Tahiti Infos

"Te 'ōteu fenua", une légende qui traite du viol vue par Hei Tahiti


Pour cette légende, la troupe Hei Tahiti s'est inspirée des récits des anciens de Huahine.
Pour cette légende, la troupe Hei Tahiti s'est inspirée des récits des anciens de Huahine.
PAPEETE, le 6 juillet 2018 - Son auteur appréhende la réaction du public, les mots sont assez durs à entendre, mais il n'a pas eu le choix. "Il fallait employer ces mots pour que nous puissions connaitre notre histoire". Cette légende de Huahine revient sur l'origine du mont "Teureure o Tai" à Maro'e.

"On confond souvent la forme de cette montagne avec le sexe de Hiro, alors que c'est celui d'un guerrier de Tahaa", explique d'entrée Yann Paa, auteur du thème de Hei Tahiti, "Te 'ōteu fenua" (le bourgeon de la terre).

Pour cette légende, la troupe Hei Tahiti s'est inspirée des récits des anciens de Huahine. "Nous nous sommes déplacés en mars avec l'auteur et nous avons rencontré māmā Tinitua, la doyenne de l'île, mais aussi un référent du 'ōtea mau sur Parea. Nous avons rencontré également les artisans de Parea, nous avons visité toute l'île par rapport aux lieux forts qui sont racontés dans cette légende, et par rapport à tout ce travail de fond", explique Tiare Trompette, la chef de la troupe.

Une histoire qui n'est pas évidente à raconter, mais "lors de mon entretien avec māmā Tinitua, elle me disait qu'il fallait employer les mots qu'il faut pour que nous puissions connaitre notre histoire. C'est la raison pour laquelle, je parle de bourgeon de terre. C'est ce qui fait de toi, ta personnalité. Et aujourd'hui, le fait d'éviter de raconter des histoires comme celles-là, alors qu'elles nous appartiennent, c'est parce qu'on a honte, je pense, alors qu'on ne devrait pas. Il faut raconter, même si l'histoire ne plait pas et qu'elle est sensible", précise Yann Paa.

UNE LÉGENDE QUI TRAITE DU VIOL

La légende parle "d'une ancienne reine de Huahine qui habitait Tefareri'i et qui était Hinarere vahine. Hinarere i te mata a'ia'i (Hinarere au visage ravissant) parce que c'était la plus belle femme de Tefarerii. Elle attirait beaucoup les guerriers à cause de sa beauté. Un jour, un guerrier de Taha'a, de 'Iripa'u, l'ancien nom de Taha'a, Tai, avait entendu parler de cette jeune fille qui était célèbre à Huahine. Elle n'était pas simplement une simple femme, mais elle était aussi une guerrière. Donc Tai a décidé de venir à Huahine, à Tefarerii pour voir cette jeune fille. Lorsqu'il l'a vue, il est tombé sous son charme et il a été attiré sexuellement. Il a donc décidé de la kidnapper. Un soir, Hinarere était avec son frère, sur la place Tehoro, et c'est là que Tai l'a enlevée. Il l'a emmenée à Maro'e pour la violer", raconte l'auteur.

"Mais au moment de l'acte, les lèvres du vagin de Hinarere ont sectionné le pénis de Tai, et aujourd'hui, son sexe est devenu une pointe montagneuse à Huahine. À ce moment-là, il s'est mis à courir jusqu'à la mer vers Raiatea parce qu'il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer. Et lorsqu'il s'est retourné, il voyait son sexe s'ériger à Huahine, et arrivé vers Raiatea, il a commencé à frapper la terre et cela marque sa défaite. L'origine du nom de Taha'a sort de cette histoire. On dit "Vai taha noa tōna ure" et c'est comme ça que 'Iripa'u est devenu Taha'a, c'est la version qu'on nous a remis. Par contre, lorsque Hinarere a été violée, son sexe s'est métamorphosé, et on dit qu'à partir de là, est apparu la fleur de la tiare Tahiti", poursuit Yann Paa.

Par rapport à cette légende, l'auteur a utilisé des mots assez crus et violents. Il ne cache pas d'ailleurs son appréhension : "J'ai repris des anciens mots de Huahine et que nous avons calé dans les différents tableaux. Ces mots sont plus utilisés dans le pā'ō'ā et le hivināu, ce sont deux tableaux qui sont réellement forts, parce que c'est la partie où on présente Tai et Hinarere, et c'est là qu'il viendra pour la kidnapper. Et dans le troisième tableau, on va représenter le viol. En voix off, on aura un monologue, qui représentera le violeur et qui parlera sèchement à cette femme pendant l'acte. Ce seront des mots durs qui vont probablement choquer le public."

LA MISE EN SCÈNE

Pour représenter leur thème sur la scène de To'atā, Tiare Trompette a préparé quatre tableaux. "Le premier, c'est la présentation de l'île. Le deuxième, c'est la présentation des personnages. Le troisième, c'est l'action forte du spectacle et le dénouement à la fin, de la souffrance qui a été vécue par Hinarere et qui apporte un bonheur certain à l'île", explique la chef de la troupe.

Plus de 180 artistes formeront cette année le groupe de danse Hei Tahiti. Tiare Trompette promet un spectacle "touchant, émouvant et profond pour Huahine, qui le mérite." Yann Paa ajoute : "Maintenant, il ne faut pas que le public reste focalisé sur des mots, le sexe. Derrière tout cela, il y a un sens. Il faut voir plus loin, c'est ça qui fait la particularité de Huahine."

"C'est très violent, c'est choquant, ce n'est pas conseillé pour les enfants. C'est réservé aux adultes. Mais comme l'a dit le président du jury : "Osez et on verra ce que ça va donner sur scène", confie la chef de groupe.

Demain soir, Hei Tahiti se surpassera avec ce thème particulier. "Le plus important est de se faire plaisir et de faire plaisir au public et au jury", conclut Tiare Trompette.

De son côté, la Maison de la culture préconise aux parents de ne pas emmener leurs enfants durant cette soirée, suite à certaines scènes qui pourraient heurter leurs sensibilités.

LA PAROLE À

Tiare Trompette
Chef de la troupe Hei Tahiti

"On n'oublie que nos ancêtres sont des livres ouverts"


"Ça remonte à 2016. Il faut dire que je fonctionne avec les signes. Je suis croyante et j'ai la foi aussi envers les éléments de la nature. Ce jour-là, j'étais avec ma fille dans un milieu hospitalier, à Paris, et on a regardé une émission qui parlait justement du Heiva de Huahine. Et voilà que j'écoute l'interview de cette dame qui rappelle aux jeunes de revenir à la source, de venir dans les îles chercher nos légendes, et qu'il ne fallait aller dans les livres uniquement. Et pour moi, il me fallait me rapprocher de cette source-là parce que souvent, on a tendance à rester dans les livres, et on n'oublie que nos ancêtres sont des livres ouverts. Ils sont encore vivants et il faut recueillir tout ce qu'il y a à recueillir, parce que lorsqu'ils ne seront plus là, nous n'aurons plus rien. Et pour moi, c'était le bon moment de communiquer avec les jeunes de Tahiti que toutes les îles ont une histoire et qu'il faut tendre ses oreilles et qu'il faut écouter la moindre parole qui est dite. Sortir de son cocon de Tahiti, ça fait du bien aussi. Pour moi, c'était essentiel de mettre en avant Huahine avec un auteur qui est originaire de là-bas, avec qui j'ai travaillé dernièrement sur un spectacle "Taupiti vahine", et il paraissait très important de passer par des gens de là-bas."


Yann Paa
Auteur

"C'est un privilège de pouvoir écrire pour Tiare"


"C'était enrichissant de travailler avec Tiare. Sa troupe est assez célèbre. J'ai pris ça comme un défi, c'est un privilège de pouvoir écrire pour Tiare, et je dis que ça a été évident parce que Tiare a sa façon de voir côté chorégraphie, et ça m'apporte de l'aide au niveau de l'écriture. Il faut surtout que l'auteur travaille avec la chorégraphe ou chef de groupe pour mêler les idées et les versions communes pour le spectacle."


"C'est très violent, c'est choquant, ce n'est pas conseillé pour les enfants. C'est réservé aux adultes. Mais comme l'a dit le président du jury : "Osez et on verra ce que ça va donner sur scène", confie la chef de groupe.
"C'est très violent, c'est choquant, ce n'est pas conseillé pour les enfants. C'est réservé aux adultes. Mais comme l'a dit le président du jury : "Osez et on verra ce que ça va donner sur scène", confie la chef de groupe.

Rédigé par Corinne Tehetia le Vendredi 6 Juillet 2018 à 11:25 | Lu 1360 fois