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Je suis confronté à la Loi : les conseils très pratiques d'un avocat de Papeete


PAPEETE, le 29 juin 2015 - Maître Wafa Ayed est une avocate inscrite au barreau de Papeete depuis 2013. Experte en droit pénal et en criminologie, elle a défendu de nombreux accusés ou leurs victimes devant les tribunaux de Tahiti. Ses clients sont aussi bien des petits délinquants de la route que des criminels endurcis… ou leurs victimes. Elle partage ses conseils.


Le grand public a souvent une connaissance du droit pénal tiré des séries télévisées américaines. Mais plaider le cinquième amendement de la constitution des États-Unis ne vous sera d'aucun secours si vous êtes confronté aux gendarmes de Ua Pou… Maître Wafa Ayed nous dévoile des conseils plus adaptés au droit polynésien :


Que dois-je faire si je suis arrêté pour un contrôle routier ?

La meilleure attitude est d'abord de vous arrêter, de présenter vos papiers, et si l'on vous demande vous soumettre à un contrôle d'alcoolémie, de le faire. C'est la première chose.

En revanche, si les gendarmes ou policiers veulent regarder dans le coffre du véhicule ou la boite à gants, ils n'ont pas le droit de le faire. À moins d'avoir une autorisation, par exemple dans le cadre d'une perquisition. S'ils aperçoivent par la fenêtre quelque chose de suspect sur un siège, ils vont vous inviter à le leur montrer, mais vous n'êtes pas obligé de le faire. Par contre les douaniers ont des prérogatives spéciales qui leurs donnent plus de pouvoirs, et leurs permettraient par exemple de regarder dans le coffre.


Si je n'ai commis aucune infraction et que le contrôle s'éternise ?

Dès lors que l'on ne vous a pas indiqué que vous avez commis une infraction, qui pourrait nécessiter une garde-à-vue, vous êtes libre de disposer. Mais il faut demander l'autorisation de le faire pour ne pas commettre un délit de rébellion ou de refus d'obtempérer. Il suffit donc de demander "De quoi suis-je accusé ?" et "Suis-je libre de m'en aller ?".

Maintenant, il est certain que si vous avez quelque chose à vous reprocher parce que vous avez commis une infraction, on va dire qu'il faut être plutôt obéissant …


Et si je suis placé en garde-à-vue ?

Ce que je recommande, c'est d'abord de demander à ce qu'on vous notifie vos droits. Dans le cadre d'une garde-à-vue, vous avez le droit à un avocat dès la première heure. J'insiste là-dessus, parce que j'ai pu remarquer que souvent, quand j'étais de permanence, les gens d'ici ne font pas systématiquement appel à l'avocat commis d'office, contrairement à la métropole. C'est soit parce qu'on les en a dissuadés, qu'on a pu leur dire que ce n'était pas nécessaire, ou que eux-mêmes l'ignorent.

Normalement, les forces de l'ordre sont obligées de vous dire que vous avez droit à un avocat, à prévenir votre employeur et/ou votre famille, et que vous avez aussi droit à avoir la visite d'un médecin dès le début de la garde à vue.


Et si je suis juste convoqué pour un interrogatoire ?

Si vous êtes entendu libre, il est possible d'y aller seul, ou assisté d'un avocat. Mais là ce n'est plus un droit. Mais quand on arrive libre, on peut repartir quand on le souhaite, sauf si on est placé en garde-à-vue.

En France, la différence avec le système américain, c'est que vous êtes présumé innocent tant que vous n'avez pas été jugé, c'est le parquet qui doit démontrer votre culpabilité. C'est un système inquisitoire, alors qu'aux États-Unis c'est un système accusatoire, où vous êtes présumé coupable et vous devez démontrer votre innocence par vos propres moyens.


Dans les cas plus graves, que se passe-t-il pour quelqu'un pris en flagrant délit ?

Là, tout s'accélère très vite. Tout de suite, les pouvoirs donnés aux policiers et aux gendarmes ne sont plus les mêmes que dans le cadre d'une enquête préliminaire. La flagrance permet d'arrêter les gens et leur notifier leurs droits très vite.

Mais je pense que la meilleure chose est toujours de se tenir informé auprès de son avocat sur la meilleure attitude à avoir. Il faut toujours parler à son avocat avant de parler aux forces de l'ordre, et ce n'est pas parce que l'on est pris en flagrance qu'il faut tout de suite avouer des choses, surtout si ces aveux seraient erronés ou donnés sous l'effet de la peur ou de la surprise. La meilleure attitude à avoir est d'obéir à la police et aux gendarmes d'une part, les suivre s'ils nous le demandent ou de procéder à un contrôle d'alcoolémie. En revanche, il vaut mieux ne pas parler avant d'avoir consulté son avocat.


Que peut faire l'avocat lors de la garde-à-vue ?

Il est important de savoir que nous, les avocats, nous avons juste une notification avec l'infraction qui est reprochée à l'accusé, mais nous n'avons pas accès à l'intégralité du dossier. Donc à la garde-à-vue, il se joue beaucoup de choses, mais nous n'avons pas beaucoup d'éléments. Nous avons le droit à 30 minutes d’entretien avec nos clients, où il va nous indiquer ce qu'il a fait. C'est un entretien confidentiel bien sûr. Ensuite, nous pouvons assister aux auditions, qui peuvent durer une heure à deux jours.


Vaut-il mieux avouer directement ?

Les Polynésiens ne sont pas des gens prompts à mentir. Ils ont tendance à dire la vérité, et parfois même à aggraver leur cas en donnant des détails qui peuvent faire passer une affaire grave d'un meurtre à un assassinat, par exemple. La préméditation, si elle n'est pas caractérisée par des actes, on ne peut pas la deviner. Mais si on le dit, ça change la donne…

Le conseil que je donne c'est de bien prendre connaissance des infractions qui vous sont reprochées pour savoir précisément de quoi on vous accuse. Et puis il faut attendre l'avancée de notre dossier pour savoir ce qui est intéressant ou non de dire. Parfois, dans la peur ou la panique, les gens peuvent dire des choses qui ne sont pas le reflet de la réalité, et après une fois reposés, ils se rendent compte qu'ils ont dit des choses qui vont leur porter préjudice. Ils essayent alors d'indiquer que ce n'était pas la réalité. Mais ça, c'est préjudiciable : quand vous adoptez une version, vous la conservez tout le long. Il n'y a rien de pire pour un juge que de constater qu'une personne est en mesure de mentir, parce qu'après elle perd toute crédibilité.

Donc : on ne ment pas !


Y-a-t-il des cas où il vaut mieux se défendre seul ?

C'est vrai qu'ici on n'a pas ce réflexe de faire appel à l'avocat. Il y a ce discours qui circule, et je l'ai vraiment beaucoup entendu, que "si on fait appel à l'avocat c'est déjà un peu se reconnaitre coupable", ou que "ça ne va rien nous apporter". Mais c'est complètement faux.

Surtout qu'il y a toujours un avocat commis d'office de permanence, prêt à défendre toute personne, de jour comme de nuit. En fonction des revenus, il peut être gratuit, et il va permettre une défense optimale du client. L'avocat est utile à tous les échelons de la procédure. Le jour du procès, il le présentera sous son meilleur jour, l'avocat pourra expliquer au tribunal pourquoi il a fait ce qu'il a fait. Selon la motivation de l'accusé, ce n'est pas la même infraction et pas la même peine…


Faut-il accepter la procédure de comparution immédiate ?

Dans le cadre de cette procédure accélérée, un très large panel d'infractions peut être jugé. J'y vois beaucoup plus de mandats de dépôts, où le condamné part directement à Nuutania.

La comparution immédiate, c'est un peu de la "justice rapide", avec les avantages et les inconvénients. L'avocat n'aura pas nécessairement le temps d'examiner votre dossier, de prendre connaissance des éléments de votre vie personnelle et de votre situation de travail, ce qui fait que finalement on a parfois intérêt à demander un renvoi. C'est un droit que vous aurez obligatoirement, pour préparer votre défense. Mais il est possible que soyez mis en prison le temps de ce renvoi… Qui aura lieu dans les deux mois.

C'est vrai qu'ici le renvoi est rarement demandé. Pourtant je pense que les comparutions immédiates, il faut les accepter surtout dans la mesure où vous avez un casier judiciaire vierge, que vous avez une situation professionnelle, ou que vous avez une famille à charge. Il y a très peu de chances d'aller en prison dans ces cas-là, sauf si l'infraction est très grave.


Est-ce que ça peut aider de dénoncer d'autres criminels ?

Honnêtement, sur le Territoire, les gens ont tendance à indiquer quels sont les co-auteurs, leurs fournisseurs de drogue, etc. Ça ne va pas nécessairement diminuer leur peine. Il n'y a pas de négociation comme aux États-Unis, on ne peut pas négocier sa peine, sauf avec une procédure spéciale pour les infractions minimes, la "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité", où l'avocat est obligatoire. Mais sinon on n'a aucune marge pour négocier sa peine.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 30 Juin 2015 à 12:29 | Lu 6736 fois