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Un rappeur de Moorea condamné pour outrage à agent


Une image du clip "J.A le Gang de Moorea Tahiti"
Une image du clip "J.A le Gang de Moorea Tahiti"
PAPEETE, le 23 aout 2016 - C'est un cas très inhabituel qui a été présenté aux juges du tribunal correctionnel ce mardi 23 aout. Un jeune habitant de Moorea qui avait mis en ligne un clip de rap a été condamné à 5 mois de prison avec sursis pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique.

C'est une première en Polynésie française : le tribunal correctionnel de Papeete a condamné Kanaloa L., un jeune rappeur "hardcore" de Moorea, à cinq mois de prison avec sursis pour avoir créé puis partagé un clip de rap sur Youtube. On l'y voit poser avec des armes factices et une branche de cannabis. Les mots "Fuck Police" y sont écrits devant des images de voitures de gendarmes, et "Trop de cicatrices avec la police, fuck la police" est chanté par les rappeurs, les trois derniers mots étant répétés plusieurs fois lors du morceau, en même temps qu'une succession de mauvaises rimes sur le thème de la vie de ghetto à Moorea et... des guerres civiles du Printemps arabe.

La décision a été rendue ce mardi 23 aout 2016 après une courte audience où le prévenu ne s'est pas présenté, et n'était pas représenté par un avocat. Apparemment le jeune rappeur s'est désormais plongé dans sa passion pour la boxe, au point de rejoindre un club en métropole. Mais l'absence de représentation a fortement joué en sa défaveur lors de l'audience.

En effet, alors que le renvoi citait la possession de substances illégales, aucun élément de preuve n'a pu être apporté à l'audience, tandis que le jeune Kanaloa n'a pas un casier judiciaire chargé. Les armes présentes dans le clip, saisies par les gendarmes et que le juge a décidé de faire détruire, n'étaient que des airsofts et des pistolets à plombs. Finalement, seule la poursuite pour outrage à personne chargée d'une mission de service public a conduit à la condamnation.

THUG LIFE À AFAREIAITU

En l'absence de l'accusé, c'est la lecture des pièces du dossier qui permet de mieux comprendre les motivations de l'affaire. Le jeune Kanaloa est un vrai passionné de rap français, et veut imiter ses idoles en tous points. Il compose des chansons de rap avec des paroles très violentes, mais l'écoute du clip fait plutôt penser à une succession de clichés piochées à droite à gauche dans des albums de rap bien connus. Le rappeur avait déjà fait un clip en 2015, retiré de Youtube sur insistance de son père. Un an plus tard il a refait un clip avec des photos privées et des courtes vidéos de son groupe d'amis tentant de recréer les images choc utilisées par les rappeurs américains et français : d'où la pause avec des fausses armes à feu, des cristaux qui ressemblent à de l'ice et l'utilisation de la branche de paka d'un de ses ami pour une photo façon "gangsta". Le jeune rappeur, lui, est très sportif : il ne boit pas et fume très peu… En tous cas, c'est ce dernier clip qui met le feu aux poudres quand nos confrères de La Dépêche lui consacrent un article en début d'année.

La polémique dépasse rapidement le jeune homme, qui assure "ne jamais avoir imaginé qui ça irait aussi loin". Ce clip un peu ridicule est l'œuvre d'un jeune jouant au caïd en suivant l'exemple des clips de rap américain… Difficile de le prendre au sérieux.

Par contre le message "Fuck la Police" qui finira par le faire condamner, lui, serait vraiment délibéré et un cri de haine contre un système qu'il dénonce. En garde à vue, il explique aux gendarmes que son père a été accusé de trafic d'ice sans preuves, et s'est fait arrêter chez lui par les gendarmes. Son père finira à Nuutania pour trafic de stupéfiant, et le jeune rappeur racontera "avoir dormi dans la rue, sans rien à manger, jusqu'à ce qu'on me vienne en aide." L'insulte aux forces de l'ordre qu'il a inclus dans le clip serait sa façon de protester contre un système qu'il juge inique.

DES CONDAMNATIONS TRES RARES

Les condamnations pour des paroles de chansons, même si elles sont de piètre qualité, sont très rares en France et se font généralement annuler en appel. Le cas le plus célèbre de procès contre un rappeur qui a abouti à une condamnation concernait NTM en 1996, quand le groupe avait insulté la police lors d'un concert antiraciste rassemblant 10 000 personnes, encadrées par 30 policiers qui avaient risqué le lynchage. Les artistes avaient été condamnés à 2 mois de prison avec sursis et 900 000 Fcfp d'amende, en appel, mais ce sont leurs paroles au public ("Les fascistes sont habillés en bleu et roulent par trois dans des Renault 19. Ils attendent que ça parte en couille pour nous taper sur la gueule ! On leur pisse dessus !") qui ont constitué l'outrage, et pas la chanson "Police" jouée juste après, pourtant elle aussi très violente.

Si le rappeur de Moorea a supprimé sa vidéo le jour même où La Dépêche en parlait, elle a été repostée depuis par un anonyme sur Youtube, prouvant bien qu'il faut faire attention à ce que l'on partage sur internet, une erreur pouvant être impossible à rattraper une fois le diable sorti de sa boite...

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 23 Août 2016 à 17:38 | Lu 17331 fois