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Un “lagon connecté” à Bora Bora pour analyser les conséquences des nuisances sonores sur la faune


Lagon de Bora Bora. Crédit photo : Greg Boissy.
Lagon de Bora Bora. Crédit photo : Greg Boissy.
Tahiti, le 31 mars 2023 – Depuis 2019, la Polynésienne des eaux travaille, en partenariat avec la commune de Bora Bora et le Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (Criobe), sur le projet Bor'acoustic. Ce programme a pour objectif de relever et d'analyser en temps réel le stress des poissons du lagon de l'île causé entre autres par les nuisances sonores dues à l'activité nautique. Quatre bouées connectées devraient être installées d'ici la fin de l'année, faisant de Bora Bora le “premier lagon connecté au monde”. Leur installation est prévue d'ici la fin de l'année.
 
Le commandant Cousteau avait tort quand il déclarait que l'océan était un monde de silence”, s'est exclamé le chercheur du Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (Criobe), David Lecchini en présentant à Tahiti Infos le projet Bor'acoustic dont il est le responsable. En effet les poissons, requins, mollusques, crabes et autres crevettes réussissent à communiquer entre eux, pour s'orienter, se nourrir ou éviter un prédateur. Cependant, dans un lagon aussi fréquenté que celui de Bora Bora, où de nombreux bateaux de transport, de tourisme ou de pêche, sillonnent les eaux, les communications des espèces sous-marines sont souvent perturbées par les bruits parasites que provoquent ces embarcations. Ces nuisances anthropiques altèrent directement la faune recouvrant partiellement les vocalisations animales, ce qui engendre chez eux du stress. Cette situation va donc pousser les poissons à rester cachés dans les patates de corail, ce qui va entrainer des perturbations de l'activité alimentaire ou reproductrice. “Contrairement à nous, les poissons ne peuvent pas élever leur niveau sonore quand il y a trop de bruit. On s'est rendu compte que le bruit les stressait et par conséquent leurs signaux s'en trouvent perturbés ou même totalement masqués” a expliqué David Lecchini.
 
Avec le projet Bor'acoustic, ce sont les fréquences produites par les poissons qui vont être relevées et analysées afin de déterminer leur état de stress en fonction des bruits parasites. Ces signaux sonores vont donc être enregistrés par quatre bouées connectées qui vont être installées dans la zone, “la technologie est prête, il ne manque plus que le financement pour commencer la production et l'installation du matériel” a expliqué le responsable du programme. Le projet, mené par la Polynésienne des eaux, en partenariat avec la commune et le Criobe, est né en 2019 à la suite des études acoustiques réalisées à Bora Bora dans le cadre d'une autre étude scientifique dont l'objectif était de connaitre la biodiversité du lagon de l'île. “On avait installé des micros sous l'eau, et c'est là qu'on a compris qu'il y avait une pression sonore. Le problème de ces micros, c'est qu'ils ont une durée de vie courte” a expliqué David Lecchini. “Les premiers résultats de cette étude étant intéressants, on a décidé de lancer ce projet de co-construction de bouées connectées”, a rajouté Mathieu Desêtres, le directeur de la Polynésienne des eaux.
 
Vers un “lagon connecté”
 
Ces quatre bouées connectées seront donc installées dans la passe de l'île à l'ouest, ainsi qu'au niveau des autres points cardinaux pour avoir “la meilleure cartographie de l'île” a précisé David Lecchini. “Elles seront donc équipées d'un enregistreur acoustique que l'on va coupler à des capteurs de qualité de l'eau, de température, de Ph et de salinité. Ça va nous permettre d'avoir l'œil en permanence sur le milieu marin du lagon”. Des panneaux solaires installés sur les bouées les rendront également autonomes en énergie.
 
Ces installations vont également permettre à Bora Bora d'avoir le premier “lagon connecté” au monde. “Les bouées vont transmettre en temps réel les données relevées. Les résultats vont ensuite être envoyés dans un serveur et vers une intelligence artificielle qui va les analyser. Ainsi, chaque jour, on pourra définir un indice, de vert à rouge, de l'état de stress de la faune du lagon. C'est comme en métropole, où lors des bulletins météo, il y a des indices de qualité de l'air” a détaillé le responsable du projet. “Grâce à Bor'acoustic, on peut très bien imaginer dans l'avenir que des régulations soient mises en place quand la pression sonore devient trop importante. En limitant par exemple la vitesse des bateaux pendant un moment”. “Le stress des poissons peut également être liée au changement climatique qui augmente la température de l'eau” a rajouté David Lecchini.
 
Plateforme connectée et crowdfunding
 
Ce projet à “trois vocations” estime le directeur de la Polynésienne des eaux. Tout d'abord, “la sensibilisation”. Pour cela, une plateforme connectée va être développée. Elle regroupera toutes les données transmises par les bouées pour que “chacun puisse voir les données, écouter les bruits, quels types de poissons sont dans la zone…”. Cette plateforme sera disponible dans toutes les écoles, collèges et lycées de Bora Bora mais également dans certains hôtels. Les données seront également à disposition du Criobe, “nous voulons continuer à accompagner le Criobe dans sa recherche sur le fonctionnement et l'état du lagon ainsi que sur sa faune et sa flore. On leur mettra donc gratuitement à disposition ces données pour qu'ils puissent continuer à travailler sur l'impact du bruit dans le milieu marin” a expliqué Mathieu Desêtres. Enfin, ce projet va permettre de mesurer globalement l'activité anthropique de la vie du lagon et ainsi “pouvoir être informé très rapidement de tous types de dysfonctionnement” dans la zone.
 
Cependant, pour mettre en œuvre ce projet estimé à “132 millions de Fcfp”, l'appelle à des investisseurs est obligatoire. Un prix qui s'explique par la construction sur mesure des bouées, leur transport depuis la métropole ainsi que leur installation et leur mise en exploitation. “Nous allons mettre en place un financement de crownfunding (financement participatif, ndlr). L'idéal serait d'avoir un investisseur par bouée. Nous les appelons d'ailleurs les financeurs à impact, puisqu'il n'y aura pas de véritable retour sur investissement, ce sera plus un retour sur environnement”, a expliqué Mathieu Desêtres, “certaines bouées seront disposées à côté de grands hôtels de luxe, ça pourrait être intéressant pour eux d'avoir une bouée à leur nom”. Elles seront installées et entretenues par la Polynésienne des eaux tandis que les coûts de maintenance seront eux assumés par la collectivité. Pour l'heure, l'installation des bouées est prévue “d'ici la fin de l'année”.

 

Hydrophone installé à Bora Bora dans le cadre de la première étude sur l'impact des nuisances sonores sur l'écosystème du lagon de Bora Bora. Crédit photo : David Lecchini.
Hydrophone installé à Bora Bora dans le cadre de la première étude sur l'impact des nuisances sonores sur l'écosystème du lagon de Bora Bora. Crédit photo : David Lecchini.

Endroit où seront installées les bouées connectées. Crédit photo : Polynésienne des eaux.
Endroit où seront installées les bouées connectées. Crédit photo : Polynésienne des eaux.

Rédigé par Thibault Segalard le Vendredi 31 Mars 2023 à 17:15 | Lu 1762 fois