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Que sait-on vraiment des terres rares en Polynésie française ?


Les ressources minières des profondeurs océaniques constituent des réserves importantes de métaux (cobalt, fer, manganèse, platine, nickel, or, argent, cuivre, terres rares, etc.), mais elles sont généralement situées à des profondeurs variant de quelques centaines à plusieurs milliers de mètres, ce qui les rend particulièrement difficiles à explorer, encore plus à exploiter (Photo CNRS).
Les ressources minières des profondeurs océaniques constituent des réserves importantes de métaux (cobalt, fer, manganèse, platine, nickel, or, argent, cuivre, terres rares, etc.), mais elles sont généralement situées à des profondeurs variant de quelques centaines à plusieurs milliers de mètres, ce qui les rend particulièrement difficiles à explorer, encore plus à exploiter (Photo CNRS).
PAPEETE, le 4 novembre 2015. Alors que l'exploration et l'exploitation des gisements miniers sous-marins devient un enjeu majeur, les informations concernant le potentiel de la Polynésie française restent éparses. Toutefois un rapport d'expertise publié en juin 2014 par un collectif scientifique du CNRS et de l'Ifremer permet de faire un point d'étape.

On sait depuis quelques années déjà que "la ZEE (zone économique exclusive) de Polynésie Française présente un grand nombre d’encroûtements cobaltifères et des sulfures polymétalliques", cela a été confirmé, en 2011 par l'Ifremer et par une étude japonaise menée par une équipe de géochimistes de Tokyo sur les sédiments pélagiques de l'océan Pacifique qui "montrent un enrichissement important en terres rares". Toutefois, dès la publication de cette étude japonaise des doutes apparaissent quant aux concentrations réelles. "La connaissance du potentiel réel des sédiments de Polynésie implique de réaliser un maillage d’échantillonnage resserré afin de déterminer la continuité latérale et verticale ainsi que les variations de concentrations en terres rares. La conclusion de l’équipe japonaise qui indique qu’1 km2 de sédiments de ces boues fournirait 1/5 de la consommation mondiale (1377 tonnes en 2009) de terres rares parait prématurée" indique ainsi le rapport d'expertise français publié en juin 2014.

On y apprend par ailleurs que la prospection des nodules polymétalliques dans le Pacifique a débuté par le Pacifique Sud autour de la Polynésie française pour continuer dans le Pacifique Nord, autour de Clipperton. On y apprend aussi que cette prospection avait, dès le départ, des visées non pas scientifiques mais que "l'exploration des nodules a été réalisée dans le cadre de prospection minière".

Ainsi une exploration du Pacifique sud est menée dès 1970 par le Centre National pour l'Exploitation des Océans (СNEХО). Il s'agit alors d'une étude des données existantes sur les nodules polymétalliques : répartition géographique des indices, teneurs et abondance des nodules, relation avec la physiographie des fonds, nature des sédiments, présence de volcanisme, etc... "Les fonds océaniques proches de la Polynésie française faisaient partie des zones jusqu'alors peu connues et où pouvait exister une sédimentation ralentie favorable à la présence de nodules riches en manganèse, nickel et cuivre. C'est tout naturellement dans cette zone que les premiers travaux d'exploration systématique ont été entrepris à partir de la base de Vairao que le СNEХО avait installée dans l'île de Tahiti". Durant cette période qui va durer quatre années au total, 16 campagnes d'exploration et une campagne de dragage ont été réalisées, totalisant 451 jours à la mer et 2241 prélèvements effectués : le poids total de nodules recueillis а atteint près de huit tonnes. "Les travaux de laboratoire comportèrent plus de 17 000 analyses chimiques (essentiellement métaux principaux Fe, Mn, Cu, Ni, Zn), des études aux microscopes métallographique et électronique, l'analyse minéralogique aux rayons Х, des études à la microsonde électronique". Puis l'exploration systématique de la zone autour de Clipperton est effectuée. "Simultanément, des campagnes de prospection sur les encroûtements cobaltifères sont faites en Polynésie française".

Où en est-on de l'exploration ?

Malgré plusieurs campagnes océanographiques françaises et étrangères depuis les années 1970, la ZEE de Polynésie française "reste encore mal connue notamment en ce qui concerne la topographie de détail des fonds marins et leur nature". Les chaines volcaniques de Polynésie française sont bien documentées et sont considérées comme des points chauds. La présence de nodules riches en cobalt est connue dès 1965. Les missions réalisées en 1970 permettent "l'échantillonnage des premiers encroûtements dans cette partie du Pacifique". En 1986 et 1987, l'archipel des Tuamotu est l'objet d'une mission scientifique réalisée par l'Ifremer et porte sur "la reconnaissance de plusieurs sites d'encroûtements cobaltifères". Sont particulièrement étudiés des sites au nord de Mataiva, mais aussi Niau et Anaa. Cela permet "d'identifier une nouvelle province géochimique cobaltifère dans le Pacifique".

Dix ans plus tard, en 1996 et 1999 les campagnes ZEPOLYF1 et ZEPOLYF2 (pour Zone Economique de POLYnésie Française) ont consisté à établir la topographie précise des fonds océaniques de la ZEE de Polynésie Française et à faire l'inventaire de ses ressources potentielles biologiques et minérales. Le premier objectif du programme ZEPOLYF était de répertorier et représenter tous les monts sous-marins et les hauts-fonds dont la profondeur est inférieure à 2 000 m par une cartographie de détail. Le deuxième objectif consistait à identifier les ressources biologiques par des campagnes de pêche expérimentale. "Le troisième objectif était la réalisation d'un inventaire des ressources minérales de type encroûtements sur ces hauts-fonds".

Il en ressort, en ce qui concerne les encroûtements cobaltifères que "les secteurs cartographiés durant la campagne ZEPOLYF1 (chaîne des Savannah, secteur Va'a Piti) présentent des niveaux d'intérêt différents. L'échantillon de basalte dragué par 3000 m et qui présente une forte épaisseur d'encroûtement métallifère (teneur en Co entre 0.38 et 0.46%) semble indiquer que les conditions sont réunies pour faire de cette zone, une zone favorable pour des travaux d'inventaire futurs". 20 ans plus tard, le constat est donc posé mais la précision réelle de ces gisements, de leur possibilité d'exploration et d'exploitation reste à apporter. Se pose enfin la compétence de l'exploration et de l'exploitation. Pour l'heure la Polynésie française a la main sur sa ZEE mais pas ce qui concerne les gisements miniers stratégiques, d'où une proposition de résolution déposée par Marcel Tuihani, le président de l'Assemblée de Polynésie pour modifier cet état de fait.

600 ans de ressources mondiales pour le cobalt et 22 ans pour le platine en Polynésie

"Les estimations montrent que 6,35 millions de kilomètres carrés, soit 1,7 % de la surface des fonds des océans, sont recouverts d’encroûtements de manganèse. Du point de vue économique, beaucoup reste à faire pour évaluer les dépôts, localiser les zones les plus fortement concentrées en métaux et identifier des zones relativement planes et continues sur lesquelles un ramassage serait possible. Les concentrations les plus élevées (maximum de 1,9 % pour le cobalt et de 4,5 g/t de platine) sont situées en Polynésie. Dans la zone des Tuamotu, les croûtes forment un tapis plat et continu sur des formations sédimentaires indurées. Dans cette zone, on estime qu’une surface de 100 km2 de fond marin contient environ 10 millions de tonnes de croûtes polymétalliques, ce qui représente plus de 100 000 tonnes de cobalt et 10 tonnes de platine (pour des concentrations de 1 % en Co et de 1 g/t en Pt).

Les images sonar existant en Polynésie ont permis de déterminer que les substrats durs favorables à la formation des encroûtements représentent environ 50 000 km2. Il y aurait donc en Polynésie, environ 50 millions de tonnes de cobalt et 5 000 tonnes de platine, ce qui représente, au taux de consommation mondiale actuel (88 000 t/an pour le cobalt et 230 t/an pour le platine), près de 600 ans de ressources pour le cobalt et près de 22 ans pour le platine.

Il convient cependant de nuancer ces chiffres, car beaucoup de zones, telles que les pentes des volcans, présentent des rugosités trop élevées pour un ramassage efficace. Comme pour les nodules, une réelle évaluation du potentiel des encroûtements métallifères implique de réaliser des cartographies en haute résolution près du fond marin afin de déterminer la continuité des minéralisations et de rechercher des zones relativement plates, qui seraient seules favorables à un ramassage
".

Les zones potentielles en Océanie

Plusieurs zones apparaissent déjà prospectives pour l’exploration des encroûtements hydrogénétiques. La plus intéressante demeure la région du Pacifique Equatorial Central où de nombreuses études ont été menées durant ces dernières décennies. Particulièrement, la ZEE exclusive des Etats-Unis avec les îles Marshall. Toutefois, les ZEE des Kiribati et de la Polynésie française bien que moins étudiées, présentent tous les critères régionaux et locaux nécessaires au développement d’encroûtements potentiellement économiques.

Enfin il existe deux sites situés dans la ZEE de Papouasie-Nouvelle-Guinée et appartenant à la société Nautilus Minerals (Inc.) où les données sont suffisantes pour proposer une estimation des ressources. "Nautilus est la seule société à avoir obtenu un permis d’exploitation pour les sulfures massifs océaniques en 2011. L'estimation des ressources minérales menée par la société Nautilus a permis d'identifier dix-neuf sites tous situés dans la ZEE de Papouasie-Nouvelle-Guinée".

A part le cas de la Papouasie-Nouvelle-Guinée qui est actuellement le seul pays à avoir délivré des permis d'exploitation minière des sulfures hydrothermaux en eau profonde, d'autres pays ont délivré des licences d'exploration ou réalisé des campagnes d'exploration dans leur ZEE. C'est le cas de Tonga, des Iles Salomon, de Fiji, du Vanuatu et de la Nouvelle-Zélande.

Des études d’évaluation précises vont très probablement être entreprises dans les 10 à 15 prochaines années. En effet, trois pays ont fait la demande auprès de l’ISA (International Seabed Authority) pour obtenir un permis d’exploration pour les encroûtements. La Chine et le Japon ont fait leurs demandes respectives en juillet et août 2012 alors que la demande russe a eu lieu en février 2013.


Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 4 Novembre 2015 à 23:16 | Lu 6696 fois