Tahiti, le 31 août 2022 - Sommité en matière de psychiatrie et de psycho-criminalité, président de la Ligue française pour la santé mentale, le Docteur Roland Coutanceau est actuellement sur le territoire où il mène des expertises judiciaires. Dans un entretien accordé à Tahiti Infos, il revient sur les violences sexuelles sur mineurs et les violences conjugales, deux fléaux qui minent le territoire et sur lesquels il a longtemps travaillé.
Vous êtes à Tahiti pour effectuer des expertises judiciaires mais vous comptez également mettre en place des formations destinées aux spécialistes du territoire ?
“En premier lieu, l'idée est de développer la capacité des psychiatres et des psychologues sur le territoire qui le souhaitent à avoir un discours très clair et pédagogique qui leur donne confiance afin qu'ils se projettent dans la fonction d'expert pour faire des expertises sur le plan psychiatrique. Je fais partie des gens qui ont développé le courant psycho criminologique. Avec l'évolution des textes depuis les années 90, il y a des questions qui n'avaient jamais été posées avant qui ont, depuis, été intégrées dans les expertises et je pense que pour atteindre plus de compréhension intellectuelle, il est plus logique de dire qu'il ne s'agit pas de psychiatrie ou de psychologie mais de psycho criminologie. Quelles sont ces questions ? Est-ce que quelqu'un qui n'est pas un malade mental peut justifier d'une injonction de soins ? Est-il possible de prendre en charge les troubles de la personnalité ? Deuxième question : celle de l'analyse du passage à l'acte qui passionne les journalistes. Pourquoi ce type a fait ça ? Sa personnalité ne dit pas tout. Peut-être qu'il était déprimé, qu'il avait des idées suicidaires ou avait des problèmes professionnels. Les deux autres points de formation à aborder relève de la dangerosité criminologique –du risque de récidive– et de la thématique des violences sexuelles.”
Les violences sexuelles sur mineur, souvent incestueuses, sont très fréquentes en Polynésie par rapport à la moyenne nationale. Quels sont les ressorts qui mènent à ce type de transgressions ?
“En ce qui concerne les violences sexuelles sur mineur, il faut distinguer les dynamiques à tonalité incestueuse des problématiques pédophiliques. Pour illustrer un peu cette différence, je partirai d'un présupposé faux que j'avais avant que je ne finisse mes études de médecine. Je me disais que pour qu'une personne ait envie d'avoir des relations avec quelqu'un de moins de 13 ans, il fallait que le sujet ait un attrait particulier pour les mineurs, une sorte de sexualité maudite. Et en fait, non. Ma première révélation a été qu'il y a beaucoup plus d'hommes que l'on ne croit qui peuvent être attirés par des enfants et que la potentialité pédophilique secondaire concerne aussi des gens qui sont habitués à une sexualité avec des adultes. La pédophilie secondaire est beaucoup plus fréquente que ce que l'on pourrait penser. La problématique incestueuse est en grande partie une dérive d'un sujet hétérosexuel adulte habituellement attiré par des adultes qui va dériver dans un contexte de promiscuité avec un enfant faisant fonction d'adulte. Le père incestueux type est, statistiquement, un homme qui a eu peu d'expériences avec les femmes et qui dérive dans ce contexte de promiscuité. C'est un sujet égocentrique et obsessionnel qui parle d'une enfant comme d'une partenaire, qui a une espèce d'immaturité dans son imaginaire psychosexuel qui fait qu'il peut appréhender dans son imaginaire fantasmatique une enfant de dix ans comme une petite femme. Ce que j'ai appris de la criminologie est très simple : la plupart des êtres humains peuvent dériver dans un espace clos quand ils sont seuls avec un autre individu.”
De même que pour les violences sexuelles sur mineurs, les violences conjugales sont un fléau qui mine le territoire. Comment prévenir la récidive?
“L'intelligence sociale est de tenir compte de la culture. Si vous écoutez certains courants associatifs, on vous dit qu'il faudrait interdire aux femmes de se remettre avec leur mari. C'est une incompréhension de l'hétérogénéité des situations des couples. C'est bien de dire qu'on ne tolère pas cela mais il faut une intelligence sociale dans l'accompagnement. Le vrai sujet, c'est de comprendre comment favoriser le fait que les femmes en parlent et le traiter ensuite en fonction de la diversité des choix. Certaines femmes vont quitter leur mari, d'autres hésiter, d'autres encore vont se remettre en couple pour les enfants. Le message est que cela se sanctionne, se nomme mais plus les gens auront conscience qu'on va les aider après la sanction, plus cela sera facile. Il faut développer des systèmes post-violences qui accompagnent les gens tels qu'ils sont. Il faut essayer de décrire la réalité psychique de façon plus concrète. Est-ce qu'une femme qui dit qu'elle ne se voit pas vivre sans son conjoint est-telle sous emprise ou est-ce que finalement, plus banalement, le sentiment amoureux n'a pas encore été détissé. Il faut créer des messages simples pour montrer que la société va vous aider pour empêcher la violence à la maison.”
Quelles sont les composantes qui amènent à la violence dans un couple ?
“Le couple est une situation à risque. Il y a une tentation de celui qui est le plus rigide, le plus intolérant à la frustration, qui pense que les choses doivent se passer à sa façon. Le différend sécrète chez l'être humain de l'irritation, de l'agressivité. Lorsque l'on n'a pas de solution de dégagement, la violence semble la seule solution pour régler la situation. Je l'ai vu dans des grands crimes, moins les gens ont le sens de la dialectique et du compromis, plus le couple est un lieu potentiel de violence.”
En Polynésie, plus de 50% des gens consomment du cannabis. Dans le contexte social actuel au sein duquel la dépénalisation de cette substance est souvent évoquée, quelle est votre position quant à la dangerosité potentielle de ce produit ?
“A un moment donné, on a distingué les drogues dures et les drogues douces. C'est pertinent, il y a une différence entre l'héroïne et le cannabis. Je reste un médecin et tout dépend de la dose et de la fréquence. Si l'on fume un joint de temps en temps le week-end, ce n'est pas pareil que lorsqu'il y a une consommation quotidienne. Tout le monde sait que les drogues désinhibent. Et surtout, toutes les drogues, y compris l'alcool, potentialisent les affects humains et notamment les affects négatifs. Et cela est essentiel dans le passage à l'acte de certaines personnes.”
Question plus personnelle : pourquoi avoir choisi de devenir psychiatre ?
“Un psychiatre a la curiosité de se demander qui sont les malades mentaux. Au début, je voulais savoir à quoi correspondait la folie. J'ai eu la réponse. Puis, j'ai été analyste personnel pendant 15 ans avec cette curiosité des êtres humains, une curiosité du pourquoi émotionnel chez l'homme. Et enfin, j'ai découvert le champ des victimes et des transgresseurs. Comprendre tout le psychisme humain a été la passion de ma vie. Il faut aider beaucoup de gens même quand ils déconnent, isoler les vrais méchants mais toujours ponctuer les choses.”
Vous êtes à Tahiti pour effectuer des expertises judiciaires mais vous comptez également mettre en place des formations destinées aux spécialistes du territoire ?
“En premier lieu, l'idée est de développer la capacité des psychiatres et des psychologues sur le territoire qui le souhaitent à avoir un discours très clair et pédagogique qui leur donne confiance afin qu'ils se projettent dans la fonction d'expert pour faire des expertises sur le plan psychiatrique. Je fais partie des gens qui ont développé le courant psycho criminologique. Avec l'évolution des textes depuis les années 90, il y a des questions qui n'avaient jamais été posées avant qui ont, depuis, été intégrées dans les expertises et je pense que pour atteindre plus de compréhension intellectuelle, il est plus logique de dire qu'il ne s'agit pas de psychiatrie ou de psychologie mais de psycho criminologie. Quelles sont ces questions ? Est-ce que quelqu'un qui n'est pas un malade mental peut justifier d'une injonction de soins ? Est-il possible de prendre en charge les troubles de la personnalité ? Deuxième question : celle de l'analyse du passage à l'acte qui passionne les journalistes. Pourquoi ce type a fait ça ? Sa personnalité ne dit pas tout. Peut-être qu'il était déprimé, qu'il avait des idées suicidaires ou avait des problèmes professionnels. Les deux autres points de formation à aborder relève de la dangerosité criminologique –du risque de récidive– et de la thématique des violences sexuelles.”
Les violences sexuelles sur mineur, souvent incestueuses, sont très fréquentes en Polynésie par rapport à la moyenne nationale. Quels sont les ressorts qui mènent à ce type de transgressions ?
“En ce qui concerne les violences sexuelles sur mineur, il faut distinguer les dynamiques à tonalité incestueuse des problématiques pédophiliques. Pour illustrer un peu cette différence, je partirai d'un présupposé faux que j'avais avant que je ne finisse mes études de médecine. Je me disais que pour qu'une personne ait envie d'avoir des relations avec quelqu'un de moins de 13 ans, il fallait que le sujet ait un attrait particulier pour les mineurs, une sorte de sexualité maudite. Et en fait, non. Ma première révélation a été qu'il y a beaucoup plus d'hommes que l'on ne croit qui peuvent être attirés par des enfants et que la potentialité pédophilique secondaire concerne aussi des gens qui sont habitués à une sexualité avec des adultes. La pédophilie secondaire est beaucoup plus fréquente que ce que l'on pourrait penser. La problématique incestueuse est en grande partie une dérive d'un sujet hétérosexuel adulte habituellement attiré par des adultes qui va dériver dans un contexte de promiscuité avec un enfant faisant fonction d'adulte. Le père incestueux type est, statistiquement, un homme qui a eu peu d'expériences avec les femmes et qui dérive dans ce contexte de promiscuité. C'est un sujet égocentrique et obsessionnel qui parle d'une enfant comme d'une partenaire, qui a une espèce d'immaturité dans son imaginaire psychosexuel qui fait qu'il peut appréhender dans son imaginaire fantasmatique une enfant de dix ans comme une petite femme. Ce que j'ai appris de la criminologie est très simple : la plupart des êtres humains peuvent dériver dans un espace clos quand ils sont seuls avec un autre individu.”
De même que pour les violences sexuelles sur mineurs, les violences conjugales sont un fléau qui mine le territoire. Comment prévenir la récidive?
“L'intelligence sociale est de tenir compte de la culture. Si vous écoutez certains courants associatifs, on vous dit qu'il faudrait interdire aux femmes de se remettre avec leur mari. C'est une incompréhension de l'hétérogénéité des situations des couples. C'est bien de dire qu'on ne tolère pas cela mais il faut une intelligence sociale dans l'accompagnement. Le vrai sujet, c'est de comprendre comment favoriser le fait que les femmes en parlent et le traiter ensuite en fonction de la diversité des choix. Certaines femmes vont quitter leur mari, d'autres hésiter, d'autres encore vont se remettre en couple pour les enfants. Le message est que cela se sanctionne, se nomme mais plus les gens auront conscience qu'on va les aider après la sanction, plus cela sera facile. Il faut développer des systèmes post-violences qui accompagnent les gens tels qu'ils sont. Il faut essayer de décrire la réalité psychique de façon plus concrète. Est-ce qu'une femme qui dit qu'elle ne se voit pas vivre sans son conjoint est-telle sous emprise ou est-ce que finalement, plus banalement, le sentiment amoureux n'a pas encore été détissé. Il faut créer des messages simples pour montrer que la société va vous aider pour empêcher la violence à la maison.”
Quelles sont les composantes qui amènent à la violence dans un couple ?
“Le couple est une situation à risque. Il y a une tentation de celui qui est le plus rigide, le plus intolérant à la frustration, qui pense que les choses doivent se passer à sa façon. Le différend sécrète chez l'être humain de l'irritation, de l'agressivité. Lorsque l'on n'a pas de solution de dégagement, la violence semble la seule solution pour régler la situation. Je l'ai vu dans des grands crimes, moins les gens ont le sens de la dialectique et du compromis, plus le couple est un lieu potentiel de violence.”
En Polynésie, plus de 50% des gens consomment du cannabis. Dans le contexte social actuel au sein duquel la dépénalisation de cette substance est souvent évoquée, quelle est votre position quant à la dangerosité potentielle de ce produit ?
“A un moment donné, on a distingué les drogues dures et les drogues douces. C'est pertinent, il y a une différence entre l'héroïne et le cannabis. Je reste un médecin et tout dépend de la dose et de la fréquence. Si l'on fume un joint de temps en temps le week-end, ce n'est pas pareil que lorsqu'il y a une consommation quotidienne. Tout le monde sait que les drogues désinhibent. Et surtout, toutes les drogues, y compris l'alcool, potentialisent les affects humains et notamment les affects négatifs. Et cela est essentiel dans le passage à l'acte de certaines personnes.”
Question plus personnelle : pourquoi avoir choisi de devenir psychiatre ?
“Un psychiatre a la curiosité de se demander qui sont les malades mentaux. Au début, je voulais savoir à quoi correspondait la folie. J'ai eu la réponse. Puis, j'ai été analyste personnel pendant 15 ans avec cette curiosité des êtres humains, une curiosité du pourquoi émotionnel chez l'homme. Et enfin, j'ai découvert le champ des victimes et des transgresseurs. Comprendre tout le psychisme humain a été la passion de ma vie. Il faut aider beaucoup de gens même quand ils déconnent, isoler les vrais méchants mais toujours ponctuer les choses.”