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Yves Dhiéras : “Je conseille la cuisine à tout le monde !”


TAHITI, le 23 août 2023 - Alors que le lycée hôtelier de Punaauia s’apprête à fêter ses 20 années d’existence, Yves Dhiéras revient sur son parcours. Entré dans le monde de la restauration par hasard, il est aujourd’hui professeur de cuisine. Malgré les obstacles et difficultés, il invite le plus grand nombre à se lancer dans le secteur.

Voilà 20 ans cette année que le lycée hôtelier est installé à Punaauia. Il a ouvert à la rentrée 2003-2004 et a été officiellement inauguré en février 2004. Il était auparavant installé à Papeete, non loin du Taaone où il est resté ouvert une vingtaine d’années. Dès l’ouverture, près de 500 à 600 élèves se sont inscrits, en majorité des niveaux CAP et BEP. Peu visaient des baccalauréats et BTS. Au fil du temps, la tendance s’est inversée. Sans doute parce que plusieurs établissements ont ouvert des filières à Tahiti et dans les îles de CAP et BEP cuisine/restauration… Aujourd’hui, sont proposées au lycée hôtelier de Punaauia des CAP, baccalauréats, BTS et mentions complémentaires en sommellerie, accueil/réception, pâtisserie/chocolaterie/confiseur/glacier, cuisinier dessert de restaurant, barman…

Yves Dhiéras, professeur de cuisine, est là depuis le début, ou presque. Il est arrivé pour la rentrée 2004-2005. Tout au long de ces années, il a pu suivre l’évolution des besoins, des aménagements, des élèves. Il a préparé un certain nombre d’entre eux pour des concours locaux et internationaux. Il pense à demain, évoquant la possibilité d’ouvrir son propre établissement.

“Je me suis accroché”

Yves Dhiéras est né en 1965 à Bordeaux. “Pendant longtemps, je n’ai pas su ce que je voulais faire.” Son meilleur ami, Bruno, lui a annoncé un jour avoir le projet de s’inscrire dans un lycée pour faire un BEP cuisine. “On était vraiment inséparable. J’ai passé le concours pour pouvoir intégrer l’établissement.” Le jour de la rentrée, Yves Dhiéras a cherché son ami, il a lu et relu avec attention les listes d’élèves de chacune des classes. En vain. “En rentrant à la maison, le soir, je l’ai appelé. Sa mère avait changé d’avis pendant l’été et l’avait envoyé dans le secteur bancaire.”

Pour Yves Dhiéras, qui décida de rester en cuisine, ce fut une découverte totale. “Je ne viens pas d’une famille de restaurateurs, je ne connaissais rien de ce milieu.” Il se rappelle que les matières théoriques ne lui posaient aucun souci. “Je sortais d’un collège privé, j’avais un bon niveau.” La pratique, en revanche, lui a posé certaines difficultés. “Je n’étais vraiment pas du tout parmi les meilleurs. Mais je me suis accroché !” L’envie est venue, petit à petit.

Avec son ancien élève, Alann Poilvet, en 2019. Celui-ci est revenu de l’Hexagone avec le titre honorifique de Meilleur apprenti de France cuisine (MAF).
Avec son ancien élève, Alann Poilvet, en 2019. Celui-ci est revenu de l’Hexagone avec le titre honorifique de Meilleur apprenti de France cuisine (MAF).
Il a obtenu un BEP en deux ans, puis s’est mis au travail sans attendre. Il a été pris chez un pâtissier traiteur “pour compléter ma formation”, précise-t-il. Il a fait une saison sur la côte Atlantique, à Arcachon, et a enchaîné avec une place dans un Relais & Châteaux à Bordeaux. “L’établissement avait un macaron au guide Michelin.” Il y est resté une année en 1983-1984. “Le métier est difficile, au niveau physique, mais aussi au niveau des horaires, de la vie sociale et familiale. On vit en décalé.” Pour autant, Yves Dhiéras encourage les plus motivés à se lancer. “Quand on bosse et qu’on a envie, il y a des débouchés, et on peut rapidement monter dans l’échelle d’une brigade.”

La brigade est l’équipe en cuisine, elle est composée d’un chef, d’un adjoint ou second, de chefs de partie. Les parties sont les spécialités : sauces, viandes, poissons, pâtisserie, boulangerie… “On commence toujours commis. On doit alors nettoyer, parer, éplucher, portionner… On est d’abord une petite main, puis on monte.” Il faut apprendre, mémoriser, engranger de l’expérience. Yves Dhiéras a évolué dans différentes parties.

En 1984, il est “monté à Paris” avec un disciple de la maison Troisgros qui l’avait repéré. L’objectif ? Reprendre une affaire. Yves Dhiéras s’est retrouvé employé dans le quartier de la Gaité (14e arrondissement) au restaurant Les îles Marquises… Ce nom était un clin d’œil au chanteur Jacques Brel. “Il donnait des spectacles de temps en temps au théâtre Bobino qui se trouvait non loin. En sortant de scène, il venait dîner chez nous.”

Cap sur Tahiti

En 1985, Yves Dhiéras est appelé pour faire son service militaire. En raison de son parcours, il est envoyé dans les cuisines d’un ministère. Il a été placé auprès de Georges Fillioud, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des techniques de communication de mars 1983 à mars 1986. Un jour, Gaston Flosse, président de la Polynésie français, est passé. “Il m’a demandé de le rejoindre en Polynésie pour travailler à la présidence. Je ne connaissais absolument pas Tahiti, je n’avais jamais envisagé y aller un jour. Surtout, je me voyais plutôt faire un tour de France des bonnes maisons pour gagner en expérience.” Finalement, après une mûre réflexion, Yves Dhiéras a mis le cap sur le fenua. Il est arrivé le 24 juillet 1986. Il y a fait sa vie.

Il est resté plusieurs années dans la cuisine de la présidence. Il a fini par démissionner, “sous un autre président”, dit-il. Il a fait quelques remplacements en tant que professeur dans le privé, puis a repris ses études. “Je m’étais bien aperçu que sans diplôme on gagnait moins.” Il a passé et obtenu un baccalauréat. “Apprendre m’a enchanté. J’ai poursuivi avec un diplôme de premier cycle en économie-gestion, l’équivalent d’un BTS.” Un diplôme qu’il a mis en sommeil.

En 1991, il a été rappelé dans les cuisines de la présidence où il est resté de 1991 à 2004. Les réceptions étaient très régulières, de même que les déplacements. “L’idée était de faire rayonner la Polynésie”, raconte celui qui s’est déplacé dans le Pacifique, en France… Il était chargé de proposer des menus de petit déjeuner, déjeuner et/ou dîner puis de les réaliser après validation. “Je suis toujours resté aux fourneaux.


Médaille d'or et vainqueur du concours International Secondary School Culinary Challenge en Australie en 2016 avec Alann Poilvet et Tehuiarii Papaura ainsi que leur professeur.
Médaille d'or et vainqueur du concours International Secondary School Culinary Challenge en Australie en 2016 avec Alann Poilvet et Tehuiarii Papaura ainsi que leur professeur.
Des élèves attachants

Un ami, un jour l’a interpellé : “Pourquoi n’envisages-tu pas de devenir prof au lycée hôtelier ?” Yves Dhiéras est allé voir. Il y est resté de 2004 à 2006, a dû retourner en France afin de passer le concours pour avoir un poste. Il en a trouvé un, une fois diplômé, à Bora Bora au Cetad avant d’intégrer définitivement le lycée hôtelier en 2009.

Il constate que les élèves, ”très attachants”, fonctionnent “à l’affectif”. Ils sont de plus en plus “vifs”, mais également “moins endurants”. Ils veulent “tout, tout de suite”. Ce qui n’est pas une critique, mais un constat en lien, sans doute, avec les réseaux, l’internet… “Nous aussi, enseignants, avons changé. On est les premiers à utiliser l’internet.”

“Nous avons de jeunes talents”

De 2009 à 2018, avant la pandémie, il a préparé des élèves à des concours internationaux comme l’International Secondary School Culinary, s’est déplacé avec eux en Australie, à Taïwan, au Japon… Il a encouragé, soutenu les nouvelles générations, revenant parfois avec des médailles d’or ou d’argent. Il affirme : “Nous avons des jeunes talents, des élèves très habiles qui ont beaucoup de goût”.

Le métier de restaurateur, pour Yves Dhiéras, est associé au plaisir, au partage, mais aussi à la santé. “Nous devons être ceux qui proposent l’équilibre, nous ne devons pas cuisiner pour le seul profit au détriment de la santé.” Il annonce consacrer ses dernières années d’enseignement à transmettre ces messages. Il indique prôner également la réduction des déchets et du gaspillage alimentaire. Et ensuite ? “Je ne m’interdis pas, un jour, de faire quelque chose, d’ouvrir un restaurant ludique, convivial.” Les métiers de la cuisine ? “Je les conseille à tout le monde !”, résume-t-il.

Un lycée dans la “moyenne haute”

Il s’étend sur 5 hectares avec 22 000 m2 de bâtiments pour 600 élèves et étudiants. Une centaine de personnes y travaillent. Il est dans la moyenne haute des lycées hôteliers français en termes d’infrastructures et de formations.

Rendez-vous

Les festivités pour les 20 ans du lycée auront lieu principalement du 20 au 24 novembre. Chaque jour, l’une des filières de l’établissement sera mise en avant. Une soirée de gala sera donnée le samedi 18 novembre pour lancer la semaine. Le vendredi 24 novembre un grand ahimā’a est prévu.

FB : L actualité du lycée hôtelier de Tahiti

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 23 Août 2023 à 19:09 | Lu 1434 fois