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Rencontre avec l'équipe de Under The Pole


La mission Under The Pôle, à bord du WHY, va travailler en Polynésie jusqu'à août prochain (photo Franck Gazzola - Under The Pole)
La mission Under The Pôle, à bord du WHY, va travailler en Polynésie jusqu'à août prochain (photo Franck Gazzola - Under The Pole)
PAPEETE, le 11 aout 2018 - Nous avons rendu visite de l'équipe de plongeurs et de scientifiques derrière le programme Under The Pole. Ils vont rester un an en Polynésie pour étudier nos coraux profonds (jusqu'à 120 mètres sous le niveau de la mer), nos requins, puis enfin un habitat sous-marin scientifique. Ils repartiront ensuite pour étudier les eaux glaciales de l'Antarctique.

L'expédition Under the Pole III est partie en 2017 de Concarneau, en métropole, à bord du voilier "Why". Un nom qui signifie "Pourquoi" en anglais, idéal pour ce projet scientifique. Les chercheurs ont commencé par étudier la fluorescence naturelle et la biodiversité sous-marine en Arctique en navigant le passage du Nord-Ouest via le Groenland, avant de laisser le Why en Alaska pour l’hiver. C'est la troisième expédition de cette équipe depuis 2010, mais après deux missions orientées vers le pôle Nord, ils ont décidé de, cette fois, venir nous rendre visite dans l'hémisphère sud. C'est pourquoi, quand l'équipage a repris la mer début mars, ils ont mis le cap vers Hawaii et Tahiti.

Ghislain Bardout, chef de l'expédition
Ghislain Bardout, chef de l'expédition
Le bateau est dans nos eaux depuis juin. La presse et le public ont eu la possibilité de le visiter et de rencontrer les plongeurs et scientifiques du bord ce samedi 11 août. Nous avons donc pu parler avec Ghislain Bardout, chef de l'expédition et organisateur de Under The Pole depuis le début avec sa femme Emmanuelle Périé-Bardout. Il nous a fait visiter le WHY, un voilier de 20 mètres de long, bardé de capteurs informatiques et chargé de matériel de plongée profonde, des caméras sous-marines, d'un robot, de matériel d’échantillonnage, d'un zodiac, d'une annexe de plongée… Et avec assez de lits et de vivres pour héberger 12 membres d'équipages et les enfants du couple Emmanuelle et Ghislain. Ghislain nous explique que "le Why est un bateau de travail, pensé pour allé un petit peu partout. Historiquement on a beaucoup travaillé en Arctique avec ce bateau, et sur le pont il y a une très bonne capacité de charge. Il est bien pensé pour ça !"

Encore plus de passionnés assistent l'expédition depuis la métropole, et l'équipage du bateau sera renouvelé au cours de l'année. A Moorea, ils bénéficieront aussi de la direction scientifique d'une douzaine de chercheurs internationaux hébergés au Criobe.

"Nous plongerons jusqu'à 120 mètres de profondeur"

Le bateau a eu quelques semaines pour se remettre de la traversée du Pacifique et effectuer de première plongées exploratoires. "Fin août on va commencer à travailler sur les sites qui ont été retenus, et ensuite on va enchaîner pendant onze mois. La première étude portera sur les écosystèmes coralliens profonds, avec 16 îles à travers toute la Polynésie française, en terminant par les Australes au printemps. Sur chaque île on fera trois sites avec des expositions différentes. Par exemple à Bora Bora nous allons explorer un site au Nord, un au Sud-Est et le dernier au Sud-Ouest. Donc environ 48 sites en tout, avec une semaine sur chaque site. Nous plongerons jusqu'à 120 mètres de profondeur, avec des paliers à 90 mètres, 60 mètres, 30 mètres, 15 mètres et 6 mètres, où on fera à chaque fois des 'photos quadra', des photos scientifiques pour inventorier la diversité des espèces. On va aussi faire de la pose de capteurs scientifiques pour mesurer la lumière, la salinité, la température, des enregistrements sonores… Et ensuite on aura de l’échantillonnage ciblé sur certaines espèces que l'on étudie. L'idée est déjà de faire un inventaire, et ensuite de faire une étude biologique beaucoup plus précise sur certaines espèces de coraux" nous explique Ghislain.

Après ce programme de 11 mois sur les coraux profonds, le Why enchaînera sur un nouveau programme de un mois pour étudier les superprédateurs, en particulier le grand requin marteau et le requin bouledogue. Il sera encore piloté par les scientifiques du Criobe. Enfin, un tout dernier programme, nommé Capsule, testera un habitat scientifique sous-marin qui permettra aux chercheurs de rester au fond de l'océan jusqu'à quatre jours de suite. Ces tests auront lieu en août de l'année prochaine. Après tout ce travail, le Why quittera nos eaux chaudes pour une nouvelle mission plus fraîche, au pays des pingouins : l'Antarctique.

Laetitia Hedouin, chargée de recherche du CNRS, Criobe de Moorea

"En Polynésie française il n'y avait encore jamais eu de grosse expédition scientifique pour explorer les profondeurs. Il y a tout à découvrir !"

Quel est ton lien avec Under the Pole ?

Nous avons développé ensemble un programme de recherche sur les coraux profonds. Ma spécialité au Criobe, c'est justement les coraux, mais plutôt ceux de la surface. Donc là l'idée avec Ghislain et Emmanuelle c'est d'aller explorer les profondeurs.

Que reste-t-il à apprendre sur le corail polynésien ?
Il y a un peu tout à apprendre, parce que finalement ce que l'on connaît, c'est de 0 à 30 mètres de profondeur. Sauf que le corail ne s'arrête pas à 30 mètres, et là les premières plongées qu'ils ont déjà faites ont montré qu'on trouvait des coraux jusqu'à 95 mètres. On s'en doutait parce qu'il y a déjà eu des études des coraux profonds à Hawaii et en Australie, le record du monde de profondeur pour un corail, c'est 165 mètres. Mais en Polynésie française il n'y avait encore jamais eu de grosse expédition scientifique pour explorer les profondeurs, donc on ne sait encore presque rien. Il y a tout à découvrir !"

Il y a des espèces différentes à ces profondeurs ?
Il y a des espèces différentes, mais on retrouve aussi des espèces qui sont capables de vivre de la surface jusqu'à une certaine profondeur, 60 mètres par exemple.

Pourquoi explorer 48 sites différents sur 16 îles ?
Ce qui nous intéresse c'est de pouvoir observer toute la diversité des îles de la Polynésie, et donc de faire les cinq archipels. Car chaque archipel est finalement bien différent des autres en termes d'îles, mais aussi de récif corallien. Si nous ne faisions pas tous ces sites, nous n'aurions qu'une vision parcellaire des récifs coralliens polynésiens. Par exemple les îles Australes ont une diversité coralliaire encore plus importante que celle que l'on trouve à Tahiti. Il y a aussi des espèces communes, plus ou moins abondantes selon les archipels.

Qu'espérez-vous apprendre ?
L'une des hypothèses que l'on a sur les récifs profonds, c'est qu'ils servent de refuge pour les récifs dégradés en surface. Donc à partir du moment où l'on pourrait découvrir ces zones refuges, on pourrait faire en sorte d'essayer de les protéger, et notamment de les inclure dans les aires marines protégées. Aujourd'hui ces aires marines protégées ne considèrent pas ce qu'il y a en-dessous de 30 mètres, car nous n'avons pas d'informations à leur fournir. Donc toute l'idée est de leur fournir ces informations.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Samedi 11 Août 2018 à 18:22 | Lu 5536 fois