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Un trafic amateur frôle la comédie


Tahiti, le 10 septembre 2024 – Ce mardi, au tribunal correctionnel, cinq prévenus ont été condamnés pour avoir tenté d'importer un peu plus d'1 kg d'ice depuis les États-Unis. Une fine équipe composée d'un sexagénaire primo-délinquant, d'un traducteur qui ne parle pas anglais, d'un ex-détenu récidiviste fiché par les autorités, et de deux financeurs frappés par la mauvaise foi et assurant simplement avoir rendu service. Une vaste plaisanterie qui n'a évidemment trouvé aucun public devant le tribunal.
 
Si on ne s'improvise pas docteur, ingénieur ou expert, force est de constater qu'on ne s'improvise pas trafiquant de drogue non plus. Une idée folle qui a pourtant traversé l'esprit d'un sexagénaire, accablé par des problèmes d'argent, et qui a pris forme au contact d'un ex-détenu motivé mais inepte. Un duo improbable mais réel, embarqué dans une mascarade sans retour possible.
 
En effet, les deux acolytes, obnubilés par le potentiel financier de l'ice en Polynésie [100 à 120 000 francs le gramme selon le parquet, NDLR] et ne disposant pas de traducteur, ni de financeur, ont dû s'entourer d'autres complices afin de mettre à l'œuvre leur machination. L'ex-détenu a donc fait appel pour l'occasion à une vieille connaissance du milieu carcéral afin qu'il se charge des négociations en anglais, mais également à son employeur, afin qu'il finance leur périple californien. Seul problème, si l'employeur a effectivement accepté de financer les billets d'avion et “l'argent de poche” de son employé, cela n'a pas été le cas concernant son complice, le soit-disant traducteur. Ce dernier a donc sollicité l'aide d'un autre ami rencontré en prison, le désormais très célèbre “Kikilove ”. Incapable de résister à la tentation, Kiki a accepté de lui prêter de l'argent en contrepartie d'une “petite” quantité d'ice. Une mission bien trop lourde pour les frêles épaules du traducteur auto-proclamé et qui d'ailleurs ne manquera pas de tout faire capoter.
 
Car une fois les pieds posés sur le sol américain et la mission enclenchée, difficile de jouer plus longtemps la comédie. L'intéressé ne parle pas anglais – ou très peu –, et ne se sent plus l'âme d'un trafiquant. L'ex-détenu, quant à lui, n'a pas été aussi à l'aise et dégourdi qu'il l'avait prévu. Rejoint un peu plus tard par le sexagénaire dont la mission de base était uniquement de s'occuper du transit de la marchandise, ce dernier a vite pris les commandes de l'opération en voyant l'amateurisme de ses deux complices. Et conscient du danger que représentait le fait de jouer les mules, l'homme eut la “bonne” idée de cacher le kilo d'ice du trafic dans une remorque qu'il a ensuite affrété par bateau. Une opération sans encombre, ou presque.
 
“J’ai réalisé que j’avais vraiment fait n’importe quoi”
 
Sur le chemin du retour, à l'aéroport, les trois acolytes se sont fait une première frayeur. Interpelé par l'achat d'un billet d'avion à seulement deux heures du départ, le service de douane américain effectue un contrôle du sexagénaire mais ne trouve rien sur lui et ne fait pas le lien avec les deux autres complices. Ouf. Mais si les trois trafiquants en herbe ont réussi à échapper à la vigilance de la douane américaine, cela n'a pas été le cas des agents de l'aéroport de Tahiti-Faa'a. L'ex-détenu et le pseudo traducteur étant fichés, impossibles pour eux de passer au travers des mailles du filet. Et si le sexagénaire a, quant à lui, réussi à se faufiler, sa joie fut de courte durée. Le traducteur étant pris sur le vif, de l'ice dans l'anus – celui qu'il devait à Kikilove –, l'enquête était lancée. Prévenu de l'arrivée de la remorque par bateau, le lien avec le sexagénaire et les financeurs a très rapidement été fait. Fin de la partie pour la fine équipe.
 
Les faits ayant eu lieu en début d'année, les cinq intéressés ont eu le temps de réfléchir à la gravité de leurs actes et leurs conséquences. “Avec le recul, je ne me reconnais pas”, a déclaré le sexagénaire à la barre ce mardi. “C'était une période difficile pour moi et je n'avais pas les idées claires à ce moment-là. J'étais en stress à cause de mes problèmes d'argent et ma famille. J'ai réalisé que j'avais vraiment fait n'importe quoi lors de mon arrestation. Ça a été très dur pour ma famille. Aujourd'hui, je suis content que la drogue n'ait pas pu circuler. Je regrette vraiment et je m'excuse auprès de la société.” Un mea culpa partagé par le traducteur : “Je sais aujourd'hui que ce que l'on a fait c'est mal. […] J'ai cinq enfants, tous placés en famille d'accueil. Ma femme était en prison, je n'étais pas bien. Je regrette tout ça. Je regrette d'avoir croisé la route des autres.” Excuses entendues mais loin d'être suffisantes. Le tribunal correctionnel a condamné les cinq individus à des peines allant de 3 à 6 ans d'emprisonnement avec mandat de dépôt, et une amende douanière solidaire de 139,8 millions de francs.
 

Rédigé par Wendy Cowan le Mardi 10 Septembre 2024 à 19:22 | Lu 4468 fois