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Ultradroite: procès d'un "banal" jardinier devenu diffuseur de haine


AFP
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Paris, France | AFP | jeudi 16/02/2023 - Comment un petit fonctionnaire, jardinier discret à Montauban, bascule-t-il dans l'ultradroite au point de déverser en ligne une logorrhée antisémite ultraviolente? "Par plaisir de choquer, de me sentir exister", a avancé maladroitement le prévenu au premier jour de son procès pour apologie du terrorisme, jeudi à Paris.

"C'était dans une bulle, c'était dématérialisé, j'ai relayé des trucs bien crados auxquels je ne crois pas", assure devant le tribunal correctionnel Dominique D., visage et ventre ronds, cheveux grisonnants. 

L'employé municipal de 47 ans a vécu jusqu’à ses 30 ans avec sa mère. Il se décrit comme "banal", "discret" et "timide". 

Alors qu'il mène en apparence une vie terne et monotone, il publie en parallèle entre 2019 et 2021 des appels à des assassinats ciblés, de la propagande nazie, des vidéos d'exécutions. Il comptera jusqu'à huit chaînes Telegram et 135 abonnés. 

Personne dans son entourage ne remarque cette plongée dans la violence, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) si. Il sera interpellé en novembre 2021 puis incarcéré. Un véritable arsenal sera retrouvé chez lui. 

Il est aujourd'hui soupçonné d'avoir appelé à des actions violentes et d'avoir détenu illégalement des armes de catégorie A et B. 

Didier B., ancien chauffeur de poids lourd au RSA (revenu de solidarité active), âgé de 61 ans et domicilié en Gironde, est jugé à ses côtés, soupçonné de lui avoir vendu plusieurs dizaine d'armes. 

Qu'est-ce qui dans la vie de Dominique D. a pu le faire "vriller"?, s'est interrogé le tribunal. La mort de son père quand il avait neuf ans? Le décès de son neveu en 2014? Une vie un peu passive où il finira par contracter un mariage blanc avec la belle-fille de sa compagne camerounaise? 

Dominique D. ne sait que dire. 

"C'est vrai que j'étais à 300 mètres quand ça a eu lieu l'attentat de (Mohamed) Merah", auteur de tueries à Montauban et Toulouse en 2012, souligne-t-il aussi, et "j'ai un petit ressentiment envers l'islam". Et puis il y a ces vidéos consultées pendant le confinement en 2020, celles notamment de Papacito et de "Kroc blanc", figure du rap identitaire d’extrême droite. 

Il découvre alors Telegram et met le doigt dans un engrenage addictif, multiplie les achats compulsifs (jusqu'à 17.000 euros dépensés en matériel pour se défendre, comme de la poudre pour "faire de la défense de périmètre" autour de chez lui).

Thèses accélérationnistes

A plusieurs reprises le tribunal tente de comprendre comment cet électeur de François Hollande finit par relayer les thèses accélérationnistes, cette mouvance de l'ultradroite dont les adhérents prônent l'effondrement de la société pour défendre les suprémacistes blancs d'une supposée menace des immigrés.   

"C'est plus le côté défouloir, subversif, qui m'a plu. C'était tellement extrême et exagéré que ça en devenait risible", dit, avec un air pataud, l'homme à la vie sociale étriquée qui s'est retrouvé grisé par l'audience inattendue qu'il a obtenue en ligne.  

"Je ne suis ni antisémite ni raciste", essaye-t-il de se défendre, et s'il s'est dirigé vers les thèses de l'ultradroite c'est parce qu'il est "blanc". "Je serais noir, je serais allé vers le Black lives matter,...  et les Black Panthers". 

Il n'a lu qu'"en diagonale" les textes qu'il relaie, n'a fait que du "copier-coller" dans des montages, non sans rappeler ceux de jihadistes et qui sont selon lui une forme d'"amour du graphisme".

"Vous n'avez pas fait de copier-coller de recettes Marmiton par exemple", lui rétorque le président Jouck, mais copié des éléments qui ciblent de façon récurrente les communautés juive et musulmane.

Et quand il représente en saint le Norvégien Anders Behring Breivik ou Brenton Tarrant, ce suprémaciste blanc australien qui a assassiné 51 personnes dans deux mosquées néo-zélandaises en 2019 - il est à "chaque fois question de réalité", et de centaines de morts, des "faits bien concrets", poursuit le président.  

"Je suis allé trop loin, je n'avais pas tous les voyants allumés dans ma tête", dit le prévenu. 

Croit-il alors encore à l'imminence d'une guerre civile?, lui demande le président. "C'était diffus à l'époque, dans les sites d'information", dit-il, avant de lâcher: "ça sera pas soudain, mais ça sera un lent pourrissement". 

Le procès se poursuit vendredi.

le Vendredi 17 Février 2023 à 06:06 | Lu 719 fois