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Un livre pour déconstruire le mythe sur les personnes transgenres en Polynésie


Serge Tcherkézoff, en visioconférence pour la présentation de son livre aux Editions Au Vent des îles le 20 juillet.
Serge Tcherkézoff, en visioconférence pour la présentation de son livre aux Editions Au Vent des îles le 20 juillet.
Tahiti, le 20 juillet 2022 – Alors qu'il publie Vous avez dit troisième sexe ? : Les transgenres polynésiens et le mythe occidental de l'homosexualité, l'anthropologue, Serge Tcherkézoff, a donné une conférence de presse mercredi par visio conférence en direct du sud de la France. Tel qu'il l'a expliqué, ce nouvel ouvrage vise à déconstruire le mythe selon lequel les personnes transgenres –et notamment les femmes masculines– seraient particulièrement bien intégrées en Polynésie dans les cercles sociaux et familiaux.
 
Après deux ouvrages consacrés à la déconstruction du discours occidental sur la sexualité des femmes polynésiennes et l'invention des régions de l'Océanie, l'anthropologue, Serge Tcherkézoff, publie Vous avez dit troisième sexe? Les transgenres polynésiens et le mythe occidental de l'homosexualité aux Éditions Au vent des îles. Comme le rappelle le fondateur de la maison d'édition, Christian Robert, la publication de cet ouvrage s'inscrit dans le travail de déconstruction des mythes entrepris par l'anthropologue il y a de nombreuses années. "Le premier livre que nous avons publié, Jeunes filles en pleurs : La face cachée des premiers contacts et la naissance du mythe occidental était un travail sur la déconstruction du mythe, en particulier du mythe de la vahine offerte. Pendant longtemps, on a pensé que lorsque les marins européens arrivaient ici, les femmes les attendaient tout émerveillées. Ce premier livre est un classique des sciences humaines dans le Pacifique. Et quelques années après, nous avons publié Polynésie, Mélanésie, l'invention française des races et des régions de l'Océanie, un travail qu'avait mené Serge sur cette évolution de la façon dont les Européens ont considéré le grand Pacifique en le découpant de façon assez arbitraire. Aujourd'hui, nous avons la chance de présenter ce troisième ouvrage portant un sujet sur lequel il travaille depuis très longtemps et qui est la somme de nombreuses années de recherches."
 
Interviewé par visioconférence mercredi, Serge Tcherkézoff a dénoncé l'"accumulation de clichés" autour des personnes transgenres en Polynésie mais aussi aux Samoa : "On pourrait penser que ce nouveau livre aborde un sujet très particulier mais je l'ai conçu dans la même ligne que les deux précédents, c’est-à-dire en déconstruisant le discours occidental qui s'est accumulé à travers toute la littérature, les revues, les reportages –anglo-saxons surtout– qui voulaient comprendre à leur manière ce que sont les hommes efféminés. Nous pourrions penser qu'un livre comme celui-là s'intéresse uniquement au cas particulier des personnes dites "transgenres" alors que ce qui m'intéressait surtout, c'était de dire voilà encore un exemple où, pendant 40 ans, on a accumulé des clichés. Je voulais expliquer que ce que l'on a écrit sur ces personnes ne correspondait pas à ce que j'ai entendu de leurs voix. Il y a donc une continuité complète entre les trois livres."
 
Une "spécificité polynésienne" inventée
 
Dans ce nouvel ouvrage, l'auteur souhaitait "montrer comment l'on a inventé la spécificité polynésienne, soi-disant, de ceux que l'on appelle, à Tahiti, māhū et raerae." Au cours de ses recherches, l'anthropologue a en effet constaté que l'intégration des personnes transgenres en Polynésie était moins évidente que telle que représentée dans la littérature occidentale :
"Ce qui a été écrit, c'est qu'il y a un phénomène universel qui est une tendance à l'homosexualité mais que cette tendance-là, suivant les pays et les contextes culturels, est soit complètement réprimée, soit elle trouve à s'exprimer comme en Polynésie, un endroit très accueillant pour toutes les expressions de la sexualité. C'est le fameux mythe. Ce que je remarque dans la vie quotidienne –je parle des Samoa mais je crois franchement que cela s'applique à Tahiti– c'est qu'au contraire, les parents acceptent toujours extrêmement difficilement que l'image qu'ils ont donnée pendant les premières années à un enfant sur sa catégorie de sexe soit remise en question par cet enfant."
 
Or, si Serge Tcherkézoff a relevé une "relative acceptation" des hommes efféminés par "les familles et la société ambiante", il a surtout constaté qu'il y a "une autre catégorie de transgenres dont on oublie complètement de parler car ils sont beaucoup moins visibles,  beaucoup moins acceptés et passés sous silence, ce sont les personnes nées filles qui se sentent garçons."

Cursus et œuvre :

Auteur d'une dizaine d'ouvrages rassemblant les résultats de ses enquêtes de terrain en Polynésie occidentale (Samoa) durant les décennies 1980-1990 et une critique ethno-historique des récits européens faits sur la Polynésie du XVIe au XXe siècle, Serge Tcherkézoff est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en Sciences sociales et associé à l'Australian National University. Président du conseil scientifique de la Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique (UPF), il fut aussi membre fondateur et directeur du Centre de recherche et de documentation sur l'Océanie.

Graphisme de couverture : Yiling.
Graphisme de couverture : Yiling.

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 20 Juillet 2022 à 17:45 | Lu 2339 fois