Centre océanographique du Pacifique de Vairao. 

 
Quel bilan dressez-vous de ces trois jours d’échanges à l’UPF ?
“Ce sont des rencontres très riches, sans prise de décision politique à l’issue, simplement pour que les scientifiques et les représentants des îles du Pacifique aient la liberté de parole pour échanger leurs points de vue sur ce que représentent les grands fonds marins pour eux, ce qu’ils en attendent ou pas en termes de développement économique et de protection. Ce qui me marque, c’est l’attachement de tous ces pays à l’océan, et aussi des intérêts très divers avec des acteurs qui sont principalement concernés par la protection de l’océan, et d’autres qui sont plus allants pour exploiter un certain nombre de ressources, en particulier des ressources minérales sous-marines, ce qui suscite beaucoup de discussions. Participer à ces échanges nous permet de comprendre comment les communautés insulaires perçoivent les grands fonds marins.”
 

“Une grosse partie entre 3 000 et 5 000 mètres”


Mercredi dernier, vous avez signé une convention avec les autorités locales, visant à renforcer la coopération scientifique et technique pour la connaissance et la préservation des grands fonds marins. Qu’est-ce que ça représente pour l’Ifremer ?
“C’est un premier pas important grâce à Philippe (Moal, directeur du Centre océanographique du Pacifique, NDLR). Pour l’historique, les grands fonds à l’Ifremer, c’est majoritairement pour les aspects scientifiques à Brest, et pour les engins sous-marins à Toulon. Il se trouve qu’aujourd’hui, pour plein de raisons, notamment parce que le Pacifique, c’est la moitié de l’océan mondial, il y a un intérêt à développer des actions de recherche sur ce sujet dans le Pacifique. On peut essayer de le faire depuis l’Hexagone, mais ce n’est pas raisonnable, d’autant que pour travailler sur ce sujet-là, on a vraiment besoin de le faire en coopération avec des acteurs locaux et ceux du pourtour du Pacifique, avec des grosses nations comme le Japon, les États-Unis, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, qui vont nous permettre de mixer des moyens d’accès à la mer. L’enjeu de la création de cette chaire, c’est d’avoir une implantation locale à Vairao pour être en capacité d’avoir des leviers régionaux pour lancer un programme de coopération.”
 
On parle des enjeux de connaissance des grands fonds marins, une notion qui peut être abstraite pour le grand public. De quoi s’agit-il exactement ?
“D’un point de vue scientifique, traditionnellement, la définition qu’on utilise, c’est l’océan plus profond que 200 mètres. Pourquoi cette limite ? Parce qu’au-delà, il n’y a plus de lumière, donc ça nécessite des adaptations de la vie, et c’est ce qui intéresse les chercheurs. C’est très difficile d’accès, avec une température rapidement proche de 0°C et surtout une forte pression. Il faut être capable de descendre avec des engins spécifiques, et aussi de remonter. C’est un milieu qui est mal connu et très vaste, puisque 80 % des fonds océaniques n’ont pas été cartographiés de manière détaillée. Les fonds les plus profonds, c’est un peu plus de 10 km, soit plus que l’Everest, et le record de profondeur est détenu par la fosse des Mariannes, dans le Pacifique. Une grosse partie des grands fonds se situent entre 3 000 et 5 000 mètres. C’est un enjeu de découverte : à chaque campagne, les scientifiques de l’Ifremer reviennent avec des espèces nouvelles, des micro-organismes en grande partie. Et il y a déjà de la pollution, donc on peut aussi mesurer notre impact en lien avec les mesures de préservation.”
 

“Il y a des enjeux de protection et de biotechnologie”


Pour l’instant, on ne parle que d’exploration, pas d’exploitation…
“La position de la France, qui a été rappelée par le président de la République, c’est d’interdire toute exploitation. Nos explorations sont à vocation scientifique. On travaille deux choses dans les grands fonds : la compréhension de la biodiversité pour des raisons de protection, et aussi comment les organismes s’adaptent. Quand ils sont soumis à un gros stress, ils développent des stratégies originales, comme la réparation de leur ADN, et ça fait écho à des sujets comme les traitements anticancéreux. Il y a des enjeux de biotechnologie associés aux grands fonds marins. Le deuxième enjeu dans le Pacifique, plutôt en Nouvelle-Calédonie, ce sont les aléas sous-marins associés à de grands tremblements de terre.”
 
Vous avez rencontré plusieurs représentants du Pays et de l’État. Quel message leur avez-vous porté, et vice versa ?
“Le message que j’ai reçu, et c’est pour ça qu’on souhaitait implanter cette activité-là en Polynésie, c’est qu’ils sont très attachés à l’océan. Dans le cadre de la conservation de ces espaces et de la compréhension de ce qu’il s’y passe, ils sont attachés à ce qu’on puisse les aider à mieux connaître cette partie du patrimoine local. Pour nous, ce sont aussi des objets fascinants d’un point de vue scientifique. Historiquement, l’Ifremer a beaucoup travaillé sur ce sujet, notamment dans l’Atlantique, donc on a un savoir-faire qu’il est important de mettre à la disposition de la Polynésie.”
 
Ce seront les premières études au Fenua ou y a-t-il eu des précédents ?
“En Polynésie, il y a eu des études sur les grands fonds, mais elles commencent à dater. Elles étaient principalement associées aux travaux que nous avions menés pour l’extension de la Zone économique exclusive. Il y avait aussi eu des travaux sur les ressources minérales sous-marines, mais ça fait longtemps qu’on a arrêté de travailler sur ce sujet en Polynésie. Plus récemment, on a recommencé à travailler dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, pour les mêmes raisons qu’ici, avec un parc marin qui couvre l’ensemble de leur ZEE. En dehors de ce cadre, on mène des travaux dans le Pacifique autour des contrats d’exploration qu’on a pour l’Autorité internationale des fonds marins dans les eaux internationales, plus au nord.”
 

“Ancrer notre présence et créer de nouveaux dialogues”

 
L’Ifremer a célébré en 2022 ses 50 ans de présence dans le Pacifique. Une présence à maintenir face à de nouveaux enjeux, aussi aquacoles et environnementaux ?
“D’un point de vue pratique, on vient de renouveler avec l’État notre contrat d’objectifs et de moyens de performance, où il y a quatre priorités, dont deux qui concernent fortement la Polynésie : conserver un océan sain et nourricier, et l’exploration des grands fonds. L’implantation de l’Ifremer dans cette région du Pacifique est tout à fait stratégique et on souhaite continuer à la développer, en faisant rentrer un nouveau thème, comme celui des grands fonds, qui n’était pas présent jusqu’à aujourd’hui. C’est une façon d’ancrer notre présence sur le territoire et de créer de nouveaux dialogues au sein des équipes en faisant venir de nouveaux chercheurs avec des regards différents, avec encore plus de coopération internationale. On a la prochaine Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), à Nice, en ligne de mire, et on aimerait avoir avancé, d’ici là, sur l’implémentation de la chaire académique des grands fonds en Polynésie.”
 
Justement, quels seront les enjeux à l’UNOC 3, en juin prochain, pour l’Ifremer dans le Pacifique ?
“Il y aura principalement trois messages qui seront importants. Tout ce qui concerne l’océan pour cultiver des produits qui permettent de nourrir les populations, et ça va au-delà de l’aquaculture, avec des questions sur l’adaptation au changement climatique. On va aussi porter le sujet des grands fonds marins vu du Pacifique, en accompagnement à la délégation polynésienne.”
 

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Lundi 16 Décembre 2024 à 13:38 | Lu 928 fois