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Vote et inégalités plus que jamais liés, selon Julia Cagé et Thomas Piketty


MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
Paris, France | AFP | mercredi 06/09/2023 - Jamais la France n'avait été aussi polarisée politiquement entre pauvres et riches, concluent Julia Cagé et Thomas Piketty dans une somme de 850 pages sur l'histoire des élections en France au regard des inégalités socio-économiques.

"Une histoire du conflit politique", publié vendredi par les éditions du Seuil, est le fruit de cinq ans de travail de ces deux époux économistes.

Ils ont croisé les résultats des élections dans plus de 36.000 communes françaises avec le profil social et économique de la population de ces communes, depuis 1789.

Et le résultat est net. Aux dernières élections en date, le patrimoine, le revenu et le statut professionnel des électeurs, et celui de leur voisins, permettent de prédire comme jamais auparavant s'ils voteront à gauche, au centre-droit, ou à l'extrême droite.

"Le vote Macron est-il le plus bourgeois de l'histoire?", s'interrogent-ils par exemple au sujet de la présidentielle remportée par Emmanuel Macron en 2022. Oui: le président sortant s'y est montré, comme aucun autre avant lui, fort dans les communes riches urbaines et faible dans les communes pauvres rurales.

La richesse "premier facteur" 

Les auteurs parlent de "classe géo-sociale". Ce qui fait la classe d'un électeur, résume Julia Cagé à l'AFP, c'est "le revenu, le capital immobilier, la profession, le niveau d'éducation" et le lieu d'habitation, "un village, un bourg, une banlieue, une métropole".

"La richesse est le premier facteur", complète Thomas Piketty. "Mais juste après, il y a cette insertion dans le tissu territorial et productif. Si on prend toutes ces dimensions de la classe géo-sociale, on explique, à l'élection présidentielle de 2022, 70% des écarts de vote entre communes".

"La proportion d'immigrés ou d'étrangers, toutes les variables liées aux origines, vont expliquer environ 2% en plus de ces écarts de vote. Donc très peu", ajoute-t-il.

En se lançant dans ce travail colossal, les auteurs avaient la conviction que les écarts entre riches et pauvres resteraient bien plus déterminants que des facteurs culturels ou communautaires. Mais pas à ce point, à des niveaux même pas vus lors de l'élection de François Mitterrand en 1981.

Aux théories naguère en vogue du géographe Christophe Guilluy sur "la France périphérique", réservoir de voix pour l'extrême droite, ils répondent par des données plus fines.

Elles font par exemple apparaître des campagnes riches qui restent conservatrices, malgré leur éloignement des centres urbains, comme le département de la Mayenne, tandis que d'autres sont conquises par l'extrême droite, comme les Ardennes. Et il y a des banlieues pauvres qui sont durablement ancrées à gauche, comme la ville de Roubaix, limitrophe de villes très riches qui sont des réservoirs importants pour Emmanuel Macron.

"Il serait absurde de renvoyer toute forme de clivage rural/urbain à un conflit de type identitaire", écrivent les deux économistes.

Trois blocs 

Après une vie politique marquée par l'alternance droite-gauche entre 1910 et 1992, la montée du Front national a bouleversé le paysage. Aujourd'hui, Julia Cagé et Thomas Piketty parlent de trois "blocs": "social-écologique" à gauche, "libéral-progressiste" pour la majorité présidentielle et ses satellites, et "national-patriote" pour le Rassemblement national et les autres droites radicales.

Le premier et le dernier se partagent "le vote populaire". Le deuxième récolte les voix des Français les plus favorisés, qui se déplacent plus systématiquement aux urnes.

D'après ces auteurs classés à gauche, l'histoire devrait fournir quelques motifs d'espoir à leur camp politique. Cela passera par les campagnes, les bourgs et villes moyennes, le péri-urbain, où selon eux abstentionnisme et vote RN ne sont pas une fatalité.

"La perspective de reconstituer une majorité populaire de gauche, à travers un programme qui parle davantage aux classes populaires notamment rurales, n'est certainement pas facile, mais plus atteignable que ce qu'on dit parfois", estime Thomas Piketty.

le Mercredi 6 Septembre 2023 à 06:36 | Lu 469 fois