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Raiatea Animara fête ses 4 ans


Raiatea, le 14 décembre 2023 - Quatre ans après sa création, l’association Raiatea Animara fait le bilan des actions qu’elle mène avec l’aide de ses adhérents et de bénévoles pour venir en aide aux animaux domestiques mais aussi aux familles, souvent démunies et envahies par un nombre trop important d'animaux. Le but premier de l’association est de lutter contre la surpopulation animale, qui engendre toujours plus d’errance et de souffrance pour ces animaux, parfois regroupés en meutes et qui, faute de stérilisation, de nourriture et de soins, en arrivent à tuer. À Raiatea, dans la nuit du 29 au 30 juillet, un homme a perdu la vie après avoir été mordu mortellement par trois chiens. Rencontre avec la présidente de Raiatea Animara, Audrey Monjol-Delphine.
 
Pouvez-vous faire un bilan de ces quatre années d’existence de l’association Raiatea Animara ?
“Nous comptons cette année 321 adhérents dont 193 qui renouvellent chaque année leur adhésion depuis la création de l'association. Il y a parmi eux les irréductibles, ceux qui ont déjà eu besoin de Raiatea Animara pour les aider financièrement à stériliser leur chien ou leur chat, mais aussi ceux qui souhaitent être un fidèle soutien afin de nous aider à poursuivre nos actions. Le nombre d'adhérents se maintient depuis les trois dernières années. En revanche, les prises en charge (stérilisations, nourriture…) concernent, cette année, majoritairement les familles totalement démunies et dépassées par le nombre de chiens et chats recueillis et ne pouvant être assumés.
En termes de stérilisation, au 1er novembre 2023, l'association a participé au financement de la stérilisation de 260 chiens et chats, mâles et femelles, avec l'aide de notre vétérinaire partenaire. Nous pensons terminer l'année avec 310 à 320 stérilisations. À ce jour, l'association a pris en charge à 100% la stérilisation de 98 animaux et de manière partielle les 162 autres.
Cinquante-deux animaux ont été adoptés via l'association, sous contrat avec obligation de stériliser et d'identifier l'animal si cela n'a pas déjà été fait par l'association (chaque animal à charge de l'association et âgé de plus de 5 mois est automatiquement stérilisé, NDLR). Malheureusement, le nombre d’adoptions est en baisse car les familles ont déjà beaucoup d’animaux chez elles et nous arrivons à une forme de saturation.”
 
Adhérents, stérilisations, adoptions… Comment fonctionne l’association ?
“Pour l’année 2023, Raiatea Animara a reçu 477 000 francs du Fonds de développement de la vie associative (FDVA) et 500 000 francs de la commune de Uturoa, seule commune dont le maire, Matahi Brotherson, soutient l'association depuis sa création. Aucune aide n'a été reçue des deux autres communes de Raiatea, Taputapuātea et Tumara'a, alors même que l'association Raiatea Animara agit sur toute l’île sans distinction de commune. La communauté de communes, quant à elle, n’a jamais pris contact avec l’association depuis sa création, bien que la gestion des animaux lui incombe juridiquement. L'association n'a, pour sa part, aucune obligation, elle agit uniquement par souhait de venir en aide, d'améliorer la vie des animaux et des familles de l'île en priorisant la stérilisation avec l'aide au financement de celle-ci.
Au 1er novembre 2023, l'association a donc reçu 977 000 francs d’aide (FDVA et Uturoa). Or, fin octobre, le coût des stérilisations uniquement s’élevait à plus de 4 millions de francs dont 2 608 500 francs pris en charge par l’association. Nous compensons le manque d’investissement public par des dons privés, par des adhésions progressives allant de 2 000 à 5 000 ou 10 000 francs, en fonction des possibilités de chaque adhérent, des ventes de gamelles, de colliers, de tee-shirts et même de bananes séchées. L’intégralité des bénéfices revient dans les caisses de l’association pour les soins, les stérilisations, les croquettes et les litières des animaux abandonnés, pour aider les familles démunies et la prise en charge des animaux en familles d’accueil. Nous recevons également des dons dans le caddy présent devant le magasin LS Proxi Uturoa où chacun peut déposer des croquettes et pâtées pour chiens et chats, que l’association récolte et redistribue. Malheureusement, les dons sont de moins en moins nombreux… Enfin, les deux supermarchés LS Proxi et Champion nous donnent les paquets de croquettes et pâtées invendables car déchirés ou simplement abîmés mais totalement comestibles. Malgré une comptabilité serrée, gérée au centime près, nous n’arrivons plus à faire face au nombre.”
 
Face au nombre justement et à l’impossibilité de répondre financièrement aux besoins, avez-vous établi des priorités ?
“Oui, nous avons fait le choix de privilégier la stérilisation des chats et chattes, en prenant en charge 50% du coût de la stérilisation sur le tarif qui nous est octroyé par notre vétérinaire partenaire. Pour les chiens, nous prenons en charge au minimum, environ 20%. En effet, la reproduction chez les chats est beaucoup plus rapide que chez les chiens (jusqu'à 4 fois par an). Même en fin d’allaitement, les chattes peuvent être à nouveau gestantes et cela peut amener chaque chatte à avoir une vingtaine de petits par an sachant que chaque chaton femelle pourra à son tour se reproduire dès 5 mois... Bien que les chats soient des compagnons de vie, des membres de la famille très attachants, nous ne pouvons omettre le coté nuisible du chat avec une atteinte destructrice sur le plan de la biodiversité. Concernant les chiens, les femelles ont, la majorité du temps, des portées très importantes avec une moyenne de 8-10 petits et ce, deux fois par an. Cependant, la nature est ainsi faite que nombre de chiots seront victimes de la gastro-entérite et ne survivront pas ou seront tristement éliminés par leur mère...
Sur le nombre de chiots restant, beaucoup seront ‘donnés contre bons soins’ ce que l'association déplore et combat car cela aboutit dans la très grande majorité des cas à une vie de misère pour ces chiots devenus grands. Le manque de soins, l’absence de stérilisation, entre autres, n'aboutit qu'à un accroissement de la population canine (ou féline) non maîtrisable, un cercle infernal, sans fin. Une partie des chiots abandonnés sera prise en charge par l'association mais comme évoqué précédemment, les adoptions sont rares et l'association ne dispose pas de lieu d'accueil dédié, donc elle ne compte que sur ses rares et fidèles familles d'accueil.”
 
 


Faute d’un lieu dédié à l’accueil et compte-tenu du peu de familles d’accueil pour prendre en charge cette surpopulation, que dire face à l’errance de ces animaux ?
“À la base, l’association a été créée pour venir en aide aux animaux car ils étaient en trop grand nombre et cela aboutissait à trop d’errance (avec les risques d’accidents corporels et de la route connus) et trop de maltraitance. Au fil du temps, il est devenu évident qu’il n’y a pas d’animaux errants. À la base, tous les chiens et chats ont un propriétaire, mais faute de nourriture et en raison de maltraitance, les animaux quittent les lieux et cherchent ailleurs pour espérer mieux. Ils deviennent alors errants ! Il va sans dire que lors de leurs recherches, ils se heurtent à des personnes ayant peur des chiens, qui, par leurs gestes et leurs paroles, engendrent la peur chez le chien. Celui-ci, se sentant agressé, n'a donc d'autre choix que de répondre par des grognements, voire pire selon le passé de l'animal, cela entraîne alors davantage d'agressivité de la part des personnes par peur d’être mordues par exemple. La suite, tout le monde la connaît, l'animal sera qualifié de dangereux et sera traité en conséquence alors même que s'il avait eu un environnement serein, avait été respecté, aimé et nourri correctement, rien ne se serait passé ainsi. Nous n'avons jamais vu de chiot agressif. Ils le deviennent par notre faute à tous, par notre manque de responsabilité vis-à-vis d'eux... J’aime dire que les chiens et les chats ne sont pas arrivés à la nage sur nos îles... C'est l'homme et lui seul qui les a amenés. Ce sont des animaux domestiques, on les a rendus domestiques et ne pas les nourrir ou peu en leur demandant de revenir à l’état sauvage tout en étant bien portant, ce n’est pas possible.”

L’accompagnement des familles est donc primordial. Est-ce que les familles les plus démunies sont celles que vous aidez le plus ?
“Oui. Ce sont souvent les familles sans aucun revenu qui ont le plus d’animaux. Ils ont ‘pitié’ et ‘ramassent’ les animaux jetés en bord de route. Ils ne viennent pas vers nous donc c’est l’association qui vient vers eux grâce à des informations souvent recueillies par les professionnels de la santé ou des voisins, des connaissances. Plus des trois quarts de toutes les personnes ne seraient jamais allées chez le vétérinaire pour payer la stérilisation de leurs animaux si l'association n'avait pas été créée. La plupart ne savent même pas où se trouve le cabinet du vétérinaire partenaire. Si, aujourd’hui, je continue, c'est en grande partie pour ces familles, celles-là mêmes qui ont été à l'écoute des conseils et des aides proposées par l'association, ces familles qui vivent de si peu. Toutes ces familles en grande précarité sont les plus réceptives, et grâce aux explications et à l'accompagnement que leur offre l'association, comprennent l’importance de la stérilisation et des soins. Lors des tours de l’île, je suis accompagnée d’un(e) bénévole, la communication auprès des familles rencontrées est primordiale. C’est souvent par ignorance que l’animal souffre. Par exemple, il faut le protéger de la pluie ou du soleil en bâchant la niche, surélever la niche pour éviter le contact avec la terre ou encore, expliquer qu’un animal qui est toujours attaché est un animal qui souffre même si le terrain n’est pas clôturé, qu’une chaîne doit faire au minimum trois mètres. La communication tient une place très importante dans les activités de l’association mais avec des exemples appropriés et des explications, les familles comprennent leur rôle à jouer. Et finalement, ces gens qui n’ont rien, sont les premiers à faire des dons, à mettre un point d’honneur à verser les 2 000 francs d’adhésion chaque année et à encourager leurs connaissances et familles à faire stériliser les animaux.”
 
Les communes de l’île semblent s’orienter vers un projet de fourrière. Qu’en pensez-vous ?
“Ce qu’il faut, c’est un véritable accompagnement des familles pour que le nombre d’animaux soit moins important par famille afin qu'elles puissent les assumer plus facilement. Pour cela, la seule et unique solution reste la stérilisation car c’est une mesure pérenne, qui coûte moins cher que la prise en charge d’un chien en fourrière entre le moment de sa capture, les huit jours réglementaires en accueil, son euthanasie et le traitement du cadavre. Pour bon nombre d'associations, le mauvais côté de la présence d'une fourrière sera que les gens peu scrupuleux et voulant se débarrasser de leur animal les abandonneront afin qu'ils soient considérés comme errants, pris en charge par la fourrière pour finir euthanasiés au bout de huit jours car non identifiés et non réclamés ...
À noter que la stérilisation d'une chienne empêche, à vie, de nouvelles portées, soit environ deux par an. Si l'on considère que l'on stérilise 300 chiennes par an, cela évite la naissance de 6 000 chiots dont les femelles pourront se reproduire au bout de six mois... Alors que la fourrière éliminera environ huit à neuf chiens par semaine, ce qui revient à environ 416 chiens par an et cela sans éliminer le nombre de portées des chiennes non capturées ou ayant des familles. La détresse animale, la reproduction, l'errance, la maltraitance, le manque de soins et de nourriture subsisteront...
Je veux également inviter les personnes qui restent sur le territoire pour quelques années à repartir avec leurs animaux lorsque ceux-ci les ont accompagnés durant leur séjour au Fenua. Malheureusement, c'est rarement le cas et les associations se retrouvent plus que sollicitées en raison de très nombreux abandons sur la période des mois de juin et juillet chaque année... Il faut rappeler que le rapatriement d'un animal en métropole ne représente pas un coût démesuré et que les associations aident les familles dans les démarches nécessaires. Un animal choyé et aimé pendant les années de présence sur le territoire sera dans tous les cas plus heureux auprès de son propriétaire en métropole, même si le nouveau logement ne répond pas aux mêmes critères que celui en Polynésie française... Il faut faire cesser les abandons et l’errance qui ont malheureusement été la cause de nombreux accidents corporels et ont coûté la vie à un homme dernièrement. Tout ça doit cesser.”

Hommage à Dimitri Guillo, décédé des suites de morsures de chiens

L’errance des chiens est un véritable fléau qui peut avoir des conséquences dramatiques. Cela a été le cas, le soir du 29 juillet dernier, où Dimitri Guillo, surnommé “Aquaman” ou “Rasta”, est décédé à l’âge de 36 ans en rentrant chez lui après la soirée de clôture du Heiva de Uturoa. Apprécié pour sa gentillesse et sa serviabilité, Dimitri aimait interpréter Bob Marley et faire la fête, mais ce soir-là, après une dernière soirée festive, il rencontra une meute de chiens qui avait déjà attaqué d’autres chiens du quartier et qui, faute de nourriture, avait également grièvement blessé un joggeur quelques semaines auparavant. Dimitri Guillo est décédé d’une hémorragie provoquée par plus de 200 morsures. C’est un voisin qui a découvert son corps au petit matin.
 
Les habitants de son quartier de Tahina et les amis de Dimitri Guillo ont, suite à son décès, signé une nouvelle pétition pour qu’une aide soit allouée à ce quartier qui, deux mois après les faits, rencontrait de nouveau le problème d’une meute de sept animaux, composée de chiens et de chiots abandonnés et qui, faute de soins, d’eau et de nourriture, commençait à devenir agressive. La mairie de Uturoa a laissé le soin à l’association Raiatea Animara de gérer ce nouveau problème malgré le peu de moyens dont elle dispose en cette fin d’année. À l’heure actuelle, les sept chiens ont tous été stérilisés, un est reparti dans la famille à Tahiti aux frais de l’association, deux sont en passe d’être adoptés et quatre sont encore placés en famille d’accueil.

Rédigé par Marion Alexandre le Jeudi 14 Décembre 2023 à 15:24 | Lu 1738 fois