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Virus: l'inquiétante ruée des Indonésiens sur l'ivermectine, un antiparasitaire


Jakarta, Indonésie | AFP | jeudi 07/07/2021 - Les Indonésiens s'arrachent l'ivermectine, un traitement antiparasitaire plébiscité par des hommes politiques et des influenceurs comme un remède miracle contre le Covid-19, en dépit des recommandations officielles contre ce produit.

L'archipel est confronté à sa pire vague épidémique depuis le début de la crise du Covid-19, avec des centaines de décès, plus de 30.000 nouveaux cas chaque jour et un système de santé débordé.

Dans tout le pays, les pharmacies font état d'une ruée sur l'ivermectine, un médicament normalement utilisé contre les infections parasitaires, et ce en partie à cause de publications sur les réseaux sociaux qui louent son potentiel contre le coronavirus.

"Nous n'en avons plus car de nombreux clients sont venus en acheter", témoigne Yoyon, responsable d'une association professionnelle de pharmaciens de la capitale, qui comme beaucoup d'Indonésiens n'a qu'un seul nom.

"Les gens arrivent avec une capture d'écran disant que l'ivermectine peut guérir du Covid", ajoute-t-il expliquant que le prix de la bouteille est passé de 175.000 roupies (10 euros) à 300.000 roupies.

Cet engouement pour ce traitement découle aussi de la publicité qu'en font certaines personnalités très populaires.

"L'ivermectine est une des clés, sûres et efficaces, pour venir à bout de la pandémie", assure ainsi Reza Gunawan, qui se décrit comme un "professionnel de la santé holistique" de Jakarta, dans un message sur Twitter à ses 350.000 abonnés.

"Peut-être que c'est vrai" 

Iman Sjafei, cofondateur du média Asumsi, soutient sur le même réseau social que cinq de ses proches se sont rétablis du Covid-19 en prenant ce médicament.

"Peut-être que c'est un placébo. Peut-être. Mais peut-être aussi que c'est vrai", avance-t-il.

Sylvie Bernadi, une habitante de la capitale, dit en avoir acheté pour des proches après avoir lu sur les réseaux sociaux des publications qui en louaient les vertus.

"Beaucoup disent que cela peut guérir du Covid-19 alors j'en ai acheté", témoigne cette femme de 66 ans, tout en reconnaissant que certains se sont aussi plaints d'effets secondaires.

Alimentée par la mouvance antivaccin et les théories du complot qui circulent sur Internet, la demande en ivermectine a aussi bondi ailleurs dans le monde, comme au Brésil, en Afrique du Sud ou au Liban.

Mais son fabricant, Merck, a assuré que l'idée d'un "potentiel effet thérapeutique contre le Covid-19 n'a aucune base scientifique" et averti de possibles risques si le médicament n'était pas correctement administré.

De nombreux scientifiques, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les agences sanitaires de nombreux pays, dont l'Indonésie, ont tous souligné l'absence de preuves crédibles d'un impact positif de l'ivermectine contre le coronavirus.

"Les données actuelles sur l'utilisation de l'ivermectine pour traiter les patients atteints de Covid-19 ne sont pas probantes", assurait ainsi l'OMS le 31 mars.

"Je ne suis pas médecin, mais..." 

"Notre recommandation est de ne pas utiliser l'ivermectine pour des patients atteints du Covid-19. Ceci s'applique quel que soit le niveau de gravité ou de durée des symptômes", avait expliqué Janet Diaz, responsable de l'équipe clinique chargée de la riposte au Covid-19 au sein de l'agence onusienne. 

Cela n'a pas empêché le magnat et ministre indonésien des Entreprises publiques Erick Thohir de tresser des louanges à ce médicament et de militer pour sa production en Indonésie afin de contrer l'actuelle flambée épidémique.

L'ancien propriétaire du club de football de l'Inter Milan et actionnaire de la franchise de basket des Philadelphia 76ers a encore récemment préconisé que le géant pharmaceutique public indonésien Indofarma produise jusqu'à quatre millions de comprimés d'ivermectine chaque mois.

Il a reconnu que davantage d'essais étaient nécessaires pour certifier l'efficacité du produit et exhorté les patients à obtenir une ordonnance avant de le prendre.

Mais tous n'ont pas pris cette précaution.

"Je ne suis pas médecin, mais au vu du désespoir et des difficultés, je crois qu'il faut tout tenter", a déclaré Susi Pudjiastuti, un ancien ministre de la Pêche toujours très populaire qui compte 2,5 millions d'abonnés sur Twitter.

Partout dans le monde, la lutte contre la pandémie a été plombée par les théories du complot et la désinformation, qui sont parfois propagées par des personnalités publiques.

Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte a ainsi fait pression sur le régulateur pour que l'ivermectine soit approuvée contre le coronavirus.

"Il y a beaucoup de gens crédibles qui jurent sur la tombe de leur père que l'ivermectine leur a fait du bien alors qu'ils souffraient du Covid", a-t-il récemment soutenu.

L'OMS a formellement recommandé de n'administrer ce médicament que dans le cadre d'essais cliniques. L'agence américaine du médicament, la FDA, a également averti de risques après l'hospitalisation de patients qui avaient ingéré une version du médicament destinée aux chevaux.

le Jeudi 8 Juillet 2021 à 06:57 | Lu 467 fois