Tahiti Infos

Teuanui Hauata, infirmière aux petits soins des plus isolés


TAHITI, le 30 mars 2022 - Après avoir été infirmière en poste aux Tuamotu pendant quatre années, Teuanui Hauata est devenue infirmière itinérante. Ils sont 18 comme elle à se déplacer partout en Polynésie pour prendre soin des résidents éloignés. Un métier qui exige réactivité, disponibilité, adaptabilité et écoute.

Elle rentre tout juste de Rimatara. Teuanui Hauata, infirmière, a travaillé trois semaines dans cette île des Australes qu’elle a beaucoup appréciée. "La population là-bas est géniale, c’est très vivant, convivial et tous les habitants sont extrêmement dynamiques. Tout le monde est occupé, les gens sont dans le fa’a’apu, ils sont dans l’artisanat. Ils semblent heureux. Je voyais les femmes assisses à tresser du matin au soir, parfois jusque tard dans la nuit. Ils vivent bien."

Elle devait repartir le 10 avril pour Tikehau. Finalement, elle a reçu un appel et devra sans doute s’envoler pour Tiputa, à Rangiroa, le 1er avril. "Quand tu es itinérant, il faut être très réactif, souple et disponible. Il faut accepter de faire des compromis même quand tu a des impératifs. Avant de s’engager dans cette voie, il faut bien réfléchir." Toutefois, aujourd’hui, elle n’échangerait sa place pour rien au monde.

Un projet professionnel mûri de longue date

Infirmerie de Takaroa.
Infirmerie de Takaroa.
Teuanui Hauata est originaire de Anaa, aux Tuamotu. Elle a été à l’école élémentaire de son île puis est allée à Tahiti poursuivre sa scolarité. "Mais on revenait régulièrement aux Tuamotu, on suivait nos parents qui allaient et venaient entre Tahiti et Anaa." Elle a passé toutes ses vacances à Anaa et Faaite. Elle a souhaité devenir infirmière pour "servir les populations éloignées". Elle aime être en contact avec les gens, échanger, apprendre des autres.

En entrant à l’Institut de formation des professions de santé Mathilde Frébault à Papeete, elle annonçait déjà vouloir un poste éloigné. C’était son projet de vie. Elle a bénéficié d’une bourse et donc signé de ce fait un contrat avec le Pays. "Grâce à ce contrat, nous avons un emploi garanti, nous devons, en retour, des années au territoire. Je devais, dans ce cadre, rester au moins une année dans les îles, ce qui me convenait parfaitement !"

Dès le début de sa formation, elle a rappelé son envie de travailler en poste isolé. Elle a donc, avec les formateurs, orienté ses études en ce sens. Elle a choisi des stages adaptés. "Je suis notamment partie cinq semaines à Anaa. Ce qui a confirmé mon choix." Pendant la formation initiale, elle n’a pas eu de cours spécialement conçu pour l’exercice en poste isolé. Mais, lors de ses premiers temps d’exercice, elle a pu passer un diplôme universitaire à l’UPF intitulé Soin santé primaire en milieu insulaire (SSPI). Un diplôme monté par la Direction de la santé et l’université qui sanctionne onze semaines d’apprentissage particulier.


Seule à Takapoto

Pour démarrer, Teuanui Hauata a été infirmière à Takapoto. Il n’y avait pas de médecine, elle avait avec elle un auxiliaire de santé. Les auxiliaires de santé sont précieux. "Ils sont recrutés dans les îles et formés spécialement pour les missions qui leur sont confiées. Ce sont des disques-durs ambulants, ils connaissent bien l’île dans laquelle ils vivent et tous les habitants." Ils font le lien entre infirmier et/ou médecin quand ils arrivent et la population. "Je dirais qu’il faut au moins une année pour prendre ses marques, connaître les gens", a constaté Teuanui Hauata qui est restée quatre ans à Takapoto.

Takapoto dispose d’un aéroport, mais il n’y a qu’un seul vol par semaine. "C’est sûr qu’il vaut mieux ne pas tomber malade", s’amuse-t-elle. En quatre années, elle a assuré toutes les missions de son poste. "Une seule fois, j’ai dû prendre un jour de repos, dans ce cas le remplacement n’est pas possible, l’infirmerie est rétrogradée en poste de santé." Elle a, pendant neuf mois d’affilé, été d’astreinte 24 heures sur 24. Il lui est arrivé d’enchaîner plusieurs nuits blanches.

Dans les îles, "les gens savent qu’ils sont loin de tout. Ils considèrent avoir de la chance de pouvoir compter sur un infirmier quand il y en a, ils ne se plaignent jamais et ne sollicitent les soignants qu’en dernier recours, il faut en être conscient." Aussi, les soignants doivent être vigilants et attentifs. "Si quelqu’un vient demander un doliprane un week-end par exemple, en dehors des horaires, il ne faut jamais le donner sans aller fouiller, sans discuter et questionner pour comprendre. Il faut être dans l’éveil."

Au quotidien, 70% de l’activité des soignants restent du suivi de pathologie chronique, des consultations scolaires... Il y a également une grosse part d’administratif à gérer. Les urgences ne constituent pas la majorité des actes. Mais elles surviennent. "Dans ce cas, nous sommes toujours en contact avec un médecin, nous ne prenons aucune décision seul." Les évasans sont cependant décidées par le médecin sur la base des observations, examens et dires des professionnels sur place.

"On fait toujours ce que l’on peut"

Journée EAtittude organisée par l'infirmerie de Rapa.
Journée EAtittude organisée par l'infirmerie de Rapa.
Travailler seul et loin de tout est très formateur. Teuanui Hauata se rappelle avoir été au téléphone avec un médecin qui lui demandait : "As-tu fait une percussion des flancs lombaires au patient ?" Une manipulation dont elle n’avait jamais entendu parler. "J’ai appris en direct. Dans ce genre de situation, tu apprends, et tu retiens !"

Elle admet faire des manipulations qu’elle ne ferait pas à Tahiti dans des structures de santé aux compétences variées. Mais elle suit toujours un protocole strict préétabli. Elle cite par exemple les sutures, les réductions de luxation, les accouchements inopinés. "Dans tous les cas, on fait toujours ce que l’on peut." les infirmiers éloignés peuvent pré-rédiger des ordonnances qu’ils envoient avec une note détaillée de synthèse à un médecin référent. C’est le médecin qui ensuite signe l’ordonnance.

Elle se rappelle des moments forts, comme cette femme de 65 ans qui n’a pas survécu à un choc sceptique. "Cela a été tellement vite." Ou bien ce bébé, très grand prématuré. Il n’avait pas 6 mois. "C’est dur à vivre, mais cela fait partie de la vie." Et puis il y a aussi d’heureux moments, "d’ailleurs, il n’y a presque que des bons moments."

En 2018, un poste d’itinérant s’est libéré. Teuanui Hauata a sauté sur l’occasion. Elle est envoyée depuis aux quatre coins de la Polynésie pour des séjours de deux semaines à trois mois. "On remplace des infirmiers ou bien on est placé sur des postes vacants", précise-t-elle. Un déplacement l’a particulièrement marqué, c’était à Rapa. "Quand tu t’approches de cette île après deux jours de pleine mer, tu sens que les gens vont bien t’accueillir. Tu vois approcher et grossir ce petit point sur l’horizon, c’était incroyable." L’accueil a été à la hauteur. "Il y a de nombreux et réguliers regroupement, il y a une vraie vie en collectivité."

Teuanui Hauata entend rester à son poste encore quelques années. Ses enfants sont jeunes, scolarisés à Tahiti. Mais plus tard, elle aimerait retrouver un poste isolé aux Tuamotu.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 30 Mars 2022 à 17:30 | Lu 2316 fois