PAPEETE, le 27 novembre 2018 - Pour notre second article sur notre séjour à bord de la frégate de surveillance Prairial, le plus gros bâtiment de la Marine nationale basé à Papeete, nous dressons le portrait de Karl, un Tahitien entré dans la Marine en 2010. Il a fait le choix de s'engager pour voyager, et il a trouvé une nouvelle famille à bord.
>>> Lisez aussi notre article sur la mission de police des pêches du Prairial, à laquelle Karl participe en tant que patron d'embarcation
(Note : à la demande de l'état-major de l'armée, nous ne publions pas les noms de famille des militaires interviewés pour cette série d'articles à l'exception des commandants. Nous publions uniquement leurs grades et prénoms.)
>>> Lisez aussi notre article sur la mission de police des pêches du Prairial, à laquelle Karl participe en tant que patron d'embarcation
(Note : à la demande de l'état-major de l'armée, nous ne publions pas les noms de famille des militaires interviewés pour cette série d'articles à l'exception des commandants. Nous publions uniquement leurs grades et prénoms.)
Parole à : Second Maître Karl
Karl est deuxième adjoint du bosco, le chef des manœuvriers. Un rôle important pour gérer les moments les plus délicats de la vie d'un bateau. (Ici à la fin de l'amarrage du Prairial au quai de Taiohae, Nuku Hiva)
"Certaines personnes de ma famille me disent que j'ai beaucoup, beaucoup mûri. J'ai 31 ans, mais avec ce métier j'ai peut-être la mentalité d'une personne de 50 ans !"
Raconte-nous ton parcours dans la marine ?
Je me suis engagé en 2010 dans l'école de Maistrance, l'école de sous-officier de la Marine. La formation a duré 5 ou 6 mois, avec les bases de la formation militaire et les spécificités de la marine. Après je suis parti pour l'école des spécialités, j'ai suivi la formation de manœuvrier, c'est un Brevet d'Aptitude Technique (BAT) qui dure 4 à 5 mois. C'est court par rapport à certaines spécialités qui peuvent durer une voire deux années. Après avoir obtenu le BAT de manœuvrier j'ai été affecté sur la frégate anti-sous-marine De Grasse en janvier 2011. C'est là que j'ai fait mes premières armes, c'était une vieille frégate de premier rang, à vapeur. C'était assez impressionnant comme première affectation. J'y ai passé deux ans, après on a fait son désarmement. J'ai ensuite été affecté sur la Meuse, qui est sur Toulon. C'était un pétrolier ravitailleur, on allait ravitailler des navires en pleine mer et c'était vraiment un bateau de manœuvriers et de mécanos. C'est là que j'ai appris mon métier de façon plus approfondie. Les manœuvres sur ces bateaux peuvent paraître complexes, voire dangereuses pour des personnes extérieures, d'où le fait que nous soyons des experts en ce domaine. Nous nous assurons que tout se déroule en sécurité. J'y suis resté de 2013 à 2015, puis on l'a désarmée lui aussi.
Comme une affectation dure trois ans mais que sur la Meuse n'a duré que deux ans, j'ai eu une affectation sur le bâtiment de projection et de commandement Mistral. C'est une très bonne expérience parce que c'est un bâtiment amphibie, ce n'est pas tout le monde qui l'a vécu. Il faut y être pour comprendre comment ça marche, c'est difficile à expliquer. Ça nous mène à mi-2016, ensuite j'ai été affecté sur un aviso à Toulon. Un aviso est un patrouilleur de haute mer. C'est plus petit qu'une frégate de surveillance comme le Prairial, avec à peu près le même nombre de personnel à bord. Mais ce ne sont pas les mêmes missions, c'est de la protection du territoire. J'y ai fait huit mois, puis j'ai été sélectionné pour venir en campagne à Tahiti ! Évidemment, étant originaire d'ici je ne pouvais pas dire non, je n'étais plus revenu depuis 2013.
Ca a dû te faire plaisir !
Ah oui, carrément ! En plus je me suis marié en métropole, j'ai eu un enfant en métropole, donc pour ma famille aussi c'était l'occasion de venir dans le pays où je suis né et où j'ai grandi, de leur faire rencontrer ma famille ici à Tahiti, de voir mes photos d'enfance... Celles que, comme d'habitude, on ne veut pas montrer… Oui, ça a été un vrai retour aux sources pour moi et une belle expérience pour ma compagne, je ne regrette pas d'être revenu. Je reste ici jusqu'à 2020, à la fin de mon affectation.
En plus de manœuvrier, as-tu d'autres rôles sur le Prairial ?
Sur un bateau, moins il y a de personnel, plus nous avons de rôles annexes. Donc à bord je suis le deuxième adjoint du bosco, le chef des manœuvriers (NDLR : le bosco est le surnom du maître d'équipage, il se situe hiérarchiquement entre les officiers et les membres de l'équipage. C'est un marin expérimenté dans la manœuvre, il a autorité sur les matelots). Nous nous occupons de toutes les manœuvres du navire, le mouillage, l'amarrage, le ravitaillement à la mer, le remorquage, l'entretien du matériel...
En plus de ce rôle, je suis aussi barreur en passerelle. Je suis également gradé-coupée à quai, ceux qui sont chargés de la sécurité à l'escale. Il y a aussi un rôle spécifique à la coupée, nous sommes tous II2, c'est-à-dire Intervention Immédiate de deuxième phase. C'est une personne qui va faire une action coup de poing sur un départ d'incendie, juste après celui qui a découvert le sinistre. Je suis aussi patron d'embarcation, donc je pilote les Zodiak. Pour la police des pêches, le but est d'amener l'équipe de visite sur le bateau à inspecter… Et j'ai encore d'autres casquettes !
Qu'est-ce qui t'as conduit à t'engager, aller faire des études en France et devenir sous-officier de la Marine ?
Au départ j'étais allé en métropole en 2009 pour un job d'été, qui s'est transformé en un travail d'un an. Et un jour je suis tombé sur d'anciens collègues du lycée… Pour dire comme le monde est petit ! Ils étaient déjà dans la Marine, ils m'en ont parlé et ça m'avait bien plu. Avant de partir de Tahiti j'étais marin-pêcheur, et le côté actif de la vie en mer commençait à me manquer. Donc ils m'ont parlé de ça, j'ai commencé à me renseigner et j'ai finalement décidé de m'engager. Ça fait bientôt 10 ans, et pour l'instant je n'ai encore aucun regret. D'autant que c'est grâce à la Marine que j'ai rencontré ma femme !
Tu souhaites poursuivre ta carrière ?
Oui j'espère aller plus loin, j'espère pouvoir aller au brevet supérieur de manœuvrier pour qu'un jour on puisse m'appeler bosco. C'est mon but ultime !
Qu'est-ce que les gens que tu as laissés à Tahiti pensent de ce choix de carrière ?
La première année, il y a eu un petit doute sur ce choix, ils ne pensaient pas que j'allai rester longtemps dans l'armée, que ça allait me plaire. Après, ce qui est difficile c'est de leur expliquer ce que l'on vit. Ils n'arrivent pas à comprendre comment on peut partir trois mois en mer, revenir, reprendre une vie normale, puis repartir en mer… Ils ne comprennent pas comment on peut tenir le coup. Mais aujourd'hui certaines personnes de ma famille me disent que j'ai beaucoup changé mentalement, que j'ai beaucoup, beaucoup mûri. J'ai 31 ans, mais avec ce métier j'ai peut-être la mentalité d'une personne de 50 ans ! (rire)
Justement, qu'est-ce qui te passionne autant dans ce métier ?
J'ai fait, j'ai vu tant de choses qui... Dans le civil je n'aurais jamais vécu ça. J'ai vu des pays que je n'aurais jamais pensé visiter. J'ai rencontré des gens extraordinaires. Dans la marine j'ai fait pas mal de missions, j'ai fait de belles escales... J'ai aussi connu des escales plus dures comme en Afrique de l'Ouest, où on voit des gens qui sont vraiment dans le besoin.
À quels Polynésiens cette vie pourrait-elle convenir ? Quelles sont les qualités indispensables ?
Déjà il faut être déterminé. Beaucoup de Polynésiens n'ont jamais quitté la Polynésie, donc partir en Métropole, suivre une formation puis être affecté à une mission, il faut vraiment être motivé. Tout laisser, quitter sa famille, c'est très difficile. C'est compliqué de partir aussi loin, aussi longtemps, surtout qu'en Polynésie la famille c'est sacré. Ils doivent être déterminés. Mais je pense que c'est une bonne expérience à vivre pour des Polynésiens, ça vaut vraiment le coup. D'ailleurs il y a déjà beaucoup de Polynésiens qui s'engagent dans l'armée de terre ou dans la marine. C'est aussi un bon tremplin vers la vie civile.
Des membres d'équipage nous disent avoir trouvé une deuxième famille dans la marine, tu le ressens aussi ?
Comme tous les marins ! Quand on part en mer on passe 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ensemble sur un bateau. On connaît presque plus nos collègues de boulot que nos familles. On passe les trois-quarts de notre vie sur un bateau, il y a des liens qui se forgent. J'ai connu mon meilleur ami grâce à l'armée. On est copains comme cochons, on connaît nos habitudes et nos caractères comme un petit couple, voilà. C'est plus qu'une camaraderie, c'est une unité. On sait que si on part au combat, on part tous ensemble. Les liens sont plus forts. On sent que quand il y aura besoin, on aura de l'aide des collègues.
Comptes-tu rentrer à Tahiti quand tu auras terminé ta carrière ?
Ah oui ! À ma retraite je vais revenir à Tahiti c'est sûr. J'ai aimé partir, visiter la métropole, mais Tahiti ça reste mes origines.
Raconte-nous ton parcours dans la marine ?
Je me suis engagé en 2010 dans l'école de Maistrance, l'école de sous-officier de la Marine. La formation a duré 5 ou 6 mois, avec les bases de la formation militaire et les spécificités de la marine. Après je suis parti pour l'école des spécialités, j'ai suivi la formation de manœuvrier, c'est un Brevet d'Aptitude Technique (BAT) qui dure 4 à 5 mois. C'est court par rapport à certaines spécialités qui peuvent durer une voire deux années. Après avoir obtenu le BAT de manœuvrier j'ai été affecté sur la frégate anti-sous-marine De Grasse en janvier 2011. C'est là que j'ai fait mes premières armes, c'était une vieille frégate de premier rang, à vapeur. C'était assez impressionnant comme première affectation. J'y ai passé deux ans, après on a fait son désarmement. J'ai ensuite été affecté sur la Meuse, qui est sur Toulon. C'était un pétrolier ravitailleur, on allait ravitailler des navires en pleine mer et c'était vraiment un bateau de manœuvriers et de mécanos. C'est là que j'ai appris mon métier de façon plus approfondie. Les manœuvres sur ces bateaux peuvent paraître complexes, voire dangereuses pour des personnes extérieures, d'où le fait que nous soyons des experts en ce domaine. Nous nous assurons que tout se déroule en sécurité. J'y suis resté de 2013 à 2015, puis on l'a désarmée lui aussi.
Comme une affectation dure trois ans mais que sur la Meuse n'a duré que deux ans, j'ai eu une affectation sur le bâtiment de projection et de commandement Mistral. C'est une très bonne expérience parce que c'est un bâtiment amphibie, ce n'est pas tout le monde qui l'a vécu. Il faut y être pour comprendre comment ça marche, c'est difficile à expliquer. Ça nous mène à mi-2016, ensuite j'ai été affecté sur un aviso à Toulon. Un aviso est un patrouilleur de haute mer. C'est plus petit qu'une frégate de surveillance comme le Prairial, avec à peu près le même nombre de personnel à bord. Mais ce ne sont pas les mêmes missions, c'est de la protection du territoire. J'y ai fait huit mois, puis j'ai été sélectionné pour venir en campagne à Tahiti ! Évidemment, étant originaire d'ici je ne pouvais pas dire non, je n'étais plus revenu depuis 2013.
Ca a dû te faire plaisir !
Ah oui, carrément ! En plus je me suis marié en métropole, j'ai eu un enfant en métropole, donc pour ma famille aussi c'était l'occasion de venir dans le pays où je suis né et où j'ai grandi, de leur faire rencontrer ma famille ici à Tahiti, de voir mes photos d'enfance... Celles que, comme d'habitude, on ne veut pas montrer… Oui, ça a été un vrai retour aux sources pour moi et une belle expérience pour ma compagne, je ne regrette pas d'être revenu. Je reste ici jusqu'à 2020, à la fin de mon affectation.
En plus de manœuvrier, as-tu d'autres rôles sur le Prairial ?
Sur un bateau, moins il y a de personnel, plus nous avons de rôles annexes. Donc à bord je suis le deuxième adjoint du bosco, le chef des manœuvriers (NDLR : le bosco est le surnom du maître d'équipage, il se situe hiérarchiquement entre les officiers et les membres de l'équipage. C'est un marin expérimenté dans la manœuvre, il a autorité sur les matelots). Nous nous occupons de toutes les manœuvres du navire, le mouillage, l'amarrage, le ravitaillement à la mer, le remorquage, l'entretien du matériel...
En plus de ce rôle, je suis aussi barreur en passerelle. Je suis également gradé-coupée à quai, ceux qui sont chargés de la sécurité à l'escale. Il y a aussi un rôle spécifique à la coupée, nous sommes tous II2, c'est-à-dire Intervention Immédiate de deuxième phase. C'est une personne qui va faire une action coup de poing sur un départ d'incendie, juste après celui qui a découvert le sinistre. Je suis aussi patron d'embarcation, donc je pilote les Zodiak. Pour la police des pêches, le but est d'amener l'équipe de visite sur le bateau à inspecter… Et j'ai encore d'autres casquettes !
Qu'est-ce qui t'as conduit à t'engager, aller faire des études en France et devenir sous-officier de la Marine ?
Au départ j'étais allé en métropole en 2009 pour un job d'été, qui s'est transformé en un travail d'un an. Et un jour je suis tombé sur d'anciens collègues du lycée… Pour dire comme le monde est petit ! Ils étaient déjà dans la Marine, ils m'en ont parlé et ça m'avait bien plu. Avant de partir de Tahiti j'étais marin-pêcheur, et le côté actif de la vie en mer commençait à me manquer. Donc ils m'ont parlé de ça, j'ai commencé à me renseigner et j'ai finalement décidé de m'engager. Ça fait bientôt 10 ans, et pour l'instant je n'ai encore aucun regret. D'autant que c'est grâce à la Marine que j'ai rencontré ma femme !
Tu souhaites poursuivre ta carrière ?
Oui j'espère aller plus loin, j'espère pouvoir aller au brevet supérieur de manœuvrier pour qu'un jour on puisse m'appeler bosco. C'est mon but ultime !
Qu'est-ce que les gens que tu as laissés à Tahiti pensent de ce choix de carrière ?
La première année, il y a eu un petit doute sur ce choix, ils ne pensaient pas que j'allai rester longtemps dans l'armée, que ça allait me plaire. Après, ce qui est difficile c'est de leur expliquer ce que l'on vit. Ils n'arrivent pas à comprendre comment on peut partir trois mois en mer, revenir, reprendre une vie normale, puis repartir en mer… Ils ne comprennent pas comment on peut tenir le coup. Mais aujourd'hui certaines personnes de ma famille me disent que j'ai beaucoup changé mentalement, que j'ai beaucoup, beaucoup mûri. J'ai 31 ans, mais avec ce métier j'ai peut-être la mentalité d'une personne de 50 ans ! (rire)
Justement, qu'est-ce qui te passionne autant dans ce métier ?
J'ai fait, j'ai vu tant de choses qui... Dans le civil je n'aurais jamais vécu ça. J'ai vu des pays que je n'aurais jamais pensé visiter. J'ai rencontré des gens extraordinaires. Dans la marine j'ai fait pas mal de missions, j'ai fait de belles escales... J'ai aussi connu des escales plus dures comme en Afrique de l'Ouest, où on voit des gens qui sont vraiment dans le besoin.
À quels Polynésiens cette vie pourrait-elle convenir ? Quelles sont les qualités indispensables ?
Déjà il faut être déterminé. Beaucoup de Polynésiens n'ont jamais quitté la Polynésie, donc partir en Métropole, suivre une formation puis être affecté à une mission, il faut vraiment être motivé. Tout laisser, quitter sa famille, c'est très difficile. C'est compliqué de partir aussi loin, aussi longtemps, surtout qu'en Polynésie la famille c'est sacré. Ils doivent être déterminés. Mais je pense que c'est une bonne expérience à vivre pour des Polynésiens, ça vaut vraiment le coup. D'ailleurs il y a déjà beaucoup de Polynésiens qui s'engagent dans l'armée de terre ou dans la marine. C'est aussi un bon tremplin vers la vie civile.
Des membres d'équipage nous disent avoir trouvé une deuxième famille dans la marine, tu le ressens aussi ?
Comme tous les marins ! Quand on part en mer on passe 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ensemble sur un bateau. On connaît presque plus nos collègues de boulot que nos familles. On passe les trois-quarts de notre vie sur un bateau, il y a des liens qui se forgent. J'ai connu mon meilleur ami grâce à l'armée. On est copains comme cochons, on connaît nos habitudes et nos caractères comme un petit couple, voilà. C'est plus qu'une camaraderie, c'est une unité. On sait que si on part au combat, on part tous ensemble. Les liens sont plus forts. On sent que quand il y aura besoin, on aura de l'aide des collègues.
Comptes-tu rentrer à Tahiti quand tu auras terminé ta carrière ?
Ah oui ! À ma retraite je vais revenir à Tahiti c'est sûr. J'ai aimé partir, visiter la métropole, mais Tahiti ça reste mes origines.